L’ennemi de mon ennemi : le Hamas et le régime syrien

Joseph Daher, 11 juillet 2022 – Les perspectives de réconciliation entre le régime syrien et le mouvement Hamas, encouragées par Téhéran, sont de plus en plus évoquées dans les médias depuis la fin de l’année 2020. Aujourd’hui, il semble que le resserrement des relations pourrait s’accélérer.

Rencontre entre le président iranien Ebrahim Raisi et le chef politique du Hamas Ismail Haniyeh à Téhéran. [GETTY]

Alors que les hauts responsables et les cadres du Hamas ont exprimé haut et fort leur soutien à la révolution syrienne au cours des premières années du soulèvement, officiellement, le Hamas a maintenu une position neutre. Mais la montée des Frères musulmans en Égypte après la chute de Moubarak et le soutien populaire à la révolution syrienne parmi les Palestiniens ont empêché les dirigeants du Hamas de suivre les demandes du régime syrien et de se contenter de prôner une « solution politique » au conflit, comme l’a fait le Hezbollah.

Cela a provoqué de nombreux conflits avec le régime syrien et a finalement poussé les dirigeants du Hamas à Damas à quitter le pays en 2012.

Toutefois, au cours des dernières années, les responsables du Hamas ont condamné à plusieurs reprises les bombardements d’Israël sur la Syrie et ont fait des déclarations conciliantes à son égard. Damas, en revanche, a maintenu une position négative à l’égard du mouvement islamique palestinien. Bachar el-Assad et les responsables syriens ont à plusieurs reprises attaqué le Hamas qu’ils considèrent comme des traîtres.  

Néanmoins, des informations sur un potentiel rétablissement des liens ont refait surface ces dernières semaines. Un responsable anonyme du Hamas a déclaré à la fin du mois dernier que les deux parties avaient tenu plusieurs « réunions de haut niveau pour atteindre cet objectif. »

Cette rencontre a coïncidé avec le voyage du chef du bureau politique du Hamas, Ismail Haniyah, au Liban pour une réunion officielle avec Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah. Les deux dirigeants ont évoqué l’importance de renforcer la coopération afin de consolider un « axe de résistance » aux « menaces et défis » d’Israël.

Après plus d’une décennie depuis le départ du Hamas de Damas, où étaient basés son bureau politique et son quartier général, les raisons de cette éventuelle reprise des relations sont liées, d’une part, aux développements et aux alliances politiques régionales et, d’autre part, à la politique interne du mouvement islamique palestinien.

Le Hamas a assisté avec une inquiétude croissante à la conclusion des accords d’Abraham négociés par les États-Unis à l’été 2020 et à la poursuite de la normalisation d’Israël avec les États arabes.

Sans oublier le rapprochement continu entre la Turquie et Israël. En mars, le président israélien Isaac Herzog a été le premier haut responsable israélien à se rendre en Turquie depuis 2008.

En outre, la position du Hamas à Gaza continue d’être intenable, des nombreuses guerres lancées par Israël contre la bande de Gaza au blocus israélien aidé par l’Égypte, en passant par les sanctions économiques imposées par l’Autorité palestinienne.

Ce contexte n’a donc fait que renforcer l’alliance cruciale du Hamas avec l’Iran – et donc le Hezbollah. Ses relations avec Téhéran ont continué à fournir au Hamas une assistance militaire, notamment des armes et des entraînements, en plus d’un important financement.

Les changements de direction au sein du mouvement politique du Hamas ont également eu un impact. Les relations ont certes été maintenues au niveau politique et militaire au cours de la dernière décennie – malgré des désaccords sur le soulèvement syrien – mais le remplacement de Khaled Meshaal par Ismael Haniya à la tête du Hamas en 2017, a ouvert la porte à des relations plus étroites entre les acteurs.

En outre, la nomination du cheikh Saleh al-Arouri – l’un des fondateurs de la branche armée du Hamas, les Brigades al-Qassam – au poste de chef adjoint du bureau politique du groupe, a également facilité cette évolution. Tout comme l’élection de Yahya Sinwar, autre membre fondateur des brigades Izz Al-Din al-Qassam, à la tête du mouvement à Gaza.

En effet, l’aile militaire a toujours entretenu des liens étroits avec l’Iran, contrairement au bureau politique du mouvement, dirigé par Meshaal. En fait, la direction des brigades Al-Qassam s’est opposée aux tentatives de Meshaal, pendant son règne, d’éloigner le Hamas de l’Iran et du Hezbollah, en faveur d’une amélioration des relations avec la Turquie, le Qatar et même l’Arabie saoudite à un moment donné.

Les responsables du Hamas ont depuis multiplié les visites à Téhéran pour rencontrer le commandant des Gardiens de la révolution, Qasem Soleimani, tout en louant à plusieurs reprises l’aide de l’Iran dans les médias. Ils ont déclaré à plusieurs reprises que le groupe avait réussi à développer considérablement ses capacités militaires parce que l’Iran leur avait fourni beaucoup d’argent, d’équipements et d’expertise.

Le renouvellement et l’approfondissement des relations avec l’Iran n’ont toutefois pas été sans susciter des critiques dans la bande de Gaza et même parmi les bases populaires du Hamas. 

Une photo du défunt commandant iranien de la Force Quds, le général Qassem Soleimani, affichée sur un panneau d’affichage dans la ville de Gaza, a été vandalisée et arrachée quelques jours seulement avant le premier anniversaire de sa mort. L’assassinat de Soleimani par une frappe américaine à Bagdad en 2020 a été fortement condamné par le Hamas, et Haniyeh s’est même rendu à Téhéran pour assister à ses funérailles.

L’instigateur de l’action, Majdi al-Maghribi, a accusé Soleimani d’être un criminel. Plusieurs autres bannières de Soleimani ont également été démontées et vandalisées, une vidéo montrant un individu le décrivant comme le « tueur de Syriens et d’Irakiens ».

En définitive, le rétablissement des liens entre le régime syrien et le Hamas doit être considéré comme une tentative de Téhéran de consolider son influence dans la région et de réhabiliter les relations avec deux alliés. Ce rapprochement potentiel pourrait également permettre un nouveau développement du soutien militaire de l’Iran au Hamas.

Cela dit, toute évolution des relations entre la Syrie et le mouvement palestinien ne signifiera pas un retour à la configuration d’avant 2011, lorsque les dirigeants du Hamas jouissaient du privilège d’un soutien important de la part du régime syrien. Les responsables syriens atténueront très probablement leurs critiques publiques à l’égard du Hamas dans le cadre de leur alliance avec l’Iran, mais ne rétabliront aucune forme de soutien stratégique militaire et politique, du moins à court terme.

Les liens futurs entre le régime syrien et le Hamas sont donc très largement régis par des intérêts structurés et liés à l’Iran et au Hezbollah. En outre, la « réconciliation » reflète un problème plus général dans la stratégie politique de la lutte du peuple palestinien pour sa libération.

Les partis politiques palestiniens dominants, du Fatah au Hamas en passant par la gauche palestinienne, ne se tournent pas vers les masses palestiniennes, les classes ouvrières régionales et les peuples opprimés comme étant les forces à même de gagner la libération. Au contraire, ils recherchent des alliances politiques avec les classes dirigeantes de la région et leurs régimes pour soutenir leurs batailles politiques et militaires contre Israël.

Les dirigeants du Hamas poursuivent une stratégie similaire ; ses dirigeants ont cultivé des alliances avec les monarchies des États du Golfe, en particulier le Qatar plus récemment, et la Turquie, ainsi qu’avec le régime iranien. Plutôt que de faire avancer la lutte, ces régimes limitent leur soutien à la cause aux domaines où elle fait avancer leurs intérêts régionaux et la trahissent quand ce n’est pas le cas.

Article original en anglais sur The New Arab / Traduction MR

[writers slug=joseph-daher]