Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 578 / 17.11 – Dans les camps, aucune intimité pour les femmes

Brigitte Challande, 18 novembre 2025.– Compte rendu de l’atelier de soutien psychologique qui rend aux femmes leur voix et leur sérénité, le 17 novembre, dans le camp d’ Al-Hurriya.

« Au cœur du camp Al-Hurriya, dans la ville de Gaza, là où le ciel chargé de nuages rencontre des tentes usées la souffrance des femmes déplacées s’étend comme une ombre longue et sans fin. Une ombre sculptée par la guerre dans toutes ses saisons cruelles. Des femmes qui, en quelques mois, ont perdu ce qu’elles n’auraient jamais imaginé perdre en toute une vie : des maisons réduites en poussière, des souvenirs enterrés sous les décombres, un corps qui continue de porter la douleur malgré sa fragilité. Des femmes qui ne reconnaissent plus leur propre image, forcées d’affronter une vie sans contours, une vie gérée au jour le jour, de la goutte d’eau à la bouchée de pain, du froid qui mord les corps de leurs enfants jusqu’aux longues nuits où même le sommeil a peur de les visiter, car ce qui est à l’intérieur est plus dur que ce qui se passe dehors. Un quotidien habité par le chaos, où les mères restent des heures dans les files d’aide pour obtenir de quoi survivre, tandis que les jeunes filles luttent pour trouver un seul moment d’intimité où elles peuvent être elles-mêmes, loin des regards indiscrets et des dizaines d’yeux qui croisent chacun de leurs gestes. Un camp où la confidentialité disparaît comme la nuit derrière la lumière des explosions, où les frontières entre soi et le public se dissolvent, au point que les femmes disent : « Nous ne savons plus où commence notre corps et où commence la tente… tout est exposé, chaque émotion est visible, même nos larmes ne sont plus un secret. »

L’atelier Nous nous retrouvons pour guérir organisé par l’équipe de l’UJFP pour rassembler les femmes du camp dans un espace sécurisé, un espace qui leur offre un souffle, un moment qu’elles désirent.

Le camp, malgré l’immensité de ses tragédies, était prêt à accueillir trente femmes réunies dans l’une des tentes. Les femmes y sont entrées, certaines ignoraient ce qui allait se passer, d’autres masquaient le tremblement de leur cœur derrière un léger sourire. L’équipe animatrice les a félicitées pour leur courage d’être venues, car dans une réalité aussi dure, parvenir simplement à un lieu sûr est déjà une forme de survie.

Ainsi a commencé l’atelier, un voyage qui leur rappelle qu’elles ne sont pas seulement des survivantes, mais des femmes fortes à la recherche de la voix qui s’est perdue dans le vacarme des missiles.

La première activité, Mon histoire, ma voix, invitait chaque femme à raconter une partie de son vécu Elles se sont assises en cercle, proches, chacune regardant l’autre comme si elle regardait son propre chagrin dans un miroir. L’une a parlé de la longue nuit passée sous les bombardements à essayer d’apaiser ses enfants. Une autre a raconté comment elle a perdu en quelques minutes la maison qu’elle avait bâtie en dix ans. Une troisième a confié sa peur du lendemain, plus forte que la peur des explosions.

Certaines ont dit : « Pour la première fois, nous sentons que quelqu’un nous écoute sans nous juger, sans minimiser nos douleurs. Pour la première fois, nous ne nous sentons pas seules. »

Entre deux activités, dans un moment de silence, les femmes ont commencé à parler plus spontanément de leur vie quotidienne dans le camp : l’eau qui arrive parfois puis disparaît, les files d’attente qui volent la moitié de la journée, les enfants qui n’ont pour terrain de jeu que la poussière, les nuits sans sommeil, et la tente qui laisse entendre chaque murmure, même ceux qu’elles préfèreraient garder pour elles. Elles ont dit : « Nous manquons de la chose la plus essentielle… l’intimité. Nous vivons sous le regard constant de dizaines d’yeux qui nous observent, même quand nous pleurons, même quand nous nous taisons. » Une autre a murmuré : « Je veux juste vivre comme une enfant, pleurer sans qu’on me demande pourquoi, rire sans qu’on me dise que les circonstances ne le permettent pas. Nous voulons juste être normales… est-ce trop demander ? »

Le second atelier, La palette de mes émotions, était une activité non verbale basée sur le dessin quand les mots ne suffisent plus. Des feuilles blanches ont été étalées, des couleurs simples distribuées, et les femmes ont commencé à dessiner. L’une a dessiné une maison sans toit, une autre un œil en larmes dans un petit cœur, une troisième des lignes brisées ressemblant à ce qui reste de sa vie. Une fois l’exercice terminé, chacune a levé sa feuille comme si elle levait un morceau de son cœur. Une jeune femme a dit : « Je ne savais pas que je portais tout cela en moi, le dessin met l’âme à nu avec honnêteté. »

Lors d’un autre moment de transition, le besoin de vider leur souffrance est devenu plus intense, : la responsabilité des enfants, la maladie ou la perte de leurs maris, la peur du futur, la lutte contre la privation, et le regard impitoyable de la société. L’une a dit : « Nous combattons sur deux fronts… celui de la guerre et celui de la société. » Une autre : « Parfois, j’ai l’impression que la guerre est finie dehors mais qu’elle continue à l’intérieur de moi. » Une femme âgée : « Vous savez ce que je veux ? Une petite chambre rien que pour moi… juste pour moi… c’est tout ce dont j’ai besoin. »

Le troisième atelier, Nous sommes plus fortes ensemble, a permis au groupe de discuter de leurs sources de force intérieure et extérieure, des petites choses qui les aident à tenir : le rire d’un enfant, une amie dans la tente voisine, ou un souvenir qui résiste à l’oubli. Une femme a dit : « J’ai appris de mon amie ici que la force est contagieuse,quand une femme parle avec courage, elle donne du courage aux autres.

À l’approche de la fin, les femmes se sont assises en cercle, chacune partageant ce qu’elle emportait avec elle de cette rencontre. L’une a dit : « Aujourd’hui, j’ai découvert que ma tristesse n’est pas étrange… et que ma voix mérite d’être entendue. » Une jeune femme a ajouté : « Cette fois, je n’ai pas pleuré de peur, j’ai pleuré de soulagement. » Une autre a dit : « Cette séance m’a rendu une part de moi-même… une part que je croyais perdue sous les décombres. » Une dame a conclu : « Nous sommes les femmes de Gaza, nous souffrons, nous pleurons, nous avons mal, mais nous restons debout et nous resterons debout. » »

Photos et vidéos ICI.


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Partie 541 : 6 octobre. Partie 542 : 7 octobre. Partie 543 : 7 octobre (1). Partie 544 : 8 octobre. Partie 545 : 9 -10 octobre. Partie 546  : 9-10-11 octobre. Partie 547 : 11-12 octobre. Partie 548 : 13 octobre. Partie 549 : 14 octobre. Partie 550 : 15 octobre. Partie 551 : 16 octobre. Partie  552 : 17 octobre. Partie 553 : 18-19 octobre. Partie 554 : 19-20 octobre. Partie 555 : 21 octobre. Partie 556 : 22 octobre. Partie 557 : 24 octobre. Partie 558 : 25-26 octobre. Partie 559 : 26 octobre. Partie 560 : 27 octobre. Partie 561 : 28 octobre. Partie 562 : 29 octobre. Partie 563 : 31 octobre. Partie 564 : 2 novembre. Partie 565 : 3 novembre. Partie 566 : 4 novembre. Partie 567 : 4 novembre (1). Partie 568 : 6 novembre. Partie 569 : 7 novembre. Partie 570 : 8-9 novembre. Partie 571 : 9-10 novembre. Partie 572 : 11 novembre. Partie 573 : 13 novembre. Partie 574 : 14 novembre. Partie 575 : 14 novembre (1). Partie 576 : 16 novembre. Partie 577 : 16 novembre (1).

* Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268)
* Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
* Témoignages du 10 mai au 5 octobre 2025 (partie 393 à 540)
Pour participer à la collecte "Urgence Guerre à Gaza" : HelloAsso.com
Les témoignages sont publiés sur UJFP / Altermidi / Le Poing