Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 411 / 25 mai – Paroles de femmes dans les ateliers collectifs de soutien psychologique"
Brigitte Challande, 25 mai 2025. De semaines en semaines, les compte rendus de ces ateliers s’enrichissent d’humanité partagée et de réflexions nécessaires pour continuer à vivre dignement / dans Gaza, le 24 mai.
« Au cœur du camp Al-Israa, au centre de la ville de Gaza, trente femmes déplacées se sont réunies sous une tente modeste dressée sur un sol poussiéreux, entourée d’autres tentes, chacune racontant l’histoire d’une maison détruite, dune famille déplacée ou d’une âme perdue.
À l’intérieur de cette tente, qui ne filtre ni le bruit des avions ni le froid de l’hiver, les femmes ne se sont pas rassemblées pour fuir la guerre, mais pour chercher une once de sécurité, dans un espace où il leur a été promis qu’on ne les interromprait pas, qu’on ne leur demanderait pas d’être fortes.
Cette session a été organisée par les équipes de soutien psychologique et social de l’UJPF, sous le titre : « Une lueur d’espoir née de la souffrance et de la douleur durant la guerre à Gaza ».
Les femmes étaient assises à même le sol ; certaines tenaient leurs enfants dans les bras, d’autres restaient silencieuses comme si leurs mots s’étaient éteints avec les dernières bombes.
« Cette tente est un espace sûr. Il n’est pas question de solutions toutes faites, mais d’écoute, de libération, et de recherche commune d’une lueur d’espoir dans cette vie… même si elle semble lointaine. »
Elle distribua ensuite de petits papiers et demanda aux participantes de répondre à une question simple : « Qu’est-ce qui vous pousse à vous lever chaque matin ? »
« Parce que mon fils me demande : Maman, quand est-ce qu’on rentre à la maison ? » ; « Parce que mon mari a été tué, et je lui ai promis de rester pour nos enfants. » ; « Parce que je suis encore en vie, et c’est une raison suffisante. »
Certaines lurent leurs mots à voix haute. Un silence sacré, semblable à un moment de prière, régna, ponctué de larmes.
Lorsque nous savons pourquoi nous continuons, la douleur devient plus supportable, et l’inconnu moins effrayant.
Une autre activité : partager des histoires vécues pendant la guerre, des instants de lumière dans l’obscurité.
« Le jour où notre maison a été détruite, j’étais effondrée. Soudain, ma voisine est venue, m’a tendu son manteau et m’a dit : « Le froid est pour nous toutes, viens dans ma tente » »
« Mon petit garçon ne cesse de dessiner. Chaque fois, il dessine une maison, mais jamais les ruines. Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a dit : Je ne veux pas que mon petit frère voie la tristesse. »
« Quand mon mari est mort, j’ai cru que c’était la fin. Mais j’ai découvert ma force quand j’ai vu mon enfant dormir sans poser de questions, comme s’il avait compris sans qu’on parle. »
Puis l’activité : l’Arbre de l’Espoir. Les animatrices apportèrent un panneau en forme d’arbre et distribuèrent des papiers découpés en forme de feuilles. Elles demandèrent à chaque femme d’y écrire un souhait, une pensée positive, un petit rêve… quelque chose à quoi s’accrocher pour ne pas sombrer.
«Je veux retourner dans ma cuisine, cuisiner pour ma famille chez nous. » ; « Je veux rire sans peur. » ; « Je rêve que mon fils étudie dans une école sûre, sans craindre le chemin. »
Les femmes accrochèrent leurs papiers à l’arbre. Et à chaque feuille suspendue, les yeux brillaient d’une lumière sans nom, mais qui ressemblait à la vie.
Pour finir une séance de relaxation.
L’animatrice demanda aux femmes de s’asseoir tranquillement, de fermer les yeux et de se concentrer sur leur respiration sur une musique de sons de la nature et chants d’oiseaux.
Elles imaginèrent des lieux sûrs, des instants de paix, des visages chers disparus, des rires en attente de renaître. Lorsqu’elles ouvrirent les yeux, la tente semblait plus grande, comme si elle ne contenait plus tout ce chagrin.
À la fin de la session, l’animatrice regarda l’Arbre de l’Espoir et dit :
« Ce que vous avez accroché ici n’est pas que des mots. Ce sont des graines de vie. Vous semez demain, malgré la douleur, malgré la peur, malgré la destruction. »
La tente se tut un instant. Puis, l’une des femmes murmura en regardant sa feuille :
« Je ne demande pas grand-chose, juste de vivre comme une être humaine. »
Quand les femmes quittèrent la tente, leurs pas étaient plus légers, leurs dos moins courbés. Non parce que les blessures avaient guéri, mais parce que quelqu’un, enfin, les avait écoutées, crues et accompagnées. Une empreinte indélébile.
Dans une petite tente dressée à la hâte sur la terre du camp Al-Israa, parmi des femmes épuisées par la guerre, dépouillées de leur sérénité, une parenthèse exceptionnelle est née : un instant où la peine s’est mêlée à l’espoir, l’épuisement à la résilience, le désespoir à un souffle de vie.
Malgré la tristesse l’atelier a révélé une force enfouie, une solidité enveloppée de fragilité, une capacité des femmes à redéfinir leur identité quand elles se sentent en sécurité libres de s’exprimer.
La session a prouvé que le soutien psychologique n’est pas un luxe, mais une nécessité qui maintient l’âme suspendue aux derniers fils du salut. Ce qui s’est passé dans cette tente n’était pas seulement une tentative d’alléger la souffrance, mais un véritable processus de réaffirmation de l’identité humaine. »
Photos et vidéos ICI.
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268) Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.