Passage d’Al-Karama : Un “symbole et un témoin de l’humiliation et de la souffrance”

Ehab Tahboub, Nadeen AlShaer, Noelle Mafarjeh, 22 juillet 2022. Au cours des deux dernières semaines, les Palestiniens voyageant entre la Cisjordanie et la Jordanie ont été bloqués au niveau du Jourdain en raison de l’instauration de restriction des heures de passage par les Israéliens et des niveaux de trafic plus élevés que d’habitude.

Les voyageurs ont souffert de la chaleur extrême et de la circulation ; et comme ils n’avaient nulle part où aller, des centaines d’entre eux ont dormi dans des camps de fortune aux alentours, en attendant leur tour de passer.

Le poste frontière d’Al-Karama (connu des Palestiniens sous le nom d’Al-Jissir, le pont) est le seul poste frontière accessible aux Palestiniens de Cisjordanie. Plus de 55.000 citoyens et visiteurs sont passés par l’Al-Karama au cours de la semaine dernière, selon le département des relations publiques et de l’information de la police palestinienne. Le nombre de départs au cours de la semaine était de 28.595, tandis que le nombre de passagers entrants était de 26.687.

Le ministre jordanien de l’Intérieur, Mazen Al-Faraya, a déclaré mardi que les problèmes logistiques venaient du côté israélien, car le passage du côté israélien n’est ouvert qu’entre 8 heures et 23 heures, alors que le départ des voyageurs du pont jordanien du roi Hussein commence tôt, ce qui entraîne systématiquement un engorgement.

« Le problème logistique est lié à la très faible capacité d’accueil du côté israélien, ce qui empêche tous les passagers de traverser le pont », a déclaré M. Al-Faraya lors d’une inspection du pont du Roi Hussein mardi, afin d’évaluer le flux de travail quotidien, les installations et les services fournis aux passagers voyageant vers et depuis la Jordanie.

Le nombre moyen de passagers quotidiens a atteint dernièrement environ 12.000 départs et arrivées combinés, contre une moyenne d’environ 6.000. Selon le ministère de l’Intérieur, la partie israélienne reçoit environ 4.000 passagers par jour, laissant environ 7.000 personnes bloquées sur le pont.

Le secrétaire général du comité exécutif de l’OLP, Hussein Al-Sheikh, a publié un tweet dans lequel il tient Israël pour responsable de la situation sur le pont et des conditions auxquelles les voyageurs sont confrontés.

L’histoire tumultueuse et les démolitions successives du pont

Le pont est contrôlé principalement par la Jordanie et Israël, qui coordonnent aussi nominalement la circulation des Palestiniens avec l’AP.

Le passage porte trois noms officiels : le pont Allenby (du nom du gouverneur britannique Edmund Allenby) du côté israélien ; Al-Karama (la Dignité) du côté palestinien ; et le pont du Roi Hussein en Jordanie.

En 1885, le gouvernement ottoman du Mutasarrifat de Jérusalem a construit un pont à cet endroit.

En 1918, le général britannique Edmund Allenby a construit un pont sur les vestiges de son prédécesseur ottoman. Cette construction plus récente a été détruite une première fois lors du tremblement de terre de Jéricho en 1927, lorsqu’elle s’est désagrégée et s’est effondrée dans le fleuve.

Il a été détruit une nouvelle fois lors de l’opération « Nuit des ponts » menée par le Palmach (la force d’élite de la milice juive Haganah, une organisation terroriste sioniste qui a également supervisé l’attentat à la bombe de juillet 1946 contre l’hôtel King David, qui a fait 91 morts) le 16 juin 1946. La destruction suivante a eu lieu pendant la guerre des Six Jours de 1967, après quoi il a été remplacé en 1968 par un pont-treillis provisoire.

En 1994, à la suite du traité de paix israélo-jordanien, un nouveau pont moderne et goudronné a été construit à côté de l’ancien pont en bois avec l’aide du gouvernement japonais.

Après la guerre de 1967, toutes les terres palestiniennes sont passées sous le contrôle de l’occupation israélienne, qui a considéré l’ensemble de la Cisjordanie comme des zones « fermées » dont les Palestiniens n’étaient pas autorisés à sortir, sauf après avoir obtenu un permis spécial.

Le passage d’Al-Karama est devenu la principale ou la seule sortie pour les Palestiniens de Cisjordanie souhaitant se rendre à l’extérieur.

L’ouverture du passage d’Al-Karama a eu lieu environ six mois après l’occupation de la Cisjordanie en juin 1967, sous la forme de l’ordre militaire n° 175.

ORDRE DU 30 NOVEMBRE 1967 CONCERNANT LES PORTS (PONT D’ALLENBY)

« Il est permis au ministère de l’Intérieur et à la police israélienne d’établir un poste où des contrôles de permis et des fouilles corporelles peuvent être effectués sur les personnes qui veulent se rendre sur la rive orientale de la Jordanie ou en revenir. La police peut utiliser tous les pouvoirs qui lui sont accordés en vertu de l’ordre militaire 52 pour fouiller, saisir, etc. »

Plus tard, l’ordre n° 466 a été publié, qui a ajouté le passage de “Damieh” au pont Allenby, en tant que passage commercial uniquement, par lequel les marchandises sont exportées vers la Jordanie – tandis que les importations ne sont pas autorisées pour des raisons de sécurité.

« Humiliation et souffrance »

Le pont étant le seul point de passage frontalier permettant de quitter la Cisjordanie, de nombreux Palestiniens n’ont d’autre choix que d’affronter les conditions difficiles qui y règnent pour voyager, notamment la taxe élevée de 158 NIS qu’Israël impose aux voyageurs qui partent par Al-Karama (les voyageurs, y compris les touristes, qui partent par les autres points de passage frontaliers d’Israël avec la Jordanie, sont exemptés de la taxe de départ), ainsi qu’une série d’autres frais imposés par l’AP, Israël et la Jordanie.

Lorsqu’Israël ferme le pont en raison des fêtes juives ou impose d’autres restrictions, la majorité des Palestiniens de Cisjordanie n’ont pas d’autres options pour voyager.

Dans une tribune publiée aujourd’hui par Reform, l’Association palestinienne pour l’autonomisation et le développement local, l’avocat Ziad Abu Ziyad écrit : « Je ne sais pas qui est la personne qui a suggéré de nommer le pont du roi Hussein le pont de la “Karama” (dignité), parce que ce pont est devenu un symbole et un témoin de l’humiliation et de la souffrance que subit notre peuple en le traversant. »

Le porte-parole de l’AP, Ibrahim Melhem, a déclaré mercredi qu’une réunion était attendue entre le Premier ministre Mohammad Shtayyeh et son homologue jordanien Bishar Al-Khasawneh afin de « trouver une solution rapide à la crise du passage de Karama et d’alléger les souffrances des voyageurs palestiniens. »  Melhem a noté qu’une date pour la réunion n’avait pas encore été fixée.

Le président américain Biden a annoncé lors de sa visite qu’Israël avait accepté de permettre l’accès au pont 24 heures sur 24, sept jours sur sept, d’ici au 30 septembre 2022. Toutefois, aucun détail supplémentaire n’a encore été annoncé.

Les photos de Palestiniens bloqués et coincés ont envahi les médias sociaux ces derniers jours.

https://twitter.com/amanyas41076150/status/1549354430255988736?s=20&t=8oG6pVWNdd4izF0J-NtNIA

https://twitter.com/Alresalahpress/status/1549809659158069250?s=20&t=2acsb1Ur984KsYDnZyweKQ

https://twitter.com/ShehabAgency/status/1549061531576451072?s=20&t=fPVWBPL5z7GVTqjoNG-FsA

 

Article original en anglais sur Jerusalem.24fm.ps / Traduction MR