Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 561 / 28.10 – Aujourd’hui Nuseirat était au coeur de l’enfer / La jeunesse s’accroche à l’espoir

Brigitte Challande, 29 octobre 2025.– Une journée de bombardement à Gaza le 28 octobre : quand les enfants se cachent dans les bras de leurs mères et que la mort s’éveille, accord violé.

« Il semble que le destin refuse d’accorder à Gaza un seul jour de répit. Comme si la tranquillité était devenue un rêve ajourné, impossible à atteindre. Depuis l’annonce du cessez-le-feu, les habitants n’ont jamais goûté au repos. L’occupation a violé l’accord des dizaines de fois, comme si de rien n’était. Chaque trêve n’est qu’une courte pause pour les canons et les missiles, non pour les gens. Et derrière chaque bref silence se cache une nouvelle tempête qui engloutit ceux qui restent en vie.

29 octobre au matin. Photos sur Quds News Network.

Dès l’aube de ce jour, le ciel s’est embrasé sous le feu des bombardements sur toutes les zones de la bande. Les bruits des roquettes, déchirant l’air comme des bêtes affamées à la recherche de leur proie, se sont gravés dans la mémoire. Aujourd’hui, Nuseirat était au cœur de l’enfer : les frappes n’ont pas cessé jusqu’aux premières heures du matin. La terre tremblait, les cris s’élevaient, les gémissements des blessés se mêlaient aux sirènes des ambulances qui ne se taisaient jamais. Gaza saigne sans relâche, la mort est devenue sa visiteuse permanente, qui ne part ni ne se lasse.

L’enfant se réfugie dans les bras de sa mère, comme un oisillon dans son nid au milieu de la tempête. Les femmes s’accrochent à leurs maris, tremblantes au son des missiles qui sifflent avant de s’abattre sur les maisons, les déchirant et les réduisant en cendres. Pas une maison n’a été épargnée, pas une rue qui ne soit emplie de poussière et de fumée. Les camps ont tremblé, les tentes se sont dispersées, et les hôpitaux ne peuvent plus accueillir de nouveaux patients. Les couloirs sont pleins de corps, certains bougeant avec peine, d’autres déjà sans vie. Les morgues sont saturées, et les noms s’ajoutent sans fin aux listes des victimes.

Quel monde est-ce donc que celui dans lequel nous vivons ? Quels cœurs peuvent voir sans ressentir ? À chaque coin de Gaza, une histoire. Et dans chaque histoire, une douleur indicible. Des enfants nés au milieu des ruines sans jamais connaître le jeu ; des femmes qui disent adieu à leurs fils et leurs maris dans un silence couvert de larmes ; des vieillards qui lèvent les mains vers le ciel, non pour demander la victoire, mais pour implorer le repos, la sérénité, une paix devenue aussi lointaine qu’un rêve.

La nuit, quand tout semble dormir, Gaza reste éveillée. Elle ne dort pas, de peur que les bombes ne la réveillent d’un court rêve. Les mères fixent le visage de leurs enfants comme si elles les saluaient une dernière fois. Les hommes observent le ciel en silence, sachant que les frappes peuvent reprendre à tout moment, et que la mort n’a pas besoin de frapper avant d’entrer.

Dans les rues, on voit des jouets brûlés, des cahiers éparpillés, portant des lettres tracées par de petites mains qui ignoraient que la dernière leçon de la vie serait d’apprendre à mourir en paix. Les larmes ont séché sur les visages tant on a pleuré. Et toujours les mêmes histoires : « elle dormait», « il jouait », « elle préparait le petit-déjeuner». Les bombes ne distinguent ni le sommeil de l’éveil, ni l’enfant du vieillard.

Ô monde cruel ! Comme ton cœur est froid, comme tes yeux sont aveugles à la vérité. On nous tue chaque jour sous ton regard, pendant que tu comptes tes pertes économiques ou débats de tes affaires politiques, loin de toute humanité. Quant à nous, nos cris ne sont que des échos qui se dissolvent dans le vacarme d’un monde ayant oublié qu’à Gaza, vivent encore des êtres qui respirent la douleur à chaque instant.

Était-il écrit que nous devions vivre parmi les décombres ? Est ce notre destin que nous soyons privés des droits les plus simples : dormir en paix, boire sans crainte, lever les yeux vers le ciel sans appréhension ? Combien de fois devrons-nous mourir pour convaincre ce monde que nous sommes vivants ? Combien de fois devrons-nous pleurer pour mériter d’être vus comme des victimes, et non comme des chiffres ?

Nous ne demandons pas l’impossible — seulement un moment de silence, un instant pour enterrer nos peines et apaiser nos cœurs épuisés. Nous voulons pleurer comme les autres, sans bombes ni sirènes. Nous voulons vivre, ne serait-ce qu’un peu, loin de l’odeur du sang et de la poussière. Nous voulons entendre le rire d’un enfant sans qu’il soit interrompu par une explosion, voir le visage d’une mère sans poussière, ouvrir nos fenêtres sans craindre le ciel.

N’est-il pas temps ? N’est-il pas temps de nous reposer ? De poser nos têtes sur des oreillers immobiles ? De nous endormir sans rêver de la mort ? N’est-il pas temps de nous accorder ce droit à la vie dont on nous prive depuis tant d’années ?

Mais il semble que le monde ait choisi le silence — un silence plus cruel que la guerre elle-même, un silence qui nous tue à petit feu. Et pourtant, Gaza demeure debout, sans se briser, comme si elle était née pour résister, non pour se rendre. En elle, il y a assez de douleur pour éteindre toutes les étoiles, mais aussi assez de courage pour illuminer toute la nuit de la terre.

Oui, nous sommes fatigués, épuisés, mais nous continuons à rêver. Nous rêvons du jour où le soleil se lèvera sur Gaza sans être souillé de fumée, où les enfants retourneront à l’école en sécurité, où la vie reprendra son souffle, où la paix reviendra habiter les cœurs qui ont trop saigné.

Et jusqu’à ce jour, nous porterons notre douleur dans nos poitrines et nous écrirons — car l’écriture est devenue notre dernière arme, notre dernier cri face à ce monde sourd. Nous écrirons pour que Gaza ne soit pas oubliée, pour que les larmes des mères ne se perdent pas dans le vide, pour que l’histoire reste vivante malgré les ténèbres.

Ô Gaza, ô douleur du cœur, ô battement qui ne meurt jamais… Viendra un jour — même s’il tarde — où l’injustice sera levée, où les portes s’ouvriront à la lumière, où les rires des enfants retentiront de nouveau. Viendra un jour où la terre sera lavée des cendres de la guerre, où les oiseaux reviendront voler dans ton ciel sans peur. Et tu seras, comme toujours, belle, patiente, fière, invincible. »

* * *

L’espoir demeure le compagnon fidèle des jeunes de Gaza

Le 28 octobre, Abu Amir écrit sur la situation des jeunes à Gaza : énergies réprimées et avenir incertain.

« Gaza… cette ville assiégée qui ne connaît de la vie que ses crises, et de l’avenir que ses ombres lointaines. Pourtant, elle abrite une jeunesse dynamique qui constitue plus de la moitié de sa population : des jeunes pleins de vitalité et d’ambition, mais qui se heurtent chaque jour à une réalité dure, emprisonnant leurs rêves comme les frontières enferment leurs corps. Parler des jeunes à Gaza, c’est parler d’une génération confrontée à des défis permanents – politiques, humanitaires, sociaux, économiques et psychologiques – mais dont les yeux continuent de briller d’un espoir plus fort que toutes les chaînes du monde.

Les défis humanitaires… une vie sur le fil du rasoir

Les jeunes de Gaza vivent au cœur d’une crise humanitaire étouffante, imposée par le blocus et les guerres successives. Chaque jour, ils se réveillent face à des coupures d’électricité, à une eau souvent impropre à la consommation, et à une cherté de vie qui épuise la capacité des familles à tenir bon. Dans un contexte d’insécurité et d’instabilité, accéder aux droits les plus fondamentaux – éducation, soins médicaux – devient un véritable parcours du combattant.

Les hôpitaux fonctionnent avec des ressources limitées ; les médicaments essentiels manquent souvent. Les jeunes blessés lors des conflits risquent de perdre la vie simplement parce que voyager pour se faire soigner est impossible ou presque. Quant à ceux qui ne sont pas touchés physiquement, ils portent en eux des blessures psychologiques profondes que le temps ne guérit pas : la peur, la tristesse et l’anxiété sont devenues des compagnons constants d’une génération qui n’a jamais connu d’enfance paisible ni d’adolescence stable.

Les défis politiques… des jeunes otages de la géographie

La complexité politique entourant Gaza donne aux jeunes le sentiment que leur vie est mise entre parenthèses indéfiniment. Les frontières fermées ne sont pas seulement géographiques : elles enferment aussi le futur.
La division politique palestinienne aggrave encore la situation et rend la participation des jeunes à la vie politique presque insignifiante, comme si leur voix n’était ni entendue ni prise en compte, alors même qu’ils sont les plus affectés par les décisions prises.

Le monde extérieur, lui, considère souvent Gaza comme un dossier diplomatique, et non comme une société vivante qui respire et rêve. Ainsi, le jeune de Gaza devient un citoyen prisonnier dans son propre pays : il ne peut voyager pour poursuivre ses études ou sa carrière, et il lui est presque impossible d’imaginer un avenir planifié avec confiance.

Les défis économiques… le chômage qui dévore les années

À Gaza, le chômage n’est pas un chiffre, c’est une tragédie grandissante. Les taux parmi les jeunes sont parmi les plus élevés au monde.
Un étudiant sort de l’université pour découvrir que toutes les portes sont closes ; le rêve qui avait justifié les sacrifices de sa famille se transforme en fardeau psychologique.
Même les petites entreprises que certains tentent de créer souffrent du manque de ressources et de soutien. Mais, par nécessité, beaucoup se sont tournés vers le travail en ligne. Ils ont prouvé qu’ils pouvaient rivaliser malgré un Internet instable et des coupures d’électricité répétées. Le télétravail est ainsi devenu une petite fenêtre ouverte sur le monde, offrant à chacun un peu d’autonomie et la possibilité de se réaliser malgré l’étouffement économique.

Capture d’écran d’une vidéo où l’on voit des enfants transformant une dalle de béton effondrée en rampe de glissade et riant aux éclats. Vidéo Palestine Online, le 22 octobre.

Les défis sociaux… un lien fort qui forge la résilience

Malgré les difficultés, la société gazaouie garde un tissu social solide qui soutient les jeunes sur le plan psychologique et humain. La famille reste le principal refuge de sécurité, et grâce à elle, le sentiment d’appartenance demeure profondément enraciné dans la personnalité du jeune.
Le travail bénévole constitue aussi un exutoire : il permet de canaliser les énergies vers le service d’autrui, de redonner un sens à la vie, et de briser le cercle du désespoir par la solidarité.

Mais les pressions sociales sont aussi lourdes : beaucoup aspirent au mariage, à la création d’un foyer, mais les conditions rendent ces rêves lointains, parfois impossibles. Avec le temps, certains craignent de voir leur jeunesse s’écouler sans réaliser ces aspirations fondamentales.

Les défis psychologiques… les blessures invisibles de l’âme

Aucun jeune de Gaza n’échappe aux séquelles de la guerre : le souvenir d’un bombardement, la perte d’un proche, la peur de l’avenir. Ces traumatismes façonnent leur manière de penser et de percevoir la vie. Le soutien psychologique reste pourtant limité, poussant beaucoup à vivre leur douleur en silence, derrière des sourires de résistance.

Nombreux sont ceux qui trouvent refuge dans l’art : théâtre, écriture, peinture deviennent des remèdes à la souffrance, des moyens de préserver leur capacité à rêver.
Même le sport prend une dimension de résistance : les matchs reprennent sur des terrains détruits à plusieurs reprises, toujours rebâtis par la détermination des jeunes.

L’éducation… l’arme qui ne tombe jamais

Dans l’un des tableaux les plus sombres de la guerre contre l’avenir, les universités de Gaza ont été largement détruites. Les bancs d’école, jadis remplis de passion, se sont transformés en décombres portant la poussière des livres et les rêves brisés des étudiants. Pourtant, la jeunesse refuse d’abandonner : l’apprentissage continue à travers des écrans, sous des tentes, dans des maisons détruites, entre les coupures d’électricité et le bruit des bombardements.

L’enseignement à distance n’est pas ici un luxe technologique, mais un acte de survie.
Chaque cours suivi dans ces conditions est une forme de résistance, une petite victoire sur le temps et la mort. Les jeunes considèrent le savoir comme une arme ultime, qu’il ne faut jamais laisser tomber ; l’abandonner, ce serait céder au désespoir – ce que les Gazaouis refusent de faire.

L’espoir… le seul carburant inépuisable

Malgré tout, l’espoir demeure le compagnon fidèle des jeunes de Gaza.
C’est lui qui les pousse à recommencer à zéro mille fois, à transformer les ruines en lieux de vie, à écrire leur avenir de leurs propres mains malgré les obstacles.
Ils voient dans chaque pierre détruite un projet de reconstruction, dans chaque impasse une idée nouvelle, et dans chaque nuit sans fin une aube prochaine.

L’avenir de Gaza ne se construira ni uniquement par les décisions politiques, ni par les aides temporaires, mais par le travail et la détermination de sa jeunesse. Ces jeunes sont la véritable richesse de Gaza ; sans eux, il n’y a ni relèvement ni vie. Leur donner une chance n’est pas une faveur, mais un droit, un devoir moral et humain.

L’avenir reste incertain… mais cette génération a appris à faire jaillir la lumière du cœur des ténèbres. Leurs énergies sont peut-être réprimées, mais si elles venaient à se libérer, elles émerveilleraient le monde.
À Gaza, rien n’arrête le rêve. Et à Gaza… l’espoir renaît chaque jour. »


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Partie 541 : 6 octobre. Partie 542 : 7 octobre. Partie 543 : 7 octobre (1). Partie 544 : 8 octobre. Partie 545 : 9 -10 octobre. Partie 546  : 9-10-11 octobre. Partie 547 : 11-12 octobre. Partie 548 : 13 octobre. Partie 549 : 14 octobre. Partie 550 : 15 octobre. Partie 551 : 16 octobre. Partie  552 : 17 octobre. Partie 553 : 18-19 octobre. Partie 554 : 19-20 octobre. Partie 555 : 21 octobre. Partie 556 : 22 octobre. Partie 557 : 24 octobre. Partie 558 : 25-26 octobre. Partie 559 : 26 octobre. Partie 560 : 27 octobre.

* Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268)
* Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
* Témoignages du 10 mai au 5 octobre 2025 (partie 393 à 540)
Pour participer à la collecte "Urgence Guerre à Gaza" : HelloAsso.com
Les témoignages sont publiés sur UJFP / Altermidi / Le Poing