L’ennemi intérieur : les États arabes qui commercent avec Israël

Mohamad Hasan Sweidan, 31 janvier 2024. Les données sur les importations israéliennes révèlent qu’un certain nombre de pays arabes jouent un rôle important dans le soutien du volume commercial de l’État d’occupation, malgré les tentatives d’autres pays de la région d’affaiblir l’économie israélienne.

Depuis le début de cette décennie, les ports israéliens grouillent d’arrivées de marchandises en provenance de toute la région. Chaque expédition stimule non seulement l’économie de l’État d’occupation, mais tisse également un récit qui va au-delà des statistiques commerciales, car ces interactions économiques comportent un flux caché de signification politique.

Bien qu’elle ne soit pas un pays arabe, la Turquie a été le premier État musulman à établir des relations diplomatiques avec Tel-Aviv et est aujourd’hui en tête du peloton des États d’Asie occidentale qui stimulent les importations israéliennes. Rien qu’en 2020, la valeur des exportations turques a atteint 5,7 milliards de dollars, soit 6,2 % du total des importations israéliennes cette année-là.

Le fer et l’acier (1,06 milliard de dollars), les plastiques (464,67 millions de dollars), les équipements électriques et électroniques (346,83 millions de dollars), les véhicules (331,48 millions de dollars), les machines (298,89 millions de dollars), les métaux (261,66 millions de dollars) et les matériaux de construction (188,39 millions de dollars) forment le pierre angulaire des exportations turques vers l’entité sioniste.

Commerce et investissements des pays musulmans avec Israël (voir le schéma sur l’article original pour un format supérieur)

En deuxième position se trouvent les Émirats arabes unis, qui ont normalisé leurs relations avec Tel-Aviv dans le cadre des accords d’Abraham négociés par les États-Unis en 2020, et ont été le premier État arabe à signer un accord de libre-échange (2022) avec Israël dans le cadre d’un plan destiné à stimuler le commerce mutuel à 10 milliards de dollars par an. Les exportations de cet État du golfe Persique étaient évaluées à 1,89 milliard de dollars en 2022, soit 2,1 % de toutes les importations israéliennes.

La hausse de 1.543 % de la valeur des exportations émiraties vers Israël depuis l’accord de normalisation est particulièrement intrigante. Les catégories d’exportations remarquables comprennent les métaux et pierres précieux (525,32 millions de dollars), le fer et l’acier (483,95 millions de dollars), les équipements électriques et électroniques (210,71 millions de dollars) et le pétrole (94,55 millions de dollars).

« Business as usual »

La troisième place est occupée par la Jordanie, dont les exportations vers Israël en 2022 ont atteint 469,25 millions de dollars, soit une augmentation massive de 489 % par rapport à 2018. Les principales catégories d’exportations du Royaume hachémite comprennent les plastiques (135,2 millions de dollars), les équipements électriques et électroniques (127,93 millions de dollars) et le fer et acier (74,35 millions de dollars).

Quant à l’Égypte, premier État arabe à conclure la paix avec Israël et à le reconnaître, ses exportations vers l’État d’occupation en 2022 se sont élevées à 179,31 millions de dollars. Les catégories d’exportations notables comprennent les produits chimiques inorganiques, les composés de métaux précieux (61,15 millions de dollars), les matériaux de construction (14,26 millions de dollars), les produits alimentaires (12,78 millions de dollars) et les plastiques (11,32 millions de dollars).

Étonnamment, l’Algérie occupe la cinquième place, avec des exportations vers Israël atteignant 21,38 millions de dollars en 2022, dont la majorité sont des produits chimiques inorganiques, des composés de métaux précieux et des isotopes. La révélation des relations commerciales entre l’Algérie et Israël par la base de données de l’ONU soulève des questions sur la position de longue date de l’Algérie contre la normalisation, y compris sa criminalisation il y a deux ans.  (1)

Le Maroc occupe la sixième place, avec des exportations vers Israël s’élevant à 17,92 millions de dollars en 2022, majoritairement composées de produits alimentaires. Rabat a repris ses relations diplomatiques et commerciales avec Israël dans le cadre des accords de 2020.

Enfin, les exportations de Bahreïn vers Israël en 2022 ont atteint 10,58 millions de dollars, soit une augmentation stupéfiante de 12 083 % par rapport à 2020, année de l’accord de normalisation entre Manama et Tel-Aviv. Les principales exportations comprennent l’aluminium (8,78 millions de dollars) et le fer et l’acier (2,62 millions de dollars).

Ainsi, les exportations combinées des pays d’Asie occidentale vers Israël ont bondi de 4.359.530.000 dollars entre 2020 et 2022, soit une augmentation de près de 111 %.

Importations d’énergie israéliennes

Israël dépend fortement du pétrole et du gaz naturel pour sa production d’électricité, ces sources constituant 80 % de son approvisionnement énergétique total. C’est un exportateur net de gaz naturel, ayant exporté 9,4 milliards de mètres cubes à l’étranger en 2022, dont 6,5 milliards de mètres cubes vers l’Égypte et 2,9 milliards de mètres cubes vers la Jordanie.

En revanche, Israël importe la totalité de ses réserves de pétrole et consomme environ 220.000 barils par jour. Sur ce montant, 62 % proviennent de deux pays à majorité musulmane, à savoir le Kazakhstan (93.000 barils) et l’Azerbaïdjan (45.000 barils). Le reste provient de pays d’Afrique de l’Ouest, notamment du Gabon, du Nigeria et de l’Angola, en plus du Brésil, et une quantité non divulguée est transportée illégalement depuis le Kurdistan irakien.

Pour faciliter l’importation de la majeure partie du pétrole israélien, le port turc de Ceyhan, dans le sud-est de la Turquie, joue un rôle crucial. Il sert de point de chargement pour les pétroliers transportant du brut du Kazakhstan et de l’Azerbaïdjan via la mer Caspienne via l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan. Les pétroliers transportent également du pétrole du Kurdistan irakien le long de la Méditerranée orientale jusqu’aux ports de Haïfa et d’Ashkelon.

Les pétroliers arrivent dans l’État d’occupation via deux ports maritimes principaux : celui d’Ashkelon susmentionné, équipé de 22 réservoirs contenant 11 millions de barils, et celui d’Eilat, au sud, avec 16 grands réservoirs de pétrole capables de contenir environ 1,4 million de mètres cubes de pétrole. Ce dernier a vu son activité chuter de 85 % en raison de l’augmentation des opérations navales exécutées par les forces yéménites alignées sur Ansarallah dans la mer Rouge contre les navires à destination d’Israël.

Environ 180.000 barils par jour atteignent Ashkelon, d’où des pipelines internes transportent le pétrole vers les ports d’Ashdod et de Haïfa. Les deux ports disposent de raffineries de pétrole d’une capacité respective de 100.000 et 197.000 barils par jour. De plus, un pipeline relie Ashkelon et Eilat, traversant le désert du Néguev avec une capacité de 1,2 million de barils par jour.

Malgré les tensions croissantes et les discours acerbes de certains États de la région à l’égard d’Israël depuis le début de son attaque militaire contre la bande de Gaza, l’activité commerciale reste largement ininterrompue. La Turquie, bien qu’elle qualifie Israël d’État « terroriste », contribue largement a son bien-être économique en aidant Tel-Aviv à contourner le blocus yéménite, en augmentant ses exportations globales vers Israël et en jouant un rôle central dans le transport du pétrole.

Malgré la guerre contre Gaza, les exportations turques sont passées de 319,5 millions de dollars en novembre 2023 à 430,6 millions de dollars en décembre, soit plus que les 408,3 millions de dollars exportés en juillet, avant l’opération Déluge d’Al-Aqsa du 7 octobre.

Les exportations vers Israël en provenance des Émirats arabes unis, de la Jordanie, de l’Égypte et du Maroc ne sont guère surprenantes : ce sont les États arabes les plus déterminés à défendre des politiques régionales qui servent les intérêts de l’État d’occupation. Le lien le plus surprenant, cependant, concerne les relations commerciales, même minimes, entre l’Algérie et Israël.

Comprendre les véritables positions des États signifie passer outre la rhétorique officielle et examiner les liens économiques que la politique cache souvent.

Article original en anglais sur The Cradle / Traduction MR

(1) Explication de ces chiffres surprenants sur Europalestine :

« En ce qui concerne l’Algérie, les chiffres qui ont été communiqués par ces institutions, font état d’un montant de 21,38 millions de dollars d’exportations algériennes vers Israël en 2022. Ces chiffres ont surpris nombre d’observateurs qui, connaissant la position traditionnelle de soutien clair et sans réserve de l’Algérie au peuple palestinien, n’ont pas manqué d’exprimer leur perplexité.

Mais après consultation d’experts, il s’avère que ces données, en ce qui concerne l’Algérie, ne résultent pas d’échanges bilatéraux mais d’un commerce triangulaire. Ces sources algériennes confirment qu’il ne peut exister aucun échange direct ni commerce bilatéral entre l’Algérie et Israël. Les contraintes réglementaires et techniques en Algérie rendent matériellement impossible toute transaction avec ce pays.   

Les chiffres communiqués par la Banque Mondiale et les Nations Unies proviennent de déclarations financières et douanières transmises par chacun des pays membres de ces institutions. Dans le cas précis des données relatives aux marchandises algériennes il s’agirait essentiellement d’exportations d’hélium impliquant des tierces parties qui achètent ce gaz à l’Algérie et en revendent une partie à des industriels israéliens. »

A propos de l’auteur : Mohamed Sweidan est chercheur en études stratégiques, écrivain pour différentes plateformes médiatiques et auteur de plusieurs études dans le domaine des relations internationales. Mohamed se concentre principalement sur les affaires russes, la politique turque et la relation entre la sécurité énergétique et la géopolitique. Son compte X : @mhmdsweidan