Partager la publication "Omettre l’histoire coloniale d’Israël affaiblit le rapport d’Amnesty sur l’apartheid"
Ramona Wadi, 8 mars 2022. « L’Australie a été l’un des amis les plus proches et les plus solides d’Israël parmi toutes les nations du monde, à l’exception des États-Unis. Et nous continuons d’être un ami très solide d’Israël », a déclaré le Premier ministre australien Scott Morrison après que le récent rapport d’Amnesty International détaillant l’apartheid israélien ait plongé Israël dans une frénésie de lobbying. « Aucun pays n’est parfait », a-t-il ajouté.
Mais tous les pays ne pratiquent pas l’apartheid, un dérivé de l’idéologie coloniale.
La plupart des gouvernements du monde ont approuvé le rapport d’Amnesty International avec réticence, mais certains ont vivement réagi contre la désignation d’apartheid par Amnesty International, l’une des plus importantes organisations internationales de défense des droits de l’homme, qui a emboité les pas de l’organisation américaine Human Rights Watch et de l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem en 2021.
Le ministère allemand des Affaires étrangères a rejeté cette désignation, déclarant : « Nous récusons les expressions telles que « apartheid » ou une focalisation unilatérale des critiques sur Israël. Cela n’aide pas à la résolution du conflit au Moyen-Orient. »
Le taoiseach [chef du gouvernement, ndt] irlandais Micheál Martin a également déclaré qu’il refuserait d’utiliser la terminologie d’apartheid pour parler des actions d’Israël contre le peuple palestinien. « Je n’utiliserai pas le terme d’apartheid car je ne suis pas sûr qu’il apporte quoi que ce soit en ce moment ».
Le porte-parole du département d’État américain, Ned Price, a déclaré aux journalistes : « Je pense qu’il est important, en tant que seul État juif au monde, que le peuple juif ne soit pas privé de son droit à l’autodétermination, et nous devons veiller à ce qu’il n’y ait pas deux poids, deux mesures. »
Or, selon la propre Loi fondamentale d’Israël, Israël est « l’État national du peuple juif » et « l’exercice du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est propre au peuple juif. »
Pour résumer, Israël a légalement consacré l’apartheid en affirmant l’exclusivité juive et est maintenant furieux qu’une organisation internationale de premier plan ait non seulement souligné ses violations du droit international mais ait également exhorté les gouvernements du monde entier à agir en conséquence.
Cependant, loin d’approuver le rapport d’Amnesty International, les dirigeants mondiaux se sont surtout concentrés sur le compromis des deux États. La réponse en elle-même protège le colonialisme israélien, et joue également sur le rejet malheureux par Amnesty International de sa propre interprétation des origines coloniales d’Israël et de son occupation militaire. Les pratiques d’apartheid d’Israël sont des dérivés de son idéologie coloniale.
Si la communauté internationale était réellement engagée en faveur des droits politiques du peuple palestinien, la réticence d’Amnesty International à affirmer que les pratiques d’apartheid d’Israël font partie de son identité coloniale aurait confronté l’organisation à un dilemme.
Israël est rappelé à ses origines et à son caractère
Le rapport d’Amnesty International commence par une citation de l’ancien Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou datant de 2019 : « Israël n’est pas l’État de tous ses citoyens… [mais plutôt] l’État-nation du peuple juif et uniquement de lui. »
La citation est suivie d’un aperçu de la création d’Israël en 1948, lorsque l’intention de dominer, en termes de territoire et de démographie, a été établie. Sur la base des crimes contre l’humanité commis par Israël, des transferts forcés de la population palestinienne et du déni des droits et libertés fondamentaux – qui constituent une discrimination raciale – Amnesty a exhorté les gouvernements et les entreprises à reconnaître l’apartheid israélien et à cesser leur complicité à maintenir le système.
Le rapport souligne également l’inaction de la communauté internationale, en particulier les résolutions non contraignantes du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) qui n’ont jamais été appliquées. Il exhorte également le Conseil de sécurité des Nations unies à appliquer des sanctions, des gels d’avoirs et des embargos sur les armes à destination d’Israël – des mesures que le Conseil a déjà prises lorsque les pays en question étaient des cibles des États-Unis et de l’OTAN.
L’un des atouts majeurs du rapport d’Amnesty International est sa recherche, qui permet de voir l’apartheid israélien à travers les violations commises par Israël et l’expérience palestinienne, par opposition aux comparaisons antérieures et plus courantes avec l’expérience de l’apartheid en Afrique du Sud.
Les actions d’Israël supplantent le système d’apartheid du gouvernement sud-africain, et le gouvernement israélien a réussi à maintenir l’impunité pendant si longtemps parce qu’il n’a pas directement consacré l’apartheid comme un terme juridique. Au lieu de cela, il a opté pour la mise en œuvre d’un système de ségrégation et de discrimination à l’encontre des Palestiniens par le biais d’actions spécifiques, que la communauté internationale a classées comme des actions singulières, plutôt que comme un système complexe excluant les Palestiniens de leurs droits humains et politiques fondamentaux.
Les actions actuelles d’Israël remontent au plan sioniste de colonisation. Les premiers dirigeants sionistes ne se faisaient aucune illusion sur l’attachement tenace des Palestiniens à leur terre – la solution pour créer l’État juif se trouvait dans le nettoyage ethnique. Les politiques d’apartheid d’Israël sont une forme plus subtile de maintien de l’exclusivité juive et d’une majorité démographique, toutes deux dissimulées sous le discours sécuritaire qu’Israël a trop bien vendu à une communauté internationale fortement dépendante de la technologie de surveillance israélienne.
Une contradiction flagrante
Le rapport d’Amnesty International a eu une bonne résonance internationale, et pas en faveur d’Israël. Cependant, alors que le gouvernement et les diplomates israéliens faisaient pression pour que le rapport soit récusé, les omissions du rapport de l’organisation de défense des droits humains sont devenues plus évidentes, comme l’ont souligné les Palestiniens sur les réseaux sociaux.
Alors que les médias grand public se concentraient sur la réaction d’Israël, Amnesty International a commencé à clarifier sa position. Comme l’illustre ce tweet de la branche américaine de l’organisation, « Amnesty n’a pris aucune position sur l’occupation elle-même. »
L’essentiel, par conséquent, est que si le rapport d’Amnesty International fait de l’apartheid israélien une discussion grand public, le peuple palestinien lui-même est une fois de plus exclu de l’articulation de son expérience. Plusieurs Palestiniens ont souligné les contradictions entre le positionnement d’Amnesty International et son rapport, notamment l’ouverture défensive de sa conférence de presse de lancement du rapport en soulignant le droit d’Israël à exister.
Affirmer que seul Israël a le droit d’exister contredit le droit légitime du peuple palestinien à la lutte anticoloniale en droit international.
Si l’on garde à l’esprit que le système d’apartheid d’Israël trouve ses fondements dans son idéologie coloniale, comment Amnesty International espère-t-elle que l’apartheid israélien sera démantelé sans décolonisation ?
Pendant des décennies, la communauté internationale a réclamé à cor et à cri la « fin de l’occupation » tout en fermant les yeux sur le colonialisme de peuplement. Isoler l’apartheid israélien de ses origines coloniales ne fera que renforcer les violations que les gouvernements israéliens ont perfectionnées depuis 1948.
Une narration cohérente est nécessaire
Jusqu’à présent, la Palestine reste une conjecture internationale basée sur des résolutions qui favorisent la colonisation israélienne. Et malheureusement, le plus grand promoteur de la farce des deux États, qui promeut aussi indirectement l’apartheid israélien en forçant les Palestiniens à adopter le paradigme humanitaire, est de loin l’Autorité palestinienne (AP).
L’AP a adopté les désignations internationales de la Palestine et les communique comme faisant partie du récit palestinien. Mais de nombreux Palestiniens plaident aujourd’hui en faveur de la décolonisation et d’un État démocratique unique avec des droits égaux pour tous. Cela signifie qu’il faut faire le point sur les origines violentes d’Israël, qui ont fourni le cadre du système d’apartheid actuel.
Le porte-parole de l’AP, Nabi Abu Rudeineh, a déclaré : « Un occupant impliqué dans l’apartheid comme le proclament les organisations de la société civile n’a aucune légitimité. »
L’apartheid à lui seul peut devenir un nouveau slogan et tout l’élan généré par les récents rapports peut rapidement être perdu. Surtout si le motif sous-jacent est de dissocier le colonialisme israélien de son système d’apartheid.
Pour maintenir l’élan, les Palestiniens doivent être à bord et leurs voix doivent être amplifiées. Le peuple palestinien n’a cessé de réclamer la reconnaissance de son histoire, et la communauté internationale l’a sanctionné par des éléments maniables. Après tout, une crise humanitaire est plus facile à normaliser et à ignorer, et c’est ce qui s’est passé avec la Palestine.
Il est maintenant temps d’exiger un pas de plus – il faut lire les rapports dans le contexte colonial d’Israël et le nettoyage ethnique qu’il mène toujours contre le peuple palestinien. Sans vérités historiques, il ne peut y avoir de justice.
Article original en anglais sur Inside Arabia / Traduction MR
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