Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 409 / 23 mai – En marge de de la guerre… une parenthèse de vie"
Brigitte Challande, 24 mai 2025. Le 23 mai, Abu Amir envoie le récit d’une séance de soutien psychologique pour les femmes au camp des Amis – Deir al-Balah, ce qui confirme encore et encore la continuité de leurs actions.
« Tout était à la fois calme et bouleversé. Deir al-Balah, cœur épuisé de Gaza, continue d’ouvrir ses bras aux déplacés du nord et du sud, portant leurs douleurs comme il porte celles de ses propres habitants. Le camp des Amis, conçu à l’origine comme un simple centre communautaire, est soudain devenu un refuge pour des dizaines de familles. L’odeur de la terre s’y mêlait à celle du chagrin, les pleurs des enfants aux sanglots étouffés des adultes. Dans ce camp, au milieu de circonstances impitoyables, un petit espace — peut-être invisible — portait en lui la graine d’un changement : une séance de soutien psychologique pour femmes.
Il était près de dix heures du matin lorsque les femmes commencèrent à arriver. Elles ne venaient ni pour se divertir ni pour se distraire, mais parce que l’intérieur débordait de douleur. Car elles étaient mères, épouses, veuves, survivantes… Toutes des femmes portant la même souffrance sous des formes diverses. Chacune s’assit calmement sur un matelas en mousse posé à même le sol, si proches les unes des autres que la chaleur humaine semblait devenue une denrée rare.
« Nous ne sommes pas ici pour changer la réalité, mais pour trouver une façon de respirer malgré son poids. » La séance fut présentée sous le titre : « Gérer ses émotions et construire une vision positive de l’avenir ». Un titre qui pouvait sembler trop idéaliste dans un lieu saturé de traumatismes, mais l’objectif n’était pas de vendre des illusions, plutôt de restaurer la capacité à se relever, même si ce n’était que psychologiquement.
Le premier exercice, intitulé « Carte émotionnelle », consistait à distribuer des feuilles colorées avec des cercles et des motifs variés. Chaque femme était invitée à exprimer ses émotions à travers les couleurs, à saisir un crayon et colorier sans réfléchir. « Colorez vos émotions, sans les nommer, juste ressentez. » À chaque coup de crayon, une histoire se dessinait sans mots. Une femme remplit sa feuille de noir, une autre ne parvint pas à commencer. « Il n’y a plus rien en moi, même le noir a disparu. » Minute après minute, ces femmes comprirent qu’elles n’étaient pas seules, et que leurs ressentis n’étaient pas faiblesse, mais simple humanité.
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Le deuxième exercice, « Respirer pour survivre », invitait les femmes à fermer les yeux et pratiquer la respiration profonde (4-7-8), une technique simple scientifiquement prouvée pour apaiser le système nerveux et réduire le stress. Leurs corps d’abord crispés s’apaisaient peu à peu, comme si leur intérieur avait crié, et pouvait enfin se calmer. Certaines fermaient les yeux, d’autres semblaient s’endormir un instant. Souligner que le stress ne peut être soigné par l’esprit seul, mais aussi par le corps.
Ensuite, un exercice sensoriel fut proposé : « Que touchez-vous ? Que sentez-vous ? Que voyez-vous ? » Ce procédé, connu sous le nom d’ancrage au moment présent aida les femmes à se détacher temporairement des souvenirs douloureux pour retrouver un peu de contrôle sur l’instant.
Mais le sommet de la séance fut l’activité intitulée « Lueur d’espoir ». De petites cartes furent distribuées avec en haut : « Je rêve que… ». Chaque participante devait y inscrire un souhait simple pour le futur proche. Pas de grands rêves, mais des vœux quotidiens : voir sa fille rire, retourner chez elle, partager un repas chaud en famille, apprendre à coudre ou coiffer sa fille comme avant. Certaines écrivirent, d’autres dessinèrent, et quelques-unes regardèrent simplement la carte, comme si rêver était devenu un luxe douloureux. Les cartes furent ensuite rassemblées sur un panneau intitulé « Fenêtres vers demain », puis exposées à toutes. Elles les contemplèrent en silence.
La séance ne se résumait pas aux activités. Entre chaque exercice, un espace libre était réservé à la parole, aux récits personnels, aux pleurs sans excuse. Une femme parla de la perte de ses trois fils en une seule fois. Une autre raconta une nuit passée sous les décombres. Une troisième évoqua sa fille qui ne dort plus depuis deux semaines et hurle à chaque claquement de porte. Les animatrices ne les interrompaient pas, ne donnaient pas de conseils tout faits, elles écoutaient sincèrement, car une écoute authentique est souvent la première étape vers la guérison.
À la fin de la séance, les femmes formèrent un cercle, se tinrent par la main, et écoutèrent les mots de l’animatrice :
« La résilience n’est pas individuelle. C’est un acte collectif. Chacune d’entre vous est le miroir de l’autre, et chaque moment de partage est une pierre dans l’édifice de la guérison. »
La séance ressemblait à un souffle partagé, revenu non pour effacer la douleur, mais pour la rendre supportable.
Ce n’est pas une activité que l’on peut conclure comme une simple animation passagère. Les femmes quittèrent cet espace en emportant quelque chose d’invisible mais palpable. Une lueur de commencement, ou une petite flamme dans une nuit noire. Cette séance a prouvé que le soutien psychologique en temps de guerre n’est pas un luxe, mais une nécessité vitale.
Cette expérience mérite d’être traduite en projet durable, au-delà d’une séance unique, devenant une initiative humaine qui accompagne les femmes dans leur épreuve, leur redonne le sentiment d’exister en tant que femmes, mères, et piliers de leurs foyers et de leurs communautés. Car la guérison ne commence pas à la fin de la douleur, mais lorsque nous avons la chance de la comprendre, de l’affronter et de la transformer pour qu’elle ne détruise pas notre âme.
L’animatrice termina sa journée en rangeant les cartes de vœux, puis s’arrêta sur l’une d’elles, où une mère avait écrit :« Je veux retrouver mon moi… Je ne suis pas qu’une mère ayant perdu son enfant, je suis aussi un être humain. »
Du cœur des ruines, les femmes se lèvent, non comme de simples chiffres dans les rapports de crise, mais comme des voix vivantes, qui murmurent : « Nous méritons d’être entendues, de rêver, et de guérir. »
Elles quittèrent la séance conscientes de leurs émotions, plus aptes à vivre avec la douleur. La guerre n’était pas terminée, les maisons pas revenues, mais quelque chose avait changé à l’intérieur. »
Photos et vidéos ICI
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.