Le Hezbollah sans Damas : s’adapter après la rupture de la ligne d’approvisionnement

The Cradlle, 17 décembre 2024. Depuis les revers dévastateurs de septembre, le Hezbollah a dû faire face à une épreuve de résilience très dure. Les pertes ont été lourdes – des dirigeants clés, des cadres et des combattants sont tombés – mais les dégâts ne se sont pas limités au coût humain.

Illustration The Cradle.

Une partie importante du vaste arsenal du Hezbollah, qui comprend des armes légères et lourdes, a été ciblée et désorganisé, ce qui a obligé le groupe à se reconstruire d’urgence aux côtés de ses alliés de l’Axe de la Résistance.

Alors que les armes se taisaient temporairement au Liban avec l’instauration d’un cessez-le-feu déjà violé, le conflit a pris une nouvelle dimension dans la Syrie voisine. Les factions armées dirigées par Hayat Tahrir al-Sham (HTS) – anciennement connu sous le nom de Front al-Nosra – ont lancé une offensive rapide et coordonnée, se sont emparées d’une ville après l’autre, avant la chute de Damas.

La rapidité de leur progression a provoqué l’effondrement du gouvernement du président syrien Bachar el-Assad en l’espace de 11 jours. Le gouvernement d’Assad était un allié essentiel du Hezbollah et une artère logistique essentielle pour le transfert d’armes et de combattants depuis l’Iran. Cet effondrement a marqué la rupture d’un lien vital qui soutenait depuis longtemps les opérations militaires du Hezbollah.

Le Hezbollah perd la voie d’approvisionnement syrienne

Pendant ce temps, Israël a intensifié sa campagne aérienne, menant des centaines de frappes de précision à travers la Syrie. Ces frappes ont ciblé non seulement les stocks stratégiques de l’armée syrienne, mais aussi les entrepôts utilisés par le Hezbollah et ses alliés comme réserves. Le secrétaire général du Hezbollah, Cheikh Naim Qassem, a confirmé samedi ce que beaucoup soupçonnaient déjà : la voie d’approvisionnement via la Syrie a été coupée.

« Oui, le Hezbollah a perdu la voie d’approvisionnement militaire via la Syrie à ce stade, mais cette perte est un détail dans le travail de la résistance », a déclaré Qassem avant d’ajouter : « Un nouveau régime pourrait arriver, et cette voie pourrait revenir à la normale, et nous pourrions chercher d’autres voies. »

Cette situation pose des questions fondamentales : le Hezbollah peut-il surmonter la perte de sa voie d’approvisionnement la plus vitale ? Quelles stratégies pourraient lui permettre de s’adapter à cette nouvelle réalité ? Existe-t-il des voies alternatives pour reconstituer ses capacités ?

Le rôle de la production nationale

La résilience du Hezbollah face aux crises passées repose en grande partie sur l’importance qu’il accorde à la production locale, notamment de missiles et de drones. Au fil des ans, le mouvement de résistance a développé et modifié des systèmes d’armes au niveau national, en combinant ingéniosité et ressources limitées.

De nombreux lanceurs détruits lors des récentes frappes étaient de fabrication locale, notamment ceux conçus pour des lancements de missiles à saturation comme la roquette Fadi.

Dans le domaine des missiles de précision, des systèmes tels que Nasr 1 et Qader 2 semblent être des versions modifiées de modèles plus anciens, comme Zelzal et Khaybar, équipés de systèmes de guidage améliorés. Si la plupart des composants physiques (corps, ogives et carburant) sont produits localement, des pièces électroniques essentielles, bien que plus petites et plus discrètes, peuvent avoir été introduites en contrebande ou assemblées à l’aide de matériaux de qualité civile.

Il en va de même pour les drones. Des systèmes comme l’Ababil 2-T et le Shahed 101 ont gagné en importance précisément parce que leur conception repose en grande partie sur des technologies civiles : moteurs, dispositifs d’imagerie et systèmes de guidage de base. Les ogives nucléaires sont ensuite adaptées pour répondre à des besoins opérationnels spécifiques.

L’expertise nécessaire à la production de ces armes reste intacte. Mais on ne sait pas dans quelle mesure le Hezbollah pourra reconstruire sa capacité de production sous les pressions actuelles, compte tenu des difficultés à acquérir des composants spécialisés comme des capteurs thermiques ou de l’électronique de qualité militaire.

Adaptation de la stratégie : réduction des effectifs et redéfinition des priorités

Face à d’immenses défis logistiques et à la diminution des ressources, le Hezbollah pourrait devoir passer d’une stratégie offensive à une position plus défensive. Auparavant, le groupe disposait de deux forces distinctes dans le sud du Liban : les unités de défense géographique, telles que les unités Nasr et Aziz, chargées de défendre le territoire, et la brigade d’élite Radwan, entraînée pour des opérations offensives dans les profondeurs du nord d’Israël.

L’évolution des réalités sur le terrain pourrait désormais contraindre le Hezbollah à réorienter ses forces offensives pour renforcer ses opérations défensives. Cela permettrait non seulement de réduire les exigences logistiques, mais aussi de répondre aux besoins immédiats du groupe : secret, flexibilité et concentration sur la résilience.

Naturellement, les opérations défensives nécessitent moins d’armes spécialisées et reposent principalement sur une connaissance géographique et des tactiques asymétriques. Les récentes frappes israéliennes ont principalement infligé des pertes aux capacités offensives – des atouts qui ne sont peut-être plus immédiatement nécessaires.

En consolidant ses forces, le Hezbollah peut réaffecter ses ressources à la reconstruction de son infrastructure défensive tout en conservant des réserves stratégiques pour les imprévus.

Contrebande et marché noir

Si la voie d’approvisionnement syrienne a été perturbée par l’effondrement du gouvernement Assad, il existe d’autres moyens d’acquérir des armes. Le marché noir du Liban a longtemps servi de source d’armes de petit et moyen calibre, notamment de mitrailleuses, de fusils de précision et de munitions.

Les réseaux de contrebande – par voie terrestre, maritime ou même aérienne – ont fait preuve de résilience dans le passé et pourraient constituer une solution temporaire. Malgré les efforts de surveillance internationale menés par une FINUL peu fiable et les puissances occidentales, le Hezbollah pourrait tirer parti des lacunes en matière de répression, de la même manière que les livraisons d’armes parvenaient auparavant aux rebelles syriens sans être détectées.

La contrebande est risquée, mais l’histoire montre que là où il y a une demande, des voies d’approvisionnement émergent – ​​aussi clandestines soient-elles.

Tant que les voies commerciales existeront, le marché noir et la contrebande existeront également, permettant aux gens d’acquérir ce dont ils ont besoin au bon prix, à l’image du navire Lutfallah qui est entré dans le pays pour fournir des armes aux rebelles syriens par le passé.

Un partenaire dans la Syrie post-Assad ?

Si le Hezbollah était autrefois fermement aligné sur Assad, le mouvement a fait preuve de pragmatisme dans ses relations avec le nouveau leadership syrien – malgré les hostilités en cours et les incursions israéliennes. La nouvelle autorité à Damas est confrontée à un choix difficile : s’aligner sur les États arabes qui favorisent la normalisation avec l’État occupant, ou rechercher des alliances alternatives pour assurer sa survie.

Si elle opte pour la seconde option, un partenariat renouvelé avec l’Iran et le Hezbollah ne peut être exclu. Cependant, un tel scénario reste lointain, dépendant de l’évolution de la dynamique politique et militaire. Comme l’a déclaré Naim Qassem dans son discours de samedi :

« Nous espérons également que ce nouveau parti au pouvoir considérera Israël comme un ennemi et ne normalisera pas ses relations avec lui. Ce sont les raisons principales qui affecteront la nature de la relation entre nous et la Syrie. »

Le coup porté au Hezbollah ces derniers mois est indéniable, mais il est loin d’être décisif. Si la perte de la Syrie comme voie d’approvisionnement constitue un défi de taille, l’histoire du mouvement de résistance est celle de l’adaptation et de la résilience.

De la production locale à la réduction stratégique des effectifs et à l’exploitation des réseaux du marché noir, le Hezbollah a prouvé sa capacité à s’adapter même aux circonstances les plus difficiles. Si la phase actuelle est peut-être l’une des plus difficiles que le groupe ait rencontrées, elle n’est pas sans précédent.

Depuis sa formation pendant la guerre civile libanaise et l’invasion calamiteuse du sud du Liban par Israël, le Hezbollah a constamment démontré sa capacité à opérer discrètement, à s’adapter stratégiquement et à endurer lorsque sa survie est en jeu. Que le mouvement de résistance s’allie ou non au nouveau gouvernement syrien, son objectif principal reste clair : résister à la tempête et en sortir intact, prêt à affronter tous les défis qui l’attendent.

Article original en anglais sur The Cradle / Traduction MR