Référendum en Nouvelle-Calédonie : La dernière poche de colonisation de peuplement de la France

Joseph Massad, 16 décembre 2021. Le référendum sur l’indépendance organisé cette semaine en Kanaky, ou ce que la France appelle la “Nouvelle-Calédonie”, a été boycotté par la majorité du peuple autochtone kanak, contrairement à la majorité des colons blancs qui y ont participé.

Son résultat attendu est une défaite de la cause indépendantiste. Il semble que les colonies de peuplement européennes restent assujetties aux colons blancs, non seulement dans les grandes colonies de peuplement blanches des Amériques et d’Océanie, mais aussi dans les plus petites, que ce soit dans le Pacifique Sud, en Afrique australe, en Palestine ou à Hawaï.

Au nord de la Nouvelle-Zélande et à l’est de l’Australie se trouve un petit groupe d’îles mélanésiennes que le capitaine James Cook a visitées en 1774. Cependant, ce ne sont pas les Britanniques qui se sont emparés de ces îles, mais les Français, en 1853, qui ont revendiqué la Nouvelle-Calédonie comme une colonie.

Les autochtones kanaks, qui avaient accueilli Cook et plus tard les Français, ont été attaqués et tués par ces derniers qui les ont qualifiés de “sauvages”.

Alors que les Français volaient les terres des kanaks et introduisaient du bétail qui ravageait leurs terres agricoles, réduisaient nombre d’entre eux en esclavage pour les faire travailler sans les payer et construisaient des mines pour extraire des métaux (en particulier du nickel), plusieurs attaques de résistance ont visé les Français entre 1853 et 1878.

Certains des chefs kanaks, comparés dans les années 1860 au chef de la résistance algérienne Amir ‘Abd al-Qadir, sont exilés à Tahiti, tandis que d’autres sont cooptés pour travailler avec les Français contre d’autres clans. En 1867, une douzaine de Kanaks sont guillotinés pour avoir attaqué des gendarmes français.

Une colonie pénitentiaire

En 1868, les Français placèrent les Kanaks dans des réserves et exproprièrent d’immenses étendues de leurs terres. Les maladies européennes décimèrent la population kanake, qui comptait environ 42.000 personnes en 1887, ce qui représentait déjà un déclin important depuis l’arrivée des Français, bien que l’on ne dispose pas d’estimations de la population dans les années 1840.

En 1901, les Kanaks sont au nombre de 28.000 et ont diminué d’un tiers. Les Français s’attendent à ce qu’ils disparaissent en dix ans. Leur nombre n’augmente à nouveau que dans les années 1930 et n’atteint 42.000 qu’en 1963.

Après avoir massacré des milliers de citoyens français qui défendaient la Commune de Paris en 1871, les Français ont exilé près de 4.000 communards survivants en Nouvelle-Calédonie, déclarée colonie pénitentiaire en 1863.

Outre les 20.000 bagnards transportés en Nouvelle-Calédonie entre 1871 et 1908, 2.000 Algériens y ont été exilés pour avoir participé à l’insurrection d’Al-Muqrani en 1871, réprimée avec une férocité génocidaire par les Français.

Des similitudes avec Israël

En 1878, les Kanaks ont organisé un soulèvement contre les colons français et la colonisation française. Ils tuent 200 colons tandis que les Français tuent 1.200 Kanaks et en déportent 1.000 autres. Les Kanaks sont placés dans des réserves et leurs terres sont distribuées aux Communards. Les Français ont qualifié l’insurrection de guerre de “la sauvagerie contre la civilisation”.

En 1894, les Français exproprient encore plus de terres kanakes sous la justification, souvent utilisée par les Israéliens pour confisquer les terres palestiniennes, que “l’indigène n’est pas propriétaire de la terre, et quand le gouvernement français s’approprie la terre, il ne fait que reprendre sa propre terre.” Les Kanaks sont alors mis au service des colons blancs.

En 1896, la Nouvelle-Calédonie devient une colonie de peuplement, et les îles s’ouvrent à la colonisation civile.

Pendant la première guerre mondiale, les Français ont enrôlé de force les Kanak dans leur armée et ont menacé de brûler leurs villages si leurs chefs ne fournissaient pas de “volontaires”. Sur les 1.134 Mélanésiens qui ont combattu pour la France, 374 sont morts (deux fois plus que les colons), plus de la moitié de maladie.

En 1917, les colons ont commencé à voler les dernières terres kanakes sur les hauts plateaux, où les Kanaks s’étaient retirés, pour faire paître leur bétail. Les gendarmes brûlent les maisons des Kanaks qui résistent, ce qui entraîne une nouvelle révolte au cours de laquelle les Kanaks tuent 11 Européens. Les Français répondent en tuant 200 Kanaks et écrasent le soulèvement.

Le système d’apartheid

Au cours de la période qui a suivi la Première Guerre mondiale, la Nouvelle-Calédonie est revenue au système d’apartheid que les Français avaient mis en place à la fin du XIXe siècle. Le travail forcé et les lois sur les laissez-passer restent en vigueur. En 1934, une récompense de dix francs est versée à ceux qui signalent un indigène trouvé en “situation irrégulière” – des lois qui ne sont pas sans rappeler les “pass laws” qu’Israël a imposées aux Palestiniens à l’intérieur du pays entre 1948 et 1966.

Le français, langue d’enseignement dans les écoles des missionnaires, devient obligatoire en 1923 dans les écoles publiques. Déjà, à la fin de la Première Guerre mondiale, la majorité des Kanaks parlaient la langue de leurs oppresseurs. Ils restent consignés aux travaux agricoles.

Comme dans les colonies françaises d’Afrique dont les populations sont enrôlées dans les guerres de la France, pendant la Seconde Guerre mondiale, les Kanaks sont à nouveau appelés à servir. Les colons blancs, les Kanaks et les Tahitiens servent dans un “Bataillon mixte du Pacifique”, y compris lors de la libération de la France en 1944.

La constitution française de 1946 libéralise le pouvoir colonial, mais refuse d’accorder le suffrage aux Kanaks jusqu’en 1957. Les colons blancs sont horrifiés et réclament une augmentation de la colonisation blanche. Les Français répondent à leur appel et les colons français continuent aujourd’hui à affluer en Nouvelle-Calédonie, d’autant plus qu’en tant que fonctionnaires, ils gagnent le double de ce qu’ils gagneraient en France.

Les appels à l’indépendance

À la fin des années 1970, des appels à l’indépendance sont adoptés par les partis politiques kanaks qui se regroupent en 1984 au sein du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). Leur appel à l’indépendance est combattu par la France, les anciens colons français dits “Caldoches”, et les colons plus récents dits “Métros”, représentés dans le “Rassemblement pour la Nouvelle-Calédonie dans la République”.

La lutte en cours pour l’indépendance de la Kanaky, que les Français ont baptisée “les événements”, a éclaté en 1984 et a culminé en 1988 avec l’assassinat de quatre gendarmes et les “représailles” françaises, qui ont tué 19 Kanaks. À la lumière de ces meurtres, les partis pro et anti-indépendantistes ont signé les accords de Matignon en 1988, convenant d’une stratégie de changement “pacifique”.

Voyant cela comme une trahison, un dissident kanak tue le leader du FLNKS, Jean-Marie Tjibaou, et son adjoint en 1989, pour avoir signé les accords.

En contraste, à la suite de la première Intifada de 1987 et des “accords d’Oslo” de 1993 qui n’ont pas permis de créer un État palestinien, l’Autorité palestinienne a poursuivi son massacre des Palestiniens qui s’opposent à sa capitulation, un arrangement bien pire pour les Palestiniens que les accords de Matignon pour les Kanaks.

Les Français ont commencé à décentraliser le pouvoir pour transférer une partie du pouvoir colonial aux autorités locales, un processus qu’ils ont appelé “rééquilibrage”. En 1998, l’accord de Nouméa a été signé pour accélérer le rythme de l’autonomie et “intégrer” les Kanaks dans leur propre patrie colonisée pendant une période transitoire de deux décennies, au terme de laquelle trois référendums seraient organisés pour déterminer si la Nouvelle-Calédonie obtiendrait son indépendance ou resterait une colonie française (ce qu’Israël ne permettrait jamais à l’intérieur d’Israël et des territoires occupés).

Le référendum

Le référendum de 2018, critiqué pour son parti pris contre l’indépendance, s’est tout de même soldé par 56 % de “non” à l’indépendance et 44 % de “oui”, avec 81 % de l’électorat participant. Lors du second référendum de 2020, 47 % ont choisi l’indépendance, soit un gain de trois pour cent, tandis que 53 % ont voté contre, soit une baisse de trois pour cent, avec 79 % de l’électorat participant.

Les partis kanaks ont demandé que le référendum de cette année soit reporté en raison de la dernière augmentation des infections Covid-19, mais le président Emmanuel Macron a refusé, entraînant un boycott de la majorité des Kanaks.

Les résultats du vote de cette semaine, auquel seulement 42 % de l’électorat a participé, sont à 96 % contre l’indépendance. Macron a célébré ce résultat antidémocratique, déclarant : “La France est plus belle parce que la Nouvelle-Calédonie a choisi de rester”. Macron a déclaré que la France est “fière” de ce processus, qui a en fait maintenu intacte la colonie de peuplement de la France et ses colons blancs dominants sur les Kanaks autochtones.

Tout comme la Palestine est la seule colonie de peuplement européenne intacte dans le monde arabe après la fin du colonialisme de peuplement italien en Libye dans les années 1940 et 1950, la fin du colonialisme de peuplement français au Maroc et en Tunisie dans les années 1950, et la libération de l’Algérie en 1962 (certains des colons français d’Algérie sont partis en Nouvelle-Calédonie), la Kanaky reste le seul grand pays soumis au colonialisme de peuplement français après l’indépendance de la plupart de ses voisins insulaires.

Comme pour les Palestiniens colonisés, qui ont moins de droits que ceux acquis par les Kanaks au cours du dernier demi-siècle, et qui restent soumis au pouvoir racialisé de leurs colonisateurs, les Kanaks colonisés restent soumis au pouvoir racialisé des colons français blancs et de leur mère patrie.

Pas étonnant que Macron soit aussi exubérant et fier que les dirigeants israéliens.

Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR

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