Les calculs du Hezbollah dans le conflit maritime avec Israël

Joe Macaron, 21 juillet 2022. Au cours de la première semaine de juillet, le Hezbollah aurait fait voler quatre drones non armés au large de la côte méditerranéenne en direction du champ gazier contesté de Karish, entre le Liban et Israël.

Dans un discours prononcé le 13 juillet, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a ensuite averti que le champ gazier de Karish deviendrait, si nécessaire, un nouveau front dans la confrontation avec Israël.

Ces mesures sans précédent prises par le Hezbollah dans le cadre d’un conflit maritime qui dure depuis près de dix ans sont intervenues à un moment crucial de la médiation menée par les États-Unis. Cette démonstration bénigne de puissance a également soulevé des questions sur les calculs du Hezbollah dans un conflit dont le groupe armé libanais a clairement fait une priorité absolue.

Israël est impatient de commencer la production dans le champ de Karish en septembre et a utilisé l’absence d’accord avec le Liban sur le différend maritime comme prétexte. La plate-forme gazière FPSO Energean Power est arrivée le 5 juin à l’endroit prévu pour commencer le forage au nom du gouvernement israélien.

Après une période initiale d’inaction, Beyrouth a convoqué le mois dernier le principal médiateur américain, le conseiller principal pour la sécurité énergétique Amos Hochstein, et lui a proposé de résoudre le différend.

La décision du Hezbollah de lancer les drones est intervenue près de deux semaines après que Hochstein a quitté Beyrouth pour transmettre l’offre libanaise à la partie israélienne.

Le groupe a déclaré que les drones étaient en mission de reconnaissance et l’armée israélienne a annoncé qu’un avion de chasse et un navire lance-missiles de la marine avaient intercepté les drones.

Le Hezbollah a fait de ce différend maritime une priorité absolue pour de multiples raisons.

Il y a tout d’abord une composante intérieure.

L’opinion publique libanaise s’est ralliée à l’importance de préserver les droits du Liban dans le conflit maritime, même si elle diffère sur la tactique à adopter pour atteindre cet objectif, qui est lié au débat sur la façon dont les Libanais considèrent les armes du Hezbollah.

En effet, le Hezbollah utilise le différend maritime pour valider l’utilité de conserver ses armes, étant donné que le Sud-Liban est un front plutôt calme depuis le conflit israélo-libanais de juillet 2006. Le Hezbollah et Israël sont tous deux satisfaits des règles d’engagement fixées par la résolution 1701 des Nations unies.

En outre, Nasrallah a déclaré dans son discours que l’exploration du gaz est la voie la plus viable pour sauver l’État libanais de l’effondrement économique. Cependant, le Liban n’est pas en mesure de vendre du gaz et le mieux qu’il puisse faire dans ce processus de production est d’atteindre une certaine autosuffisance en matière de consommation d’électricité.

Deuxièmement, il y a évidemment une composante étrangère. Washington et Téhéran s’efforcent de renouveler l’accord sur le nucléaire iranien et non seulement ils évitent les provocations mutuelles au Liban, mais ils font également des gestes alors que le système politique libanais gère son effondrement économique.

L’Iran a facilité, via le Hezbollah, la médiation menée par les États-Unis sur le différend maritime entre le Liban et Israël, mais il ne semble pas encore y avoir de feu vert pour un compromis et la conclusion du différend.

Les États-Unis n’ont pas pris de mesures punitives contre l’envoi de gaz et de pétrole iraniens au Hezbollah via la frontière syro-libanaise, mais ils doivent encore certifier que l’accord signé pour transférer du gaz égyptien au Liban via la Syrie est conforme aux sanctions américaines contre Damas.

Les Etats-Unis pourraient utiliser la carotte de cette dérogation comme levier pour inciter Beyrouth à signer un accord mettant fin au conflit maritime avec Israël.

Dans son discours du 13 juillet, Nasrallah a subtilement lié le conflit maritime libano-israélien au conflit russo-ukrainien en affirmant que les Etats-Unis font pression pour un accord sur le conflit maritime afin que le gaz de la Méditerranée orientale soit acheminé vers l’Europe avant l’hiver.

Cependant, ces derniers temps, c’est la partie libanaise qui s’est empressée de conclure un accord et les pays européens ne parient pas sur le fait que le champ de Karish survivra aux vagues de froid de l’automne prochain. La production globale de gaz de la Méditerranée orientale ne peut remplacer que 20% du gaz russe en Europe si le projet de gazoduc turco-israélien se concrétise.

Troisièmement, il y a le contexte de l’état actuel de la médiation menée par les États-Unis. Le Hezbollah s’est publiquement opposé à tout forage potentiel dans la zone contestée, mais le Liban et Israël ne sont manifestement pas d’accord sur la manière de définir cette zone litigieuse.

La réaction israélienne à l’offre libanaise étant au point mort, le Hezbollah a envoyé ses drones pour renforcer la position du gouvernement libanais selon laquelle tout forage pourrait être interrompu jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée au différend maritime.

Le Hezbollah a réussi dans une certaine mesure à imposer le rythme des négociations grâce à son influence sur le système politique libanais et à ses principaux alliés qui jouent un rôle de premier plan dans la médiation menée par les États-Unis, principalement le président Michel Aoun et le président du Parlement Nabih Berri.

Le Hezbollah a utilisé son influence dans le système politique et les médias pour durcir la position du gouvernement libanais afin que les responsables libanais ne cèdent pas ou ne se précipitent pas vers un compromis. Compte tenu de la situation économique désastreuse, les responsables libanais ont peu d’options pour résister à la pression américaine.

L’effondrement économique du Liban limite non seulement la capacité du gouvernement libanais mais aussi celle du Hezbollah à manœuvrer politiquement et militairement, c’est pourquoi le groupe armé libanais ne rejette pas totalement la pression américaine et ne prend pas le risque d’une attaque maritime.

Si la décision de faire voler ces drones a renforcé la rhétorique de la “résistance”, elle a également masqué la décision subtile du Hezbollah de soutenir la position officielle libanaise de négociation avec Israël, que ce soit par l’intermédiaire des États-Unis ou des Nations unies (ONU).

Le Hezbollah a réussi à fixer ses propres règles de négociation, qui prévoient l’absence de pourparlers directs entre les responsables civils libanais et israéliens (uniquement des pourparlers militaires parrainés par l’ONU), mettant ainsi son veto à tout geste qui pourrait faire allusion à des tentatives de normalisation des relations entre le Liban et Israël.

D’autre part, la partie israélienne a également réussi à donner la priorité à la démarcation de la ligne maritime plutôt que de combiner les frontières maritimes et terrestres comme le souhaitaient les responsables libanais. Le Hezbollah préférait également la médiation de l’ONU, alors qu’Israël a longtemps insisté sur la médiation des États-Unis.

Les responsables libanais attendent toujours le retour de Hochstein à Beyrouth avec une réponse israélienne à l’offre libanaise, mais cette réponse israélienne ne semble pas encore s’être concrétisée, notamment maintenant que le gouvernement israélien a démissionné et qu’une nouvelle élection parlementaire israélienne est attendue à l’automne.

La partie libanaise a récemment revu à la baisse le prix demandé dans ces négociations et a proposé d’étendre la zone maritime appartenant au Liban de 860 m² à 1.200 m². Toutefois, cette formule donne la totalité du champ gazier de Karish à Israël en échange de la totalité du champ gazier de Sidon-Qana appartenant au Liban, ce qui évite que les deux parties ne se partagent les mêmes blocs de gaz contestés.

On ne sait pas exactement quelle est la capacité totale du champ gazier de Sidon-Qana, tandis que le champ gazier de Karish est plus prometteur.

Après le discours de Nasrallah, le Département d’Etat américain a publié une déclaration le 15 juillet pour laisser entendre que la partie libanaise devrait être patiente et que des efforts sont en cours pour servir de médiateur à l’offre libanaise.

La partie israélienne a semblé demander une approbation officielle explicite du Hezbollah pour l’accord en cours de discussion. Nasrallah n’a pas donné cette approbation explicite dans son dernier discours et n’est pas entré dans les détails des négociations, cependant, il a pleinement approuvé la conclusion du différend maritime pour aider l’économie libanaise.

Le Liban a encore un long chemin à parcourir en raison des contraintes internes et des tensions politiques qui ont bloqué le processus, alors que Beyrouth ne dispose pas des infrastructures de base et du savoir-faire technologique nécessaires pour coordonner, stocker et intégrer le gaz.

La société Total, qui dirige le consortium gazier du côté libanais, n’a pas encore reçu le feu vert pour prospecter les champs gaziers libanais, tandis qu’Israël vise à commencer potentiellement la production de gaz à Karish en septembre si les tensions ou l’absence d’accord avec le Liban ne l’empêchent pas.

Les semaines à venir sont cruciales pour la médiation menée par les États-Unis sur un différend maritime qui dépend désormais largement de l’instabilité de la politique intérieure tant au Liban qu’en Israël.

Article original en anglais sur The New Arab / Traduction MR

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