Mosquée Al-Aqsa : Les raids et incursions israéliens expliqués

Huthifa Fayyad, 15 avril 2022. Des colons israéliens et des militants d’extrême droite, presque toujours protégés par la police, pénètrent presque quotidiennement dans la mosquée Al-Aqsa, au mépris total de l’administration palestinienne musulmane du site et des milliers de fidèles qui s’y trouvent habituellement.

Ces incursions litigieuses sont depuis longtemps une cause de tensions et de violences à l’encontre des Palestiniens de Jérusalem-Est et d’ailleurs. 

Pour les Palestiniens, elles sont considérées comme faisant partie d’une stratégie vieille de plusieurs décennies de l’État israélien et de groupes d’extrême-droite visant à « judaïser » la ville et à la débarrasser de son patrimoine palestinien islamique et chrétien. 

Pour les groupes israéliens d’extrême droite, elles constituent la première étape de la destruction d’al-Aqsa et de son remplacement par un troisième temple, qui sera construit, selon eux, sur la mosquée.

Middle East Eye se penche ici sur l’histoire des incursions israéliennes à al-Aqsa et sur les raisons pour lesquelles les Palestiniens et les musulmans les contestent.

Que sont les incursions israéliennes à al-Aqsa ? 

Les Palestiniens qualifient d’incursion de colons l’entrée non autorisée de tout Israélien dans le complexe de la mosquée al-Aqsa.

Dans le cadre d’un accord entre la Jordanie – gardienne des sites islamiques et chrétiens de Jérusalem – et Israël, les non-musulmans sont autorisés à visiter la mosquée al-Aqsa sous la supervision du Waqf, une association islamique jordano-palestinienne qui gère les affaires de la mosquée.

L’accord stipule que seuls les musulmans sont autorisés à y prier, tandis que les juifs peuvent effectuer leur prière au Mur occidental. Dans le même temps, les autorités israéliennes conservent le contrôle de la sécurité de la mosquée.

Cependant, Israël a longtemps ignoré cet arrangement délicat, souvent appelé “statu quo”, et court-circuité le Waqf.

Ces dernières années, les forces israéliennes, les colons et des hommes politiques en vue ont fait des incursions répétées dans la mosquée sans l’autorisation des Palestiniens.

Ces incursions ont parfois donné lieu à d’importants soulèvements et à des mesures de répression israéliennes contre les Palestiniens.

Avant 2000, le Waqf contrôlait les visites des non-musulmans sur le site grâce à un système de réservation. Ce système a été annulé par Israël après la deuxième Intifada, ou soulèvement, qui a pris fin en 2005. Aujourd’hui, des dizaines de colons israéliens et de militants d’extrême-droite se promènent presque quotidiennement dans la cour de la mosquée, encadrés par les forces israéliennes.

Que veulent les groupes d’extrême-droite israéliens ? 

Plusieurs groupes d’extrême-droite, principalement des sionistes religieux, organisent des incursions dans la mosquée al-Aqsa.

Ils sont parfois appelés « groupes du Temple » et comprennent des organisations telles que l’Institut du Temple [Temple Institute] et le Mouvement des fidèles du Mont du Temple et d’Eretz Yisrael [Temple Mount and Eretz Yisrael Faithful Movement]. 

Les Israéliens qualifient ces incursions de « ascensions vers le Mont du Temple », certains exigeant qu’Israël affirme la pleine souveraineté juive sur le site, autorisant le culte et les sacrifices rituels juifs.

Certains préconisent également la destruction de la mosquée al-Aqsa, où, selon eux, se trouvaient autrefois deux anciens temples juifs, pour faire place à un troisième temple.

Les disciples d’autres sectes religieuses, principalement les juifs ultra-orthodoxes, interdisent ces visites en raison du caractère sacré du site dans la tradition juive.

Que se passe-t-il pendant les incursions ? 

Les incursions sont organisées tous les jours, sauf le vendredi et le samedi. Auparavant, les colons évitaient d’entrer dans la mosquée pendant les fêtes musulmanes, mais cela a changé ces dernières années. 

Protégés par des policiers lourdement armés, les colons entrent dans l’esplanade de la mosquée en deux équipes différentes pour réciter des prières, accomplir des rituels et faire des exposés aux visiteurs.

La première visite a lieu normalement entre 7h30 et 10h30, heure locale, et la seconde entre 13h et 14h. Il n’y a pas de prières musulmanes à ces heures-là, et la mosquée est normalement presque vide de fidèles.

Chaque visite dure de 30 minutes à une heure et commence par la Porte du Maroc (Bab Al-Magharba), à l’extrémité sud-ouest du complexe.

Les colons se dirigent ensuite vers la section sud-est, en passant par la salle de prière Al-Qibli avec son dôme argenté, le bâtiment principal du site d’où est conduite la prière communautaire. Ils se dirigent ensuite vers les sections nord-est et ouest, avant de revenir à leur point de départ et de sortir par la Porte des Chaînes (Bab al-Silsela).

Par le passé, les visites duraient 10 à 15 minutes et commençaient à la Porte du Maroc pour se terminer à la Porte des Chaînes, à quelques mètres de là. Les visites se sont développées régulièrement au fil des ans, malgré les objections répétées des Palestiniens. 

Pour éviter les tensions, la police israélienne a tenté d’empêcher les visiteurs juifs de prier à al-Aqsa, la prière des non-musulmans étant un sujet très sensible. 

Toutefois, aucune loi israélienne n’empêchant explicitement les Juifs de le faire, cette politique semble avoir changé récemment.

Le Waqf a documenté des cas où des prières et des rituels ont été effectués pendant les raids. En août 2021, le New York Times a rapporté que le gouvernement israélien avait « discrètement » autorisé la prière juive sans l’annoncer officiellement.

Quand les incursions ont-elles commencé ?

Les incursions dans la mosquée al-Aqsa ont commencé immédiatement après qu’Israël a occupé la partie orientale de la ville en 1967, en même temps que la Cisjordanie et la bande de Gaza. 

Les soldats qui s’étaient emparé de la ville ont pénétré dans les cours de la mosquée le 7 juin 1967 en hissant le drapeau israélien et ont interdit la prière musulmane pendant une semaine. 

En 1982, l’Américano-Israélien Alan Goodman, qui avait des liens avec le mouvement violent pro-colonisation Kach, est entré dans l’enceinte avec un fusil automatique et a tiré sans discernement à l’intérieur du Dôme du Rocher, tuant deux Palestiniens et en blessant neuf autres. 

En 1990, le groupe israélien « Mouvement des fidèles du Mont du Temple et d’Eretz Yisrael » [Temple Mount and Eretz Yisrael Faithful Movement] a tenté de placer une pierre angulaire pour le troisième Temple sur l ‘esplanade. Les forces israéliennes ont réprimé les protestations des Palestiniens par des tirs à balles réelles qui ont tué plus de 20 manifestants palestiniens et en ont blessé au moins 150 autres.

Par la suite, le gouvernement israélien a autorisé l’ouverture d’un tunnel menant au Mur occidental, sous les fondations du complexe d’al-Aqsa, et continue de sponsoriser des fouilles archéologiques menées par des groupes de colons aux alentours de la mosquée.

En septembre 2000, Ariel Sharon, alors chef de l’opposition, et des centaines d’officiers lourdement armés ont envahi la mosquée d’al-Aqsa. Son incursion, considérée par les Palestiniens comme hautement provocatrice et insensible au caractère sacré de la mosquée, a déclenché la deuxième Intifada, qui a duré cinq ans. 

Au lendemain de l’Intifada, Israël, invoquant des raisons de sécurité, a révoqué l’administration par le Waqf des visites des non-musulmans.

Cela a ouvert la voie à davantage de visites organisées par des colons israéliens et des militants d’extrême-droite, protégés par la police. À partir de 2017 environ, les incursions ont été organisées sous la forme de visites quotidiennes, comme c’est le cas aujourd’hui.   

Des dizaines de personnes se joignent à chaque tour, leur nombre atteignant des centaines lors des fêtes juives, comme Pessah, Pourim, la Journée de Jérusalem et autres. Par exemple, lors de la Journée de Jérusalem en 2018, plus de 1.600 colons ont fait un raid sur la mosquée.

Le nombre de visiteurs n’a cessé d’augmenter au fil des ans. En 2009, 5.658 colons sont entrés dans la mosquée lors de ces visites. En 2019, juste avant la pandémie de Covid, ce nombre est passé à 30.000, selon certaines estimations.

Comment les Palestiniens perçoivent-ils les incursions ?

Les Palestiniens affirment que les incursions sont une tentative des ultra-nationalistes de revendiquer la propriété religieuse du lieu saint et de supprimer la culture et la religion palestiniennes d’al-Aqsa. La mosquée, troisième site le plus sacré de l’islam, est vénérée par les musulmans du monde entier et est devenue un symbole de la culture et de l’existence palestiniennes. 

Selon les traditions islamiques, prier sur le site est censé apporter une plus grande récompense, et les musulmans économisent généralement pendant plusieurs années pour visiter le lieu saint. Pour de nombreux Palestiniens, sa protection est à la fois un devoir religieux et national. 

Les Palestiniens craignent qu’attribuer des horaires spécifiques aux entrées des Israéliens et les autoriser à y prier ne favorise la division de la mosquée entre musulmans et juifs, comme la mosquée Ibrahimi à Hébron a été divisée dans les années 1990.

Le contrôle exercé par Israël sur Jérusalem-Est, y compris la vieille ville, viole plusieurs principes du droit international, qui stipule qu’une puissance occupante n’a aucune souveraineté sur le territoire qu’elle occupe et ne peut y apporter aucun changement permanent.

Pour mettre fin à ces incursions, les Palestiniens organisent depuis longtemps ce que l’on appelle le Ribat, une activité de sit-in social et religieux au cours de laquelle les fidèles se rassemblent dans la mosquée pendant de nombreuses heures, voire des jours. 

L’objectif du Ribat est de maintenir une présence dans les locaux de la mosquée à tout moment afin d’empêcher les colons israéliens d’y pénétrer, notamment pendant les fêtes musulmanes. 

La police israélienne a effectué, à de multiples reprises, des raids dans la mosquée al-Aqsa afin de la vider de ses fidèles participant au Ribat, notamment à l’approche des fêtes juives.

Les raids les plus récents ont eu lieu en mai 2021, lorsque les forces israéliennes ont utilisé des gaz lacrymogènes, des grenades assourdissantes et des balles en caoutchouc et acier sur l’esplanade pendant le Ramadan, faisant des centaines de blessés.

Article original sur Middle East Eye / Traduction MR