Partager la publication "Le défi du JIP sur fond de diplomatie : « On ne permettra pas à Gaza de tomber »"
Ibrahim Chamas, 6 mai 2024. Dans une interview exclusive avec The Cradle, Abu Imad al-Rifai, un responsable du Jihad islamique palestinien (JIP) basé à Beyrouth, donne son éclairage sur la guerre en cours d’Israël contre Gaza, les subtilités de la géopolitique de l’Asie occidentale et l’état des négociations de cessez-le-feu qui ont retenu l’attention du monde entier.
Les conséquences de l’opération Déluge d’Al-Aqsa du 7 octobre de l’année dernière ont marqué un tournant important dans la dynamique de la région, notamment avec l’introduction directe de drones et de missiles iraniens dans la mêlée avec l’Opération Vraie Promesse (True Promise).
Cette interview approfondit le scénario actuel, les objectifs de la résistance palestinienne – qui comprend la branche armée du JIP, les Brigades Qods et les factions alliées – et les implications plus larges pour l’Asie occidentale et au-delà.
Alors que l’assaut militaire israélien brutal sur Gaza approche de son huitième mois, les négociations indirectes entre le Hamas et Israël se poursuivent alors que Tel Aviv annonce la préparation d’une invasion de Rafah, le dernier refuge de plus d’un million de civils palestiniens.
Dans ce contexte, Rifai promet la poursuite de la résistance régionale, qui au niveau local, reste intense, avec les Brigades Qods parmi les factions les plus dévouées à la cause de libération palestinienne :
The Cradle : Pourquoi la Turquie a-t-elle assumé le rôle de médiateur pour le Hamas alors que le Qatar semblait se retirer ?
Rifai : La Turquie a des considérations régionales et internes et entretient des relations étroites avec le Hamas. Cela fait craindre à certains pays qu’Ankara ne reprenne le dossier palestinien.
Quant au Qatar, Israël tente de faire pression et de le faire chanter en l’accusant de financer le Hamas, mais Doha a la preuve que ses transferts d’argent vers Gaza étaient sous l’approbation israélo-américaine.
The Cradle : Qu’attendent les Palestiniens et les Israéliens des négociations ?
Rifai : Israël est dans un état de confusion et de contradiction. Ce qu’il veut, ce n’est pas mettre fin à la guerre contre Gaza sans réaliser ce que Netanyahu désire et aspire. Dans les négociations, il y a un manque de sérieux de la part de Netanyahu pour parvenir à un accord, et il insiste pour maintenir son contrôle sur la zone de Netzarim et la route Salah al-Din (à l’intérieur de la bande de Gaza). La résistance souhaite sérieusement parvenir à un accord, mais sur deux points essentiels qui sont irréversibles : le retrait de la bande de Gaza et un cessez-le-feu.
The Cradle : N’est-il pas dans l’intérêt de la résistance de conclure un accord maintenant ?
Rifai : La résistance est désireuse de parvenir à un accord pour mettre fin à la guerre brutale contre notre peuple, mais sans parvenir à un retrait complet et sans mettre un terme à l’agression permanente, aucun prisonnier israélien ne sera libéré et la résistance ne s’arrêtera pas. La capitulation face aux Israéliens ne fait pas partie du vocabulaire de notre peuple.
The Cradle : Khalil al-Hayya, responsable du Hamas, a récemment annoncé qu’il était prêt à accepter une solution à deux États et à abandonner l’action militaire. Est-ce une manœuvre ou une nouvelle stratégie du Hamas ? Quelle est la position du JIP si le Hamas emprunte cette voie ?
Rifai : Il n’est pas nécessaire de faire des hypothèses irréalistes et impossibles. Frère Khalil al-Hayya a expliqué cela dans une interview avec Al Jazeera dans laquelle il a déclaré : « Dans les interviews avec la presse, ils changent et modifient toujours les déclarations. »
The Cradle : Israël estime qu’en envahissant Rafah, il pourrait réaliser un exploit et peut-être y trouver les dirigeants Qassam [branche armée du Hamas] et les prisonniers.
Rifai : Envahir Rafah n’est pas facile pour les Israéliens. Ils ont envahi le nord et le centre de la bande de Gaza et n’ont rien obtenu. Des roquettes continuent d’être tirées depuis le nord et la résistance y combat toujours. Les Israéliens sont-ils sûrs qu’il n’y a pas de prisonniers dans le nord ? Si Israël ne résolvait pas la bataille dans le nord, serait-il capable de le faire ailleurs ?
La situation interne israélienne doit également être prise en considération. Il y a 400 familles de soldats israéliens qui refusent que leurs enfants partent en service. Cela constituera-t-il un cas de rébellion au sein de l’institution militaire et ouvrira-t-il le feu sur [le Premier ministre Benjamin] Netanyahu ? Ces familles lui demanderont : « Voulez-vous mener nos enfants à la mort pour ne pas aller au tribunal* ? »
Israël hésite à entrer à Rafah, non seulement à cause du refus de Washington, mais aussi à cause d’un désaccord interne. L’establishment militaire et sécuritaire a également une opinion sur la capacité de Netanyahu à atteindre les objectifs de la guerre.
The Cradle : Si la résistance est acculée à Rafah, cela déclencherait-il un conflit régional plus large ?
Rifai : La résistance libanaise [Hezbollah] ne permettra pas la chute de Gaza.
The Cradle : Le gouvernement de Netanyahu pourrait-il s’effondrer sous les pressions actuelles ?
Rifai : La situation de Netanyahu et de son gouvernement est instable. Il n’a pu atteindre aucun des objectifs qu’il avait annoncés au début de l’agression contre Gaza. Ni les prisonniers israéliens n’ont été libérés, ni le Hamas n’a été éliminé, et nous ne savons pas où les choses vont, compte tenu de la pression de la rue israélienne, en plus de la position de l’opposition israélienne sur la guerre, en plus de la position américaine, qui est devenue quelque peu préoccupée par les positions de Netanyahu. Tout cela pourrait conduire à sa chute.
The Cradle : Quel impact ont eu sur l’organisation l’assassinat d’importants dirigeants du JIP avant le 7 octobre ?
Rifai : La mort de dirigeants a un impact moral, et non logistique ou militaire. Le martyre augmente la détermination des résistants à suivre le chemin, et non l’inverse.
The Cradle : Comment interprétez-vous la réponse militaire de l’Iran au bombardement de son consulat à Damas ?
Rifai : Ce que l’Iran a fait est un changement stratégique et a tracé une ligne claire dans l’équation du conflit avec Israël. Pour la première fois, Israël a été ciblé par autant de drones et de missiles, et le monde se mobilise pour le protéger d’un pays islamique situé à des milliers de kilomètres. Il s’agit d’un changement majeur et très important dans la gestion du conflit avec Israël. Le conflit entre l’entité sioniste et la résistance populaire s’est également transformé en un conflit entre l’entité et un État, et cela a des implications sur la nature de l’étape suivante.
The Cradle : Quelles sont les implications à long terme du soutien continu à Gaza de la part d’entités comme Ansarallah au Yémen et les factions irakiennes ?
Rifai : La présence américaine dans la région est devenue coûteuse pour Washington, et le déploiement de cuirassés et de flottes ne signifie pas la capacité de continuer à dominer, car toute cette présence militaire américaine dans la région peut être supprimée. D’autant plus qu’Israël constituera un fardeau supplémentaire important pour l’administration américaine dans la prochaine étape, après ce dont nous avons été témoins le 7 octobre sur la fragilité de l’entité et la manière dont le monde a rampé pour l’empêcher de tomber. Il faut également examiner la situation interne américaine.
The Cradle : Pour l’avenir, que prévoyez-vous pour Gaza d’après-guerre ?
Rifai : Bien sûr, il existe une exigence morale pour que les gens retournent chez eux et travaillent rapidement pour les abriter et accélérer la reconstruction, en reconstruisant les maisons, les hôpitaux, les écoles et les universités, mais il existe une crainte de procrastination dans la reconstruction. En outre, les factions de la résistance à Gaza, à savoir le Hamas et le JIP, évalueront la guerre actuelle pour élaborer des stratégies permettant de surmonter les défis résultant de l’agression contre Gaza.
The Cradle : Le journal libanais Al-Akhbar a récemment rapporté que l’ONU, à la demande de Netanyahu, avait envoyé un médiateur pour rencontrer les dirigeants du JIP au Liban, et qu’il avait exprimé la volonté d’Israël de négocier avec vous ?
Rifai : Le coordinateur adjoint du processus de paix au Moyen-Orient est venu avec un autre homme. Ils ont dit qu’ils étaient porteurs d’un message pour négocier avec le JIP. La position du mouvement était claire : les factions de la résistance autorisaient les frères du Hamas à négocier via l’Egypte et le Qatar.
The Cradle : Qui dirigera la bande de Gaza après la guerre ?
Rifai : Gaza est dirigée par son peuple. Il est inacceptable que l’administration de Gaza ne soit pas en harmonie avec la résistance.
The Cradle : Combien de temps estimez-vous que la guerre durera ?
Rifai : Personne n’est en mesure de prédire quand la guerre prendra fin. S’il n’y a pas de changement dans la position israélienne sur les exigences de la résistance, alors « la guerre sera longue ». Netanyahou parie sur un mirage et craint le lendemain de la guerre. La question est : la société israélienne peut-elle supporter toute cette période de guerre ?
*Une condamnation pour corruption attend Netanyahu dès qu’il quitte son poste de Premier ministre.(NDT)
Article original en anglais sur The Cradle / Traduction MR