Partager la publication "L’Europe veut un programme pédagogique qui permette à Israël d’occuper les esprits des Palestiniens, comme il occupe leurs terres"
Eman Abusidu, 24 septembre 2021. Le site d’information israélien Ynet a révélé que des discussions ont eu lieu au Parlement européen sur le gel du financement des programmes d’enseignement dans les territoires palestiniens occupés, car les élèves sont « encouragés » à la violence contre les Israéliens. De telles allégations ne sont pas nouvelles. En décembre 2020, le corps législatif norvégien a soutenu la réduction de l’aide à l’Autorité palestinienne sous prétexte que celle-ci n’a pas réussi à réduire les incitations contre les Israéliens juifs dans les programmes scolaires. Rien n’est dit sur l’incitation israélienne des enfants, en particulier des colons illégaux, à attaquer les Palestiniens et leurs terres occupées.
Le monde, semble-t-il, ne se contente pas de garder le silence sur l’occupation de la terre palestinienne par Israël, il veut aussi qu’il occupe les esprits, la culture et l’instruction des Palestiniens. Encore une fois, ce n’est pas nouveau. Israël a toujours su que l’instruction donne aux gens les moyens de créer des opportunités et de provoquer des changements politiques cruciaux, comme la fin d’une occupation militaire brutale, par exemple. Les autorités d’occupation israéliennes essaient de contrôler les programmes scolaires palestiniens depuis leur introduction en 2000.« Israël et ses plateformes médiatiques, qu’elles soient officielles ou indépendantes, jouent toujours le même air selon lequel le cursus palestinien incite à la violence et au terrorisme », explique le chercheur et historien Dr Johnny Mansour. « Ils exercent une pression constante concernant les termes, les phrases et les sujets liés à la résistance palestinienne et à l’occupation israélienne. Cependant, Israël ne change aucun de ses propres programmes ou manuels scolaires liés à ses offensives militaires contre les Palestiniens. Il est fier de ce que les gangs de « terroristes juifs » ont fait en termes de meurtres, de bombardements et de nettoyage ethnique avant et après 1948. » L’auteur Robin Corbett détaille le « terrorisme juif 1944-47 » contre les Palestiniens et les autorités du mandat britannique dans son livre Guerrilla Warfare : From 1939 to the Present Day (Orbis, 1986).
L’oppression pédagogique exercée par l’occupation israélienne de la Palestine a évolué au fil du temps. De 1948 à 1967, date à laquelle Israël a occupé la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza, les écoles palestiniennes de Cisjordanie suivaient le programme scolaire jordanien, tandis que celles de Gaza suivaient le programme scolaire égyptien. Les écoles en Israël suivaient le programme scolaire israélien qui offrait la possibilité d’apprendre l’arabe ; un cinquième de tous les citoyens israéliens sont, rappelons-le, des Arabes palestiniens. Les manuels scolaires jordaniens et égyptiens ont été adoptés par les Palestiniens à ce stade, soumis à la censure du gouvernement militaire israélien en charge de l’enseignement palestinien de 1967 à 1993. Des livres entiers ont été interdits, tandis que des mots et parfois des sections de manuels ont été supprimés sous prétexte de « sécurité ».
Avec la signature des accords d’Oslo en 1993, la responsabilité de l’enseignement en Cisjordanie et à Gaza a été transférée à l’Autorité nationale palestinienne. Cela ne signifiait pas qu’Israël laissait le secteur pédagogique s’exercer librement. Bien au contraire, les Israéliens n’ont cessé de lutter contre le cursus scolaire palestinien.
« L’existence d’un programme pédagogique palestinien est un exploit en soi », m’a dit Mansour. « C’était, et cela reste, une forme d’indépendance du secteur éducatif, même s’il est encadré et observé au microscope par l’occupation israélienne. »
Le programme pédagogique palestinien a été développé à tous les niveaux scolaires. Il couvre l’histoire palestinienne, y compris, bien sûr, l’occupation depuis 1948. Cependant, on constate encore des ingérences extérieures, l’aide financière étant conditionnée dans certains cas à l’imposition des desseins israéliens sur le matériel pédagogique et les manuels, voire sur les sujets étudiés.
« Le financement de l’enseignement, du secteur de la santé, des infrastructures et d’autres domaines permet à l’Occident de forcer les Palestiniens à adopter des observations et des directives restrictives pour le programme scolaire. L’Occident insiste pour que le programme scolaire palestinien soit ‘neutre’ et ‘modéré’, tel que défini par les donateurs pro-Israël. »
La situation de l’enseignement à Jérusalem est la plus complexe, car elle est sous le contrôle du ministère israélien de l’Education à Jérusalem et couvre plus de 65 % des écoles arabes palestiniennes de la ville occupée. Ces écoles subissent de fortes pressions – impliquant la coercition, l’incitation et l’intimidation ouverte – pour remplacer le programme palestinien par le programme israélien.
Les Palestiniens de Jérusalem craignent que le jour vienne où leurs enfants seront contraints d’étudier des manuels scolaires qui décrivent leur ville comme la « capitale indivisible d’Israël ». Selon le ministère israélien de l’Education, l’objectif est « d’améliorer la qualité de vie des résidents des quartiers arabes de Jérusalem et de renforcer leur capacité à s’intégrer dans la société israélienne. » D’où la volonté d’Israël de contrôler par tous les moyens possibles le secteur de l’éducation dans toute la Jérusalem occupée.
« La censure n’a pas seulement un effet sur les sujets enseignés, mais aussi sur les mots et les images. Le drapeau palestinien et les images palestiniennes emblématiques telles que le keffieh sont supprimés », a déclaré Mansour. « De même, les mots qui renforcent la présence de l’histoire palestinienne dans la vie de l’élève, comme martyrs, soulèvement palestinien, lutte et bien d’autres, ont été enlevés. »
Selon le docteur Mohammad Amro, universitaire palestinien, les plateformes en ligne peuvent jouer un rôle important pour relever ces défis et soutenir la diffusion de la culture et de l’identité palestiniennes. « Il y a beaucoup de matériel en ligne pour éduquer et sensibiliser à la Palestine, que ce soit dans le pays ou à l’étranger », m’a-t-il dit. « De nombreuses institutions et initiatives mettent en ligne des schémas de travail et des plans de cours pour enseigner la Palestine, les réfugiés et l’histoire palestinienne. »
En outre, il estime que le rôle de l’enseignant dans ce qu’il appelle « l’éducation invisible » des enfants palestiniens dans des cadres formels où un matériel « neutre » a été imposé est crucial. Un bon enseignant, dit-il, sera capable de présenter le contexte palestinien, quels que soient les ressources et le matériel pédagogique utilisés. « L’enseignant peut transformer l’école d’un lieu où l’information est reçue et traitée, en un lieu pour dynamiser et valoriser les jeunes Palestiniens. »
Les Palestiniens savent depuis des décennies que l’enseignement est un élément vital de leur lutte de libération. En conséquence, le gouvernement israélien cherche à supprimer toute résistance, même non violente, à son occupation brutale, et fait tout son possible pour affaiblir le secteur de l’éducation dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967. Cette campagne se poursuit, car l’État d’occupation tente d’effacer l’identité, le patrimoine et l’histoire palestiniens, et d’occuper les esprits ainsi que la terre par le biais du programme pédagogique enseigné aux enfants palestiniens.
L’article original en anglais est publié sur Middle East Monitor / Traduction MR
[writers slug=eman-abusidu]