« Nous aimons la vie autant que possible » – Avril en Cisjordanie occupée

Xavier Favre, président de Charente Palestine, vient de passer 3 semaines en Cisjordanie occupée, à la rencontre d’amis qu’il connaît depuis longtemps et qu’il retrouve régulièrement. Ces visites périodiques lui permettent de constater la dégradation de la situation des Palestiniens, -qui s’est accentuée depuis le 7.10.2023,- et le racisme et la violence décomplexés de la population coloniale israélienne (civils comme armée et police) omniprésente jusqu’au dunam de territoire le plus reculé, et qui met ostensiblement en œuvre le nettoyage ethnique promu par son gouvernement. Mais les Palestiniens ne partiront pas. Ils sont sur leur terre ancestrale, ils ont déjà expérimenté la Nakba, le déplacement forcé et les massacres, et ils se battront jusqu’au dernier contre la spoliation et le nettoyage ethnique. Tenons-nous fermement à leurs côtés, ici et là-bas.

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Avril 2025.

En Palestine depuis hier, je passe par toutes les émotions : de la crainte à l’excitation, de l’horreur à la joie de revoir cette Terre et ses habitants, du pessimisme à l’espoir, celui qu’a encore Saleh, mon ami de Sheikh Jarrah de ne pas être expulsé de sa maison. Il est encore dans un nouveau procès avec la justice israélienne pour que les colons du quartier et leurs puissantes sociétés immobilières ne s’emparent pas de la maison que l’ONU avait procuré à ses grands-parents après la Nakba.

Saleh Diab chez lui dans le quartier Sheikh Jarrah à Jerusalem-Est, 4 mars 2025. (Oren Ziv pour 972mag, cité ci-dessous))

Quand je suis arrivé chez lui ce matin, une équipe d’Amnesty International le filmait et il racontait inlassablement son histoire de résistance depuis 30 ans. L’esprit vif, l’énergie intacte, mais avec son corps vieilli trop tôt par le stress, les humiliations, les séjours en prison et les frappes des colons.

Sauf indiqué, toutes les photos sont de Xavier Favre.

Hier, vendredi il avait été arrêté et gardé à vue plusieurs heures alors qu’il se rendait à la prière à la mosquée de Al Aqsa. Motif : trop leader dans la lutte non violente de son quartier, donc interdit d’aller prier ! Au moins cette fois, il n’a pas dormi en prison ! Je l’admire et ne sait comment il peut tenir et trouver cette énergie quotidienne. Il garde espoir et affirme que sans la mobilisation internationale, il aurait déjà été expulsé depuis longtemps ainsi que les autres habitants palestiniens.

ICI un lien plus complet sur son histoire, sur 972mag.com.

En repartant de chez lui, j’ai été agressé par des colons et j’ai évité de peu la friction… (je n’aurais sans doute pas dû les prendre en photo !)

Je suis aussi allé visiter le quartier palestinien emblématique de Silwan où la colonisation est impressionnante et criante. Je vous joins deux photos que j’ai prises à quelques dizaines de mètres de distance l’une de l’autre : la beauté et l’horreur. Celle des poubelles raconte comment les colons bloquent avec leurs poubelles l’entrée de la maison d’une famille palestinienne pour leur rendre la vie impossible… avant le coup de force qui les fera partir.

Comme les Etats occidentaux ne font aucune pression, les habitant.es palestinien.nes de Silwan sont condamnés à être expulsés, la deuxième Nakba est en cours à Jérusalem aussi !

La vieille ville a retrouvé des touristes et des pèlerins, ce qui est un bienfait pour les commerçants palestiniens, mais combien voudront voir cette épuration et ethnique en cours ?

Dans mes rêves de cette nuit, j’espère ne retenir que les paroles de Saleh qui me disait se battre pour ses enfants, pour Gaza, pour tous les Palestinien.nes et pour que personne au monde ne connaisse l’oppression.

Avec les mots de ce poème de Hiba Abou Nada, que la nuit vous soit douce à tou.tes.

« Je t’accorde un refuge
contre le mal et la souffrance.
Avec les mots de l’écriture sacrée
je protège les oranges de la piqûre du phosphore
et les nuages du brouillard
Je vous accorde un refuge en sachant
que la poussière se dissipera,
et que ceux qui sont tombés amoureux et sont morts ensemble
riront un jour. »
Hiba Abou Nada

* * *

Je suis depuis 2 jours à Bethléem et je partage la vie de Aymen et Rim et les gestes tous simples de la vie quotidienne sous occupation : faire les courses, réparer sa voiture, rendre visite à des amis dans le camp de réfugiés de Dheishe, attendre que l’armée israélienne qui rôde autour s’en aille, aller à l’entraînement de basket de leur fils Basil, assister à la répétition du groupe de danses traditionnelles palestiniennes Joudhour que nous recevrons l’été prochain à Angoulême.

J’ai retrouvé avec frisson les ruelles très étroites et labyrinthiques du camp de Dheishe. Vivre ici depuis 77 ans dans un provisoire qui dure, dans un espace contraint et une attente sans fin de l’application du Droit au Retour (le tag de la photo jointe), dans une verticalité oppressante et un béton luxuriant.

J’ai eu la chance de rencontrer pendant une heure le directeur des services de l’UNRWA, Jihad Fararjeeh, habitant de Dheishe, qui administre, pour les 18.000 habitants du camp, l’éducation, la santé, le sanitaire : son désespoir du lâchage international de l’UNRWA, son travail au quotidien pour gérer la pénurie, l’étouffement économique de tous les Palestiniens par l’occupant… Il me disait ne plus avoir foi en l’avenir ni envisager de futur. Plus d’espoir !

Aymen et Rim continuent de se battre pour que leur groupe de Joudhour continue d’exister, d’être une respiration pour ces jeunes, et de faire survivre la culture palestinienne. Nous avons travaillé sur la venue de ce groupe de jeunes danseurs à Angoulême pour l’été prochain. Ils déploient tous les deux une belle énergie et un beau sourire mais un de leurs amis me disait que, si on ouvrait leur cœur, on y verrait une immense tristesse, comme chez tou.tes les Palestinien.nes.

Le génocide à Gaza revient dans toutes les conversations comme une blessure incessante, une plaie béante qui ouvre un avenir cruel.

Assister à la répétition des danses de Joudhour a été un moment rafraîchissant dans la journée, l’énergie et la joie de vivre de ses jeunes fait plaisir à voir. Danser la debkeh est une résistance. Y intégrer dans leurs expressions corporelles la souffrance, l’occupation et la colonisation donne un sens qui me tire les larmes des yeux.

Rester à Dheishe, jour après jour, coûte que coûte, résonne pour moi avec les mots de Taoufik Ziyad.
Bonne nuit sous le ciel étoilé de Bethléem.

« Ici nous resterons
Gardiens de l’ombre des orangers et des oliviers
Si nous avons soif nous presserons les pierres
Nous mangerons de la terre si nous avons faim mais nous ne partirons pas !
Ici nous avons un passé un présent et un avenir. »
Taoufik Ziyad

* * *

Au moment où j’écrivais mon dernier message à Dheishe, il y a deux jours, l’armée israélienne envahissait une partie du camp et faisait prisonniers 2 jeunes, sans raison. Nous sommes depuis sans nouvelle d’eux.
Le quotidien de l’occupation…

Depuis 2 jours, je partage la vie de Jaber, ami de 20 ans et maire de la commune d’Idhna, à l’est d’Hébron-Al Khalil. Être maire d’une commune palestinienne de 38.000 habitants, située contre le mur de la honte qui a grignoté son territoire et qui la sépare d’Israël comme un coup de poignard, entourée de colonies illégales, est une tâche insurmontable. L’avant-veille, il a été fait prisonnier dans sa mairie par l’armée israélienne et retenu toute la journée.
Le quotidien de l’occupation…

Nous avons visité hier soir une famille dont le garçon est emprisonné.
Le quotidien de l’occupation…

Nous avons aussi rendu visite à la famille Al Jiyawi dont les deux maisons avaient été détruites par des bulldozers de l’armée israélienne le matin même, en écrasant leurs affaires et leurs provisions (photos et lien vidéo sur le compte Facebook de la mairie).

Désolation, tristesse, incompréhension mais pas de résignation devant cette violence immense et gratuite. J’ai admiré la résilience de toute la famille sous le ciel nocturne d’Idhna. Et ce matin à la mairie, j’ai vu arriver 5 jeunes hommes, le regard blessé, dans un vide incommensurable, comme un puits sans fond de tristesse et d’absence. Ce sont les 5 jeunes de la famille Al Jiyawi qui venaient signer des papiers au nom de leur famille pour les maisons détruites. J’ai rarement vu des yeux pleins d’autant de tristesse, pas de haine (peut être pas encore), pas de colère (ce sera peut-être plus tard) mais la détresse sans fond de l’humanité entière.
Le quotidien de l’occupation…

Cette destruction a été documentée et condamnée sur des sites de presse internationale.

Jaber est membre du parti communiste (PPP). J’ai pu assister au début du Conseil municipal composé de 13 membres : 2 du PPP, 6 du Fatah, 2 du FPLP, 2 du Hamas et un de l’UDP. On sent que, bien qu’opposés politiquement, ils travaillent ensemble contre l’occupation et l’impérialisme.
Le quotidien de l’occupation…

Tentant non pas d’oublier mais de ne pas être hanté en permanence par les yeux des 5 jeunes Al Jiyawi, depuis les collines embrumées de Cisjordanie, je vous souhaite à tou.tes une bonne nuit.

« Même si mes yeux ont des ténèbres
dont tu ne vois pas les lumières,
Même si j’ai une gueule de misère
et que la mort frappe les miens
dans une légèreté d’essaim
ouvre les yeux
regarde-moi.
Même si tu zappes quand je meurs
que le silence ne se fait pas
lors de ma chute de sable blanc,
ouvre la paume,
recueille-moi,
comme un oiseau, dis.
Retiens le monde avant la nuit. »
Yasmine Khlat

* * *

Je suis depuis 4 jours à Hébron-Al Khalil où j’ai rejoint une équipe d’ISM (International Solidarity Movement). Je suis avec 3 Etatsuniens, dont une jeune femme juive antisioniste.

Hébron-Al Khalil est une ville déconseillée aux touristes et aux pèlerins étrangers car la tension y est permanente à cause de la colonie israélienne implantée au coeur de la vieille ville et des autres colonies installées dans les quartiers périphériques qui instaurent un climat d’intimidation et de violence. Pourtant, dans tous les quartiers palestiniens, l’accueil est chaleureux et je m’y sens bien, tout simplement.

Avec ISM, nous assurons tous les jours une présence sur les checkpoints qui partage la ville en de nombreuses zones, qui instituent un apartheid facilitant la vie des colons israéliens et pourrissant celle des Palestiniens. Nous y restons 2 heures le matin et 2 heures le soir « armés » de nos téléphones et caméras. Des jeunes militaires israéliens pointent leurs armes sur les écoliers se rendant à leurs collèges, sur les travailleur.ses, sur les vieillards,… Attente sans raison, humiliations, interdictions de passer, …. L’apartheid au coeur de la ville du tombeau d’Ibrahim-Abraham, symbole qui devrait rassembler…

4 jours intenses, difficiles à résumer :

… Un goût amer dans la bouche devant l’humiliation permanente, surtout au checkpoint 160, devant la mosquée qui abrite le tombeau d’Ibrahim-Abraham, dans la rue des martyrs (Shari’ Al Shuhada) interdite aux Palestiniens.

L’apartheid au quotidien !

… Un sentiment de colère quand les samedis après-midi de shabbat, une quarantaine de colons protégés par une soixantaine de soldats surarmés, sortent de la colonie pour un « Touristic tour » provocateur dans la vieille ville palestinienne, considérant les Palestiniens comme des sous-humains. Devant moi un enfant palestinien qui voulait rentrer chez lui a été molesté.

L’apartheid au quotidien !

… Un fond de tristesse immense après la rencontre avec Arij, jeune femme de l’âge de mes enfants, dont la maison est tout près de la colonie Givat Ha’avot et dont la vie et celle de ses voisins est un enfer et une humiliation permanente. Activiste, diplômée, elle se débat, organise des activités dans son quartier et dégage une énergie phénoménale mais ne croit plus en l’avenir.

L’apartheid au quotidien !

… Une admiration devant les habitants.es de cette ville grouillante, vibrante de vie, d’odeurs et de couleurs, et qui continuent quand même par leur attitude, d’espérer contre toute espérance.

La nuit tombe sur Hébron-Al Khalil, elle sera longue, l’oppression continuera peut-être encore longtemps.

« Et nous, nous aimons la vie autant que possible. Nous dansons entre deux martyrs. Entre eux nous érigeons pour les violettes un minaret ou des palmiers.
Nous aimons la vie autant que possible.
Nous volons un fil au ver à soie pour tisser notre ciel et clôturer cet exode.Nous ouvrons la porte du jardin pour que le jasmin inonde les routes comme une belle journée.
Nous aimons la vie autant que possible.
Nous écrivons nos noms pierre par pierre. O éclair, éclaire pour nous la nuit, éclaire un peu.
Nous aimons la vie autant que possible. »
Mahmoud Darwich

* * *

Demain déjà le retour vers la France…
le coeur serré,
l’inquiétude en bandoulière,
des émotions à digérer et surtout à partager.

Demain peut-être, Jaber, Saleh, Arij, Aymen, Rim, et d’autres qui me sont chers, ne seront plus que des ombres, l’épuration ethnique est en cours.

Mais la vie est toujours là, et les projets aussi : outre la venue du groupe de danseurs de Joudhour l’été prochain, Charente Palestine envisage de faire revenir à Angoulême le dessinateur de BD Mohammad Sabaaneh que nous avions fait venir au dernier festival BD. Je suis donc allé le rencontrer à Ramallah. Nous avons parlé des projets, de son futur album en préparation « Bienvenus en enfer », et surtout de Jénine où il a sa famille. Son père est hospitalisé et souvent l’hôpital est inaccessible car, coincé contre le camp de Jénine, l’armée israélienne en bloque l’accès. Il partait en soirée pour l’enterrement d’un de ses amis abattu par l’armée d’occupation.
Son art est pour lui un moyen de survivre et de résister et son regard porte en permanence la souffrance de Jénine.

Quand il partait à l’enterrement, au même moment, je recevais une notification d’Arij me signifiant l’arrestation d’une de ses voisines qui emmenait ses enfants à l’école… sans nouvelles d’elle depuis… Le message d’Arij aussi transpirait de souffrance.

Je m’étais trompé dans mon premier message quand je vous disais que les touristes et les pèlerins étaient revenus à Jérusalem Al Qods. Ce n’était qu’une illusion due au fait que j’y arrivais la semaine suivant Pâques. Depuis Jérusalem s’est vidée, beaucoup de boutiques se sont refermées… La souffrance d’être coupée du monde.

Mon séjour s’est prolongé de deux jours car mon vol, comme beaucoup d’autres, a été annulé suite au missile tombé sur l’aéroport de Tel Aviv. 2 jours de plus à Jérusalem où j’ai pu tous les jours rencontrer Saleh, pour qui le répit de l’expulsion a été prolongé de deux mois par une cour de justice israélienne.

2 mois de plus pour se battre. Aujourd’hui, une quarantaine d’activistes juifs israélien.nes, de 20 à 75 ans, de différentes organisations (Filbaït, Women against the wall, Forum for Peace, etc.) venaient le soutenir. J’ai dû ruser avec la police israélienne pour arriver jusque chez lui car ce matin, l’armée d’occupation a fait intrusion dans 4 écoles de l’UNWRA (ONU) à Jérusalem, a viré manu militari les élèves et les a fermées. Une d’elle se trouvant à Wadi Joz à côté de chez Saleh, la police bouclait le quartier.

Ces activistes bravent leur gouvernement, leur société et la pensée dominante.
« Il n’y a plus de loi, même plus la loi coloniale, » me disait Uriel, l’un d’eux. Saleh s’est exprimé avec eux en hébreu, ils ont débattu. Je n’ai presque rien compris mais j’ai senti des liens d’amitié, de la confiance, des liens de luttes communes, une vraie honte de ces activistes juif.ves vis-à-vis de leur gouvernement.

« Nous avons arrêté les manifestations contre l’occupation à Sheikh Jarrah depuis octobre 2023 car les colons sont armés et peuvent nous tirer dessus », me confiait Davina. Saleh sera-t-il encore dans sa maison quand je reviendrai ?

Et dans toutes les souffrances des amis palestiniens de Cisjordanie, revient en permanence la pensée de Gaza et du génocide en cours… Gaza, souffrance partagée et honte de notre silence occidental.

Alors, à quoi ont servi ces deux semaines ici ? A l’amitié, aux douleurs partagées, aux projets à venir, aux actions « gouttes d’eau » de protection, aux témoignages à multiplier, …

Fourmis d’ISM,
« vagabonds efficaces »,
marcheurs aux pieds nus,
chercheurs de traces dans le coeur de l’humanité,
la lutte continue.

De ce si Proche-Orient que j’aime,
bonne nuit.

« Écris mon nom sur ma jambe, Maman.
N’ajoute aucun nombre
Comme ma date de naissance ou l’adresse de notre maison.
Je ne veux pas être pour le monde un numéro dans une liste.
J’ai un nom et je ne suis pas un numéro.
Écris mon nom sur ma jambe, Maman.
Quand la bombe frappera notre maison,
Quand les murs briseront nos crânes et nos os
Nos jambes diront notre histoire, que
Nous n’avions nulle part où courir.»
Zayna Azam