Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 401 / 16 mai (1) – Face à la rareté de la nourriture, protéger les enfants"
Brigitte Challande, 18 mai 2025. Les équipes continuent à affronter la famine et tentent, dans des ateliers de soutien psychologique, de trouver collectivement des stratégies concrètes : compte rendu du 16 mai.
« Au cœur du camp Al-Israa, au centre de Gaza, où les tentes s’entassent et où l’odeur étouffante de la poussière imprègne les moindres détails du quotidien, trente femmes déplacées se sont réunies dans une tente dédiée aux séances psychologiques et de sensibilisation organisées par les équipes de l’UJFP. La séance, intitulée : « Comment protéger nos enfants face à la rareté de la nourriture et des ressources alimentaires », n’a pas été un simple atelier éducatif, mais un espace humain rare, mêlant confidences silencieuses et recherche de solutions possibles sous la domination de l’impossible.
Les femmes participantes, mères et aidantes, venaient de tentes mitoyennes souffrant d’un manque aigu de nourriture, d’eau et de soins de santé. Mais plus que tout, ce qui alourdit leur cœur, c’est la question quotidienne de leurs enfants : « Maman, y a-t-il à manger aujourd’hui ? » Une question à laquelle certaines mères ne trouvent d’autre réponse que l’étreinte et les larmes silencieuses.
La séance a souligné l’importance de faire de cette rencontre un espace à la fois d’apprentissage et de libération émotionnelle, affirmant que le savoir n’est pas réservé aux spécialistes, mais s’adresse aussi aux mères combatives qui portent le poids de la survie jour après jour.
Puis a suivi une activité interactive intitulée : « Un repas avec le peu que nous avons », où l’on a demandé aux femmes d’imaginer un plat pouvant être préparé à partir des rares produits disponibles comme les conserves, la farine ou les lentilles. Elles ont ensuite discuté de la manière de le rendre sain et sûr, échangeant des astuces simples pour conserver les aliments dans des contenants couverts, ou suspendre les sacs en l’air pour éviter leur détérioration. On y a expliqué l’importance de se laver les mains avec de l’eau, même sans savon, de nettoyer les ustensiles de cuisine à l’eau chaude si possible, et de ne pas laisser les aliments cuits à découvert.
L’animatrice a ensuite parlé de l’hygiène comme première ligne de défense, expliquant que les enfants souffrant de malnutrition sont plus vulnérables aux infections. La diarrhée, la fièvre et la toux ne sont pas de simples symptômes passagers, mais des signaux d’alerte que les mères doivent prendre au sérieux, surtout s’ils se répètent. Elle a insisté sur l’importance de demander des soins médicaux dès que possible, même si les moyens semblent inexistants.
Vint ensuite l’activité émotionnelle intitulée : « Une question sans réponse ». Les mères devaient y écrire la question la plus récurrente de leurs enfants. Les réponses furent bouleversantes : « Pourquoi n’y a-t-il pas de lait ? », « Quand allons-nous retourner à la maison ? », « Pourquoi suis-je toujours fatigué ? » Les femmes ont échangé leurs papiers en silence, puis les ont lus à haute voix. Beaucoup ont pleuré et se sont étreintes, comme pour se protéger mutuellement de l’effondrement. Cette activité fut suivie d’une discussion essentielle sur la manière de parler aux enfants de la pénurie alimentaire sans les faire culpabiliser ni les effrayer, sur comment transformer le manque en une histoire temporaire, et sur les façons d’exprimer l’amour même quand les mains sont vides.
Puis un exercice de relaxation accompagné d’une musique douce inspirée des chansons de l’enfance. Les femmes étaient invitées à imaginer un repas familial chaleureux, avec des enfants riant autour de la table, sans le bruit des avions mais celui des cuillères et des paroles. Après l’exercice, plusieurs femmes ont témoigné avoir ressenti un soulagement temporaire, comme si leur corps respirait pour la première fois depuis des semaines.
Comment observer les signes de maladie chez les enfants : perte d’appétit, léthargie, sueurs nocturnes, jaunissement de la peau. Elle a insisté sur l’importance de se rendre à tout poste médical proche en cas de doute. Un échange d’expériences : les mères ont partagé leurs méthodes de conservation rudimentaires, la fabrication artisanale de savon ou encore le filtrage de l’eau à travers du tissu. Ces moments furent parmi les plus importants de la séance, car ils ont allié savoir pratique et force de solidarité.
La séance s’est conclue par une activité symbolique intitulée : « Je suis forte ». Chaque femme a dessiné la paume de sa main sur une feuille et y a écrit une phrase exprimant sa capacité à continuer. Les feuilles furent accrochées à une ficelle dans la tente, comme des bannières de résistance.
Paroles de femmes : « Ma fille est tombée malade parce que nous nous sommes lavées les mains avec de l’eau contaminée. Aujourd’hui, j’ai compris que l’hygiène, c’est comme la nourriture… c’est ce qui les protège. » « Le conseil que j’ai reçu aujourd’hui sur la façon de parler à mon fils de la faim valait plus que mille repas, parce qu’il m’a allégé le cœur. » « Cette séance ne nous a pas seulement instruites, elle nous a fait sentir que nous ne sommes pas seules, qu’il y a d’autres femmes qui luttent comme nous. »
La réalité que vivent les femmes dans les camps de déplacés dépasse la capacité humaine. Elles ne portent pas seulement le fardeau de survivre, mais aussi celui de rassurer, d’équilibrer, d’expliquer, de protéger et d’aimer. Ce sont des mères qui gardent leurs enfants sans armes, qui les nourrissent d’amour en l’absence de nourriture, et leur lavent le visage avec des larmes lorsque l’eau manque. En cette période critique que traverse Gaza, l’importance du soutien psychologique et éducatif destiné aux femmes devient plus grand que jamais – non pas comme un luxe humanitaire, mais comme une nécessité existentielle pour une société au bord de l’effondrement. C’est le plus profond investissement dans l’humain, lorsque les ressources sont rares, la dignité menacée, et la survie dépendante du savoir faire face quand tout s’écroule.
Offrir un espace de libération émotionnelle sûre et d’apprentissage collectif redonne à la femme des outils pour résister à l’effondrement, et lui rend un semblant de contrôle sur une réalité imposée par la violence et les bombardements.
La séance « Comment protéger nos enfants face à la rareté de la nourriture » n’a pas résolu la crise, mais elle a proclamé haut et fort que le savoir est une force, que le soutien psychologique est une urgence vitale, et que les mères sont la première ligne de défense pour l’avenir de Gaza, pour les corps et les âmes affamés de ses enfants.
Photos et vidéos ICI.
Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :
*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.
*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.
Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.
Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268) Cliquez ici pour consulter les Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
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Pour participer à la collecte « Urgence Guerre à Gaza » : HelloAsso.com
Les témoignages sont également publiés sur UJFP, Altermidi et sur Le Poing.