Samuel Geddes, 1er février 2022. L’identification constante par Sanaa de la lutte du Yémen à celle des Palestiniens et l’élargissement de son champ d’action ouvrent la possibilité d’opérations de plus en plus coordonnées.
La direction du Hamas dans la bande de Gaza s’est démenée ces derniers jours pour désavouer une récente manifestation de soutien au gouvernement de Sanaa et de condamnation de l’Arabie saoudite et des États-Unis. Les manifestants ont brandi des images de Sayyid Abdul-Malik al Houthi avec celles d’anciens combattants de la résistance palestinienne, ce qui témoigne de l’extension de la portée populaire et idéologique de ce mouvement au combat.
Au premier rang des organisateurs de la manifestation figurait le mouvement palestinien du Jihad islamique, allié et concurrent de longue date du Hamas pour la direction de la résistance à l’occupation israélienne. Dans une déclaration publiée par le Hamas, celui-ci a déclaré : « Les cris contre les États arabes et du Golfe provenant de notre arène palestinienne ne représentent ni notre position ni notre politique. »
Cette réponse peut sembler étrange étant donné les similitudes marquées entre les arènes yéménite et palestinienne, notamment en ce qui concerne Gaza. Toutes deux ont été effectivement isolées du monde extérieur par des belligérants beaucoup plus puissants et lourdement armés qui mènent des attaques quotidiennes contre des cibles civiles, sans que les grandes puissances mondiales ne fassent de commentaires.
Les similitudes flagrantes n’ont certainement pas échappé à Mahmoud al-Zahar, l’un des principaux responsables du Hamas, qui a publiquement déclaré son soutien personnel aux attaques de drones et de missiles d’Ansar Allah visant les Émirats arabes unis. En affirmant sa conviction que le peuple yéménite a le droit de riposter contre les États membres du CCG [Conseil de coopération du Golfe : Arabie saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Oman et Qatar, ndt], al-Zahar a attiré l’attention du chef adjoint de la police de Dubaï, qui a demandé qu’il soit placé sur la liste des personnes les plus recherchées aux Émirats arabes unis.
La réaction du responsable émirati était compréhensible, étant donné les implications de l’alignement croissant des causes palestinienne et yéménite l’une avec l’autre. Peu après le succès des attaques de la semaine dernière contre une installation industrielle et les aéroports d’Abou Dhabi et de Dubaï, Amos Yadlin, l’ancien chef des renseignements militaires de ‘Tel Aviv’, a suggéré qu’Ansar Allah pourrait bientôt attaquer la ville portuaire d’Eilat, dans le golfe d’Aqaba. À un peu moins de 2.000 km du nord du Yémen, comparés aux 1.400 km pour Abou Dhabi, l’extension de la portée des opérations de Sanaa suggère qu’Eilat et probablement d’autres cibles seront bientôt à portée de tir.
Le seul parallèle dans l’histoire récente à un tel scénario a été la guerre du Golfe persique de 1990-1991, lorsque l’Irak a tiré des missiles Scud sur ‘Israël’ dans le but d’attirer ‘Tel Aviv’ dans le conflit. Le président irakien de l’époque, Saddam Hussein, avait calculé avec justesse que, quelle que soit l’opinion que les Arabes avaient de lui, ils ne toléreraient pas de voir leur propre gouvernement et les Israéliens combattre dans le même camp. Sur ordre des Américains, les tirs de missiles sont restés sans réponse.
Si ‘Tel Aviv’ répond ouvertement à toute attaque en provenance du Yémen, le scénario ci-dessus se réalisera, avec des implications périlleuses pour les États du CCG.
Les dirigeants houthis n’ont cessé d’affirmer que leur combat n’est pas seulement celui de l’autodétermination du Yémen, mais aussi celui de la résistance arabe régionale à la domination occidentale menée par les Américains. Alors que les médias occidentaux les identifient régulièrement comme chiites, l’orientation religieuse du mouvement est explicitement panislamique, évitant les identités sectaires étroites et déclarant soutenir tous les mouvements régionaux qui s’opposent aux objectifs américains et israéliens, quelle que soit leur orientation religieuse.
Alors qu’une liste croissante d’États arabes adopte des relations officielles avec ‘Tel Aviv’, des groupes tels que le Hamas sont de plus en plus poussés à un moment de vérité, où ils doivent soit accepter la normalisation comme le prix d’un soutien financier de la part des pays de la région, soit renoncer à ce soutien afin de garder la confiance de leurs partisans qui attendent d’eux qu’ils poursuivent leur résistance.
Si la résistance au Yémen et en Palestine ne fait plus qu’un dans la conscience arabe, il en sera de même en conséquence pour les États du Golfe et ‘Israël’. Si les Yéménites s’engagent sur le théâtre palestinien contre ‘Israël’, il n’y a, en théorie, aucune raison pour que les mouvements palestiniens armés ne puissent pas frapper Riyad et Abu Dhabi selon la même logique.
Si l’espace allant de Dubaï à ‘Tel Aviv’ devient le théâtre d’un conflit unique comprenant des fronts localisés au Yémen, en Palestine et au Liban, la structure étatique post-ottomane imposée par l’Occident sera soumise à une pression sans précédent, voire insurmontable, car tout régime ouvertement identifié comme ennemi de la cause palestinienne se sera, aux yeux de la rue arabe, condamné lui-même.
Article original en anglais paru sur Al-Mayadeen / Traduction MR.
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