Pourquoi Israël déteste tant les Palestiniens

Marwan Bishara, 8 août 2022. Les Palestiniens ont toutes les raisons de haïr Israël ; c’est un État colonial d’apartheid érigé sur les ruines de leur patrie. Mais pourquoi Israël déteste-t-il tant les Palestiniens ? Il les a sadiquement et systématiquement terrorisés, bloqués et emprisonnés après avoir pris le contrôle de leur vie et de leurs moyens de subsistance, leur refusant leurs droits et libertés fondamentaux.

10 août 2022. L’occupation démolit un hameau au sud du village d’Al-Auja dans la vallée du Jourdain. Photographie : Suleiman Abu Srour

La réponse évidente n’est peut-être pas la bonne. Oui, Israël abhorre la violence et le terrorisme [selon le terme utilisé par l’occupant pour nommer la résistance palestinienne, ndlr] palestiniens qui ont touché plus d’un Israélien, mais ce n’est rien comparé à la violence généralisée et la terreur d’État imposées par Israël aux Palestiniens, lançant des guerres vengeresses et préventives, comme il l’a fait le week-end dernier.

À mon avis, la haine d’Israël envers les Palestiniens est façonnée et motivée par trois sentiments fondamentaux : la peur, l’envie et la colère.

La peur est un facteur majeur – elle peut être irrationnelle mais aussi instrumentalisée.

Il n’est pas surprenant qu’Israël ait continué à craindre les Palestiniens bien après avoir occupé toutes leurs terres et être devenu une puissance régionale et nucléaire. Parce que sa peur des Palestiniens n’est pas seulement physique ou matérielle, elle est existentielle.

Dans l’article Pourquoi tous les Israéliens sont des lâches, un chroniqueur israélien se demandait en 2014 quel genre de société produit des soldats lâches qui tirent à longue distance sur des jeunes Palestiniens non armés. Quatre ans plus tard, en 2018, il était en effet surréaliste de voir, pendant des jours, des soldats israéliens se cacher derrière des défenses fortifiées alors qu’ils tiraient sur des centaines de manifestants non armés.

Israël a essentiellement fui Gaza dans la peur en 2005, imposant un blocus inhumain aux deux millions d’habitants, des réfugiés pour la plupart.

Israël craint tout ce qui est ténacité palestinienne, unité palestinienne, démocratie palestinienne, poésie palestinienne et tous les symboles nationaux palestiniens, y compris la langue, qu’il a dégradée, et le drapeau, qu’il essaie d’interdire. Israël craint particulièrement les mères palestiniennes qui accouchent de nouveaux bébés, ce qu’il appelle une « menace démographique ». Faisant écho à cette obsession nationale israélienne pour la procréation palestinienne, un historien a averti il ​​y a 12 ans que la démographie est une menace pour la survie de l’État juif un peu comme un Iran nucléaire, par exemple, car selon lui, les Palestiniens pouvaient devenir majoritaires d’ici 2040-2050.

La peur est également essentielle pour un État garnison comme Israël, connu comme « une armée avec un pays attaché ». Dans un livre résumant son expérience de plusieurs décennies en Israël, un journaliste américain a noté que : « Le gouvernement d’aujourd’hui attise des peurs, pour la plupart imaginaires ou du moins follement exagérées, dépeignant Israël comme un petit pays isolé, solitaire, menacé, toujours sur la défensive, toujours guettant un prochain signe de haine quelque part, et prompt à réagir de manière excessive.

En somme, la peur engendre la haine parce que, selon les mots d’un autre Israélien observateur, un État qui a toujours peur ne peut pas être libre ; un État façonné par un messianisme militant et un racisme odieux, contre les peuples indigènes de la terre, ne peut pas non plus être vraiment indépendant.

Israël est également en colère, toujours en colère contre les Palestiniens pour refuser d’abandonner ou de céder, de s’en aller ; de s’en aller loin. Israël, à toutes fins utiles, a gagné toutes ses guerres depuis 1948 et est devenu une superpuissance régionale, forçant les régimes arabes à s’incliner, humiliés. Et pourtant les Palestiniens continuent de nier la victoire des Israéliens, ils ne se soumettront pas ; ils ne se rendront pas, ils continueront plutôt à résister quoi qu’il arrive.

Israël a les puissances mondiales de son côté, avec les États-Unis dans sa poche, l’Europe derrière lui et les régimes arabes qui lui lèchent les bottes. Mais les Palestiniens isolés – et même oubliés – refusent toujours de céder sur leurs droits fondamentaux, et encore moins d’admettre leur défaite. Cela doit être exaspérant pour Israël d’avoir autant de sang innocent sur les mains, en vain. Il tue, torture, exploite et prive les Palestiniens de tout ce qui leur est cher, mais ils n’acquiesceront pas. Il a emprisonné plus d’un million d’entre eux au fil des ans mais les Palestiniens refusent de capituler. Ils continuent à aspirer et à lutter pour la liberté et l’indépendance, beaucoup insistant sur la propre disparition d’Israël en tant qu’État colonial.

Israël est également envieux de la force intérieure et la fierté extérieure des Palestiniens. Il est envieux de leurs croyances fortes et de leur empressement à se sacrifier, ce qui rappelle vraisemblablement aux Israéliens d’aujourd’hui les premiers sionistes. Les conscrits israéliens d’aujourd’hui, devenus Robocops, abrités derrière leurs véhicules blindés, tirent lâchement sur les Palestiniens torses nus, se vengeant de leur bravoure.

Israël est très envieux de l’appartenance historique et culturelle des Palestiniens à la Palestine ; de leur attachement à la terre, un attachement que le sionisme a dû fabriquer pour inciter les Juifs à devenir des colons. Israël déteste les Palestiniens parce qu’ils font partie intégrante de l’histoire, de la géographie et de la nature du paysage qu’il revendique comme le sien. Israël recourt depuis longtemps à la théologie et à la mythologie pour justifier son existence, alors que les Palestiniens n’ont pas besoin d’une telle justification ; appartenant au pays si facilement, si commodément, si naturellement.

Israël a tenté d’effacer ou d’enterrer toute trace de l’existence palestinienne, allant même jusqu’à changer les noms des rues, des quartiers et des villes. Selon les mots d’un historien israélien, « pour trouver des parallèles précis pour la re-consécration des lieux de culte par un conquérant, il faut remonter à l’Espagne ou à l’Empire byzantin au milieu de la fin du XVe siècle ».

Israël déteste les Palestiniens parce qu’ils sont la preuve vivante que les fondements du sionisme – un peuple sans terre s’installant sur une terre sans peuple – sont au mieux mythiques, en réalité violents et colonialistes. Israël les déteste pour avoir empêché la réalisation du rêve sioniste sur toute la Palestine historique. Et il déteste particulièrement ceux qui vivent à Gaza, pour avoir transformé le rêve en cauchemar.

Pourtant, il serait faux de glorifier tout cela. L’amour vaut toujours mieux que la haine. La haine est destructrice et alimente plus de haine. La haine est dévastatrice pour les haineux et les haïs. Israël pourrait encore transformer toute cette haine en tolérance, l’envie en appréciation et la colère en empathie, si seulement il avait le courage d’expier son passé violent, de s’excuser pour ses crimes, de dédommager les Palestiniens pour leurs souffrances et de commencer à les traiter avec le respect et l’honneur qu’ils méritent en tant qu’êtres humains égaux, voire égaux privilégiés dans leur patrie. La haine d’Israël ne chassera pas les Palestiniens, mais elle pourrait bien chasser les Juifs.

Article original en anglais sur Al-Jazeera / Traduction Chris et Dine

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