Joseph Massad répond aux affabulations et mensonges proférés à son encontre

Ali Abunimah, 17 avril 2024. Le 17 avril, Minouche Shafik, la présidente de l‘Université de Columbia, a comparu devant le Comité de la Chambre sur l’éducation et ses effectifs, lors du tout dernier épisode des manoeuvres des membres du Congrès pour faire cesser les critiques à l’égard d’Israël sur les campus, et ce, en accusant d’antisémitisme les étudiants, les professeurs et les administrateurs.

Le campus de l’université de Columbia, à New York (source photo : Yahoo! Actualités)

Trois professeurs ont été particulièrement ciblés par des allusions au vitriol et des calomnies : Katherine Franke, Mohamed Abdou et l’érudit de renommée mondiale, Joseph Massad.

Au lieu de défendre la liberté académique de ses facultés contre ce que l’Association américaine des professeurs d’université appelle « une nouvelle souche de maccarthysme aux EU », Shafik a balancé tout son monde dans la fosse aux lions.

Une cible particulière des attaques contre Massad, qui enseigne la politique et l’histoire intellectuelle arabes modernes, consistait en un article qu’il avait écrit pour The Electronic Intifada le 8 octobre 2023, intitulé « Juste une autre bataille ou la guerre de libération palestinienne ? » (article repris sous ce titre par le site Charleroi pour la Palestine le 9 octobre 2023, dans une traduction d’ISM-France).

Pendant des mois, les partisans d’Israël ont cité de travers et déformé les propos de l’article dans une tentative de noircir Massad et, par extension, l’Université de Columbia et, ce mercredi, la séance du Comité n’a pas fait exception à la règle.

Toutefois, au lieu de défendre le droit de Massad à la liberté d’expression et de corriger les mensonges des représentants du Congrès, Shafik s’est jointe aux attaques.

« Je condamne cette déclaration. Je suis consternée par ce qu’il a dit », a déclaré Shafik en réponse à une question émanant du représentant Tim Walberg. « On l’a interpellé, à ce propos. »

Shafik a également prétendu que Massad ne présidait plus non plus de comité d’évaluation académique à Columbia.

Massad (photo ci-dessous) a publié la déclaration que voici en réponse aux questions des médias et The Electronic Intifada la publie ici dans son intégralité :

 « Je n’ai pas regardé la couverture télévisée ni vu de transcription complète du présent interrogatoire par le Congrès des responsables de l’Université de Columbia, mais j’ai reçu des clips vidéo de certains des témoignages qui me concernaient personnellement. En m’appuyant sur ce que j’ai vu, je puis dire ce qui suit :

Les membres du Congrès qui ont interrogé la présidente Shafik ont délibérément déformé mon article publié le 8 octobre 2023, lorsque le représentant Walberg a prétendu que j’avais « encensé ‘la résistance palestinienne innovante’, pour avoir attaqué Israël et glorifié le massacre par le Hamas de près de 1.200 juifs comme étant une action ‘géniale, étonnante, stupéfiante et incroyable’ ». Je n’ai certainement rien dit de ce genre.

1. Mon article dit explicitement : « L’impressionnante victoire de la résistance palestinienne sur l’armée israélienne au premier jour des combats constitue un événement historique aussi bien pour Israël, comme l’a admis Netanyahou, que pour les Palestiniens. »

2. L’article dit explicitement : « La vue des combattants de la résistance palestinienne prenant d’assaut les postes de contrôle israéliens séparant Gaza d’Israël était stupéfiante, non seulement pour les Israéliens, mais surtout pour les peuples palestinien et arabe ».

3. Que « la prise de contrôle remarquable par la résistance des bases militaires et des points de contrôle israéliens (…) a à la fois ébranlé la société israélienne et a frappé les Palestiniens et les Arabes comme étant incroyable ». « Incroyable, soit dit en passant, signifie « difficile à croire ».

4. Et que « non moins étonnante a été la prise de contrôle par la résistance palestinienne de plusieurs colonies de peuplement israéliennes près de la frontière de Gaza et même jusqu’à 22 kilomètres, comme dans le cas d’Ofakim ».

5. J’ai décrit l’utilisation de parapentes motorisés comme « innovante » : « Que peuvent faire des parapentes motorisés face à l’une des armées les plus redoutables au monde ? Apparemment, beaucoup, entre les mains d’une résistance palestinienne innovante. » J’ai également parlé dans l’article d« bilan humain horrible des deux côtés ».

Il serait regrettable que la présidente Shafik et deux membres du Conseil d’administration de l’Université de Columbia, Mme Claire Shipman et M. David Greenwald, aillent condamner des déclarations fabriquées de toutes pièces, que je n’ai donc jamais prononcées, alors que tous trois auraient dû rectifier leur compte rendu afin de montrer que je n’avais jamais prononcé ni écrit de déclarations répréhensibles de ce genre.

De même, les allégations fausses et diffamatoires que le représentant Tim Walberg a exprimées contre moi en prétendant que je donnais mon « soutien au terrorisme » et que je m’étais engagé dans « le harcèlement des étudiants juifs », auraient également dû faire l’objet d’une réponse de la part de la présidente Shafik et des membres du Conseil d’administration et être confirmées comme étant fausses, puisque je n’ai jamais harcelé le moindre de mes étudiants ni non plus soutenu le terrorisme.

De plus, la présidente Shafik a fait savoir que je faisais actuellement « l’objet d’une enquête » pour m’être livré à des commentaires discriminatoires. C’est nouveau, pour moi, puisque je n’ai jamais été informé de la chose ni contacté par qui que ce soit de l’université pour m’informer de cette prétendue enquête. En fait, j’ai eu une réunion la semaine dernière avec la doyenne de l’Université de Columbia, parce que j’étais victime de harcèlement et de racisme de la part d’un autre professeur de l’université. La doyenne Olinto m’a fait part de son soutien et m’a dit qu’elle était on ne peut plus désolée de ce harcèlement. Le professeur incriminé est en réalité celui qui pour l’instant fait l’objet d’une enquête.

Je reste président du Comité d’évaluation académique – un mandat d’un an – pour quelques semaines encore, après quoi c’en sera fini normalement de ma présidence. En effet, je viens d’avoir – hier, le 16 avril – une réunion avec les membres du comité et les ai informés que je serais absent pour la prochaine – et dernière pour moi – réunion du 8 mai, date à laquelle j’ai prévu un voyage. Personne ne m’a contacté de la part de l’université concernant la présidence actuelle et je resterai également membre du Comité d’évaluation académique l’an prochain. Il s’agit d’une désignation qui porte sur trois ans.

La présidente Shafik a mal interprété ce qui s’est passé quand elle a déclaré que j’avais été « interpellé » par ma présidente et ma doyenne, en déduisant de cette interpellation que j’avais été réprimandé. En fait, ma présidente, la professeure Gil Hochberg, qui, incidemment, est juive et israélienne, m’a informé qu’à la lumière de la campagne pro-israélienne qui me visait et qui avait déformé mon article, elle avait dit à la vice-présidente exécutive de l’École supérieure des Arts et des Sciences, Amy Hungerford, qu’elle avait lu mon article et estimait qu’il était descriptif et qu’il ne contenait pas de louange envers l’attaque du 7 octobre. Elle avait même ajouté que son fils de 14 ans l’avait lu et avait estimé qu’il était essentiellement descriptif, et ce, pour illustrer le fait même que, si son jeune fils état un lecteur attentif, les adultes eux aussi devraient s’abstenir de lire d’un œil distrait.

J’ai rencontré la vice-présidente exécutive Amy Hungerford le 2 novembre 2023, et nous nous sommes promenés ensemble. Elle m’avait demandé de la voir du fait qu’elle s’inquiétait de ma sécurité et de mon bien-être, puisque j’étais la cible de beaucoup de haine et que j’avais reçu de nombreuses menaces de mort par courriel, ainsi que dans une lettre glissée sous la porte de mon bureau à l’Université de Columbia par quelqu’un qui, selon la Sécurité de l’université, ne faisait pas partie de notre institution, et même sur mon téléphone à mon domicile.
Ni la vice-présidente exécutive ni ma présidente ne m’ont réprimandé à propos de mon article pas plus qu’elles ne m’ont accusé d’avoir louangé l’attaque. Toutefois, durant notre petite promenade, Hungerford m’a demandé si je m’étais attendu à la réponse qu’avait soulevée mon article, et je lui ai dit que non. »


Joseph Massad est professeur de politique arabe moderne et d’histoire intellectuelle à l’université Columbia de New York. Il est l’auteur de nombreux livres et articles universitaires et journalistiques. Parmi ses livres figurent Colonial Effects : The Making of National Identity in Jordan, Desiring Arabs, The Persistence of the Palestinian Question, et plus récemment, Islam in Liberalism. Citons, comme traduction en français, le livre La Persistance de la question palestinienne, La Fabrique, 2009.

Source de l’article en anglais : The Electronic Intifada/Traduction par Jean-Marie Flémal pour Charleroi pour la Palestine