Abbas et l’Autorité palestinienne intensifient leur campagne pour faire taire les dissidents

Dalal Yassine, 12 août 2021. L’Autorité palestinienne a annoncé de nouvelles mesures visant à limiter la liberté d’expression des Palestiniens qui vivent déjà sous l’occupation israélienne. Mahmoud Abbas espère étouffer les critiques, mais ces politiques répressives ne font que générer une hostilité encore plus grande.

Protestation contre l’assassinat de Nizar Banat, Ramallah, 24 juin 2021 (Flash90)

12.08.2021 – A la fin du mois dernier, le Conseil des ministres de l’Autorité palestinienne (AP) a annoncé une nouvelle décision visant à limiter la liberté d’expression des Palestiniens vivant déjà sous l’occupation israélienne. L’AP a supprimé l’article 22 du “Code de conduite et d’éthique de la fonction publique”, qui stipulait que les fonctionnaires ont le droit d’exprimer leur opinion verbalement ou par écrit, y compris sur les réseaux sociaux. La seule condition de l’article 22 était que les employés indiquent qu’il s’agissait de leur opinion personnelle et non de celle de l’agence gouvernementale où ils travaillaient. Il s’agit de la dernière mesure prise par le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, pour restreindre encore davantage les rares libertés dont disposent les Palestiniens et renforcer son emprise fragile sur le pouvoir.

La décision de l’AP fait suite à la torture et au meurtre du militant Nizar Banat. En réponse à la vague de protestations suscitée par cet assassinat, les forces de sécurité de l’AP et les voyous affiliés au mouvement Fatah d’Abbas ont attaqué les manifestants. Ces attaques ont été suivies d’arrestations et d’intimidations de militants et de journalistes, ainsi que d’employés d’organisations d’aide juridique et de défense des droits humains. Pour éviter que les protestations ne s’étendent, Abbas espère étouffer les critiques émanant de l’intérieur et de l’extérieur de l’AP et du Fatah.

L’article 22 protégeait les fonctionnaires des poursuites disciplinaires engagées par les chefs des services et des institutions gouvernementales de l’AP. Le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh a justifié l’abolition de cet article en affirmant que la liberté d’expression est garantie par la Loi fondamentale palestinienne. La Loi fondamentale était censée être une constitution temporaire, mais elle est devenue permanente. En outre, les institutions de l’AP sont principalement guidées par le Code de conduite professionnelle et non par la Loi fondamentale. Bien que l’article 19 de la Loi fondamentale interdise toute atteinte à la liberté d’opinion et au droit d’expression sous toutes ses formes, l’AP viole constamment ces droits.

Après l’abrogation de l’article 22, des mesures ont été prises contre les critiques internes. L’un des plus connus était Ehab Bessaiso, président de la Bibliothèque nationale palestinienne et ancien ministre de la Culture. Bessaiso a critiqué le meurtre de Banat sur les médias sociaux et a été démis de ses fonctions. Selon la principale organisation palestinienne de défense des droits humains, Al-Haq, un certain nombre de fonctionnaires ont été convoqués par leurs supérieurs et interrogés sur leurs déclarations sur les médias sociaux. En outre, les services de sécurité préventive palestiniens ont interrogé des Palestiniens qui avaient exprimé des opinions sur les événements récents.

L’AP est le principal employeur de Cisjordanie et les chefs de départements et d’organes gouvernementaux sont en grande partie issus du mouvement Fatah d’Abbas. L’abrogation de l’article 22 vise à garantir leur respect et leur loyauté et cela s’étend également aux membres de leur famille qui dépendent des salaires de l’AP.

L’autoritarisme désespéré de M. Abbas s’est accru depuis que des scissions sont apparues au sein du mouvement Fatah au sujet du projet d’élections. En mars, Nasser al-Qudwa, le neveu de Yasser Arafat, a annoncé qu’il se présentait aux élections parlementaires palestiniennes prévues sur sa propre liste électorale. La liste “Liberté” d’Al-Qudwa a reçu le soutien de Marwan al-Barghouti, le chef populaire du Fatah emprisonné. Abbas a riposté en renvoyant Al-Qudwa du conseil d’administration de la Fondation Yasser Arafat et en l’expulsant du Fatah. Début mai, Abbas a annulé les élections parlementaires, qui n’ont pas été reprogrammées. La liste “Liberté” était populaire parmi les membres du Fatah et les actions d’Abbas suscitent un ressentiment croissant au sein du mouvement.

Abbas et l’AP ont une longue histoire notoire de violations des droits de l’homme et d’adoption de lois qui sapent les droits des Palestiniens. La loi sur la cybercriminalité a été utilisée pour faire taire les critiques en ligne et menacer les journalistes. En vertu de cette loi, les procureurs ont émis un mandat d’arrêt contre Nizar Banat, qui a abouti à son arrestation et à son assassinat sous la torture.

Un comité officiel a été créé pour enquêter sur le meurtre de Banat et 14 membres du personnel de sécurité palestinien ont été arrêtés. La famille de Banat n’a toujours pas reçu le certificat de décès et travaille actuellement avec des organisations locales et internationales de défense des droits de l’homme pour préparer un mémorandum judiciaire à soumettre à la Cour pénale internationale (CPI). Une enquête de la CPI serait un embarras majeur pour Abbas et l’AP. Pour éviter que cela ne se produise, Abbas tente de résoudre le problème par le biais d’intermédiaires tribaux (vidéo ci-dessous). Cependant, la famille de Banat a rejeté les tentatives de réconciliation. Entre-temps, les services de sécurité de l’AP l’ont surveillée et harcelée.

Abbas a pu compter sur le soutien des États-Unis et d’Israël pour maintenir son pouvoir. Mais 16 années après, le soutien américain pourrait finalement s’affaiblir. Lors d’une récente session du Conseil de sécurité des Nations unies, la représentante permanente des États-Unis auprès des Nations unies, Linda Thomas-Greenfield, a exprimé son inquiétude face aux “récents rapports selon lesquels l’Autorité palestinienne agirait pour restreindre la liberté d’expression des Palestiniens et harceler les militants et les organisations de la société civile“. Washington a également exprimé son inquiétude concernant le meurtre de Banat et a exigé une enquête complète sur les circonstances de sa mort afin que les responsables rendent des comptes. Il reste à voir ce que l’administration Biden fera, le cas échéant, pour garantir que l’obligation de rendre des comptes soit respectée. Si les États-Unis ont l’intention d’écarter Abbas, il est peu probable que son remplaçant constitue une amélioration.

Mais Abbas ne part pas tranquillement. Il y a dix ans, au milieu des manifestations du Printemps arabe, Abbas promettait dans une interview télévisée

que, contrairement aux autres dirigeants arabes, il “démissionnerait avant la première manifestation contre moi“. Il ajoutait : “Avant que quatre, dix ou vingt manifestants n’appellent Mahmoud Abbas à démissionner, je démissionnerais.” “Si le peuple était contre moi, je partirais“, déclarait-il.

Pourtant, alors que des milliers de personnes ont manifesté et exigé sa démission après le meurtre de Banat, Abbas a travaillé en coulisses pour se maintenir au pouvoir.

Sous l’occupation israélienne et le régime autoritaire d’Abbas, les Palestiniens qui critiquent l’AP risquent de perdre leur emploi, d’être arrêtés, torturés et même assassinés. Même si les récentes manifestations ont démontré que l’AP a perdu sa légitimité, Abbas s’assure de la loyauté des gens par la peur. Il contrôle l’accès aux fonds publics et aux emplois et commande des forces de sécurité intérieure agressives. Ce qui promet des politiques plus répressives à l’avenir, qui susciteront une hostilité encore plus grande de la part des Palestiniens dont les rêves de liberté sont étouffés par une autorité brutale et corrompue.

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Article original en anglais sur Mondoweiss / Traduction MR pour ISM