Résistance contre un nouveau déracinement de la terre de Palestine

Oroub El-Abed, 6 avril 2024. Contraints de déménager en raison de l’impact incessant des bombardements agressifs, des destructions généralisées et des directives militaires émises par les sionistes israéliens leur ordonnant de se déplacer vers le sud, près de 1,7 million d’habitants de Gaza se retrouvent confinés dans une zone de moins de 6 kilomètres. Après avoir enduré les conséquences désastreuses de ces circonstances en plein hiver, ils sont désormais aux prises avec une grave famine et des intempéries, obligés d’établir des camps de fortune pour s’abriter. Ce cycle récurrent de déplacements n’est pas une expérience nouvelle pour les habitants de Gaza, qui ont été soumis aux brutalités perpétrées par les sionistes israéliens depuis 1948. Plus de 60 pour cent des habitants de Gaza sont des réfugiés de 1948 venant du sud de la Palestine.

Des Palestiniens fuient les intenses attaques israéliennes et migrent vers Rafah et Deir Al Balah depuis Khan Yunis, le 22 janvier 2024.. [Ashraf Amra – Agence Anadolu]

En 1948, les Palestiniens ont dû fuir leurs foyers et leurs moyens de subsistance, craignant l’exécution atroce du Plan Dalet, qui était le « plan directeur » de l’armée sioniste visant à déposséder la Palestine historique, alors sous mandat britannique, pour préparer l’établissement d’un État israélien. Ce plan, qui incarne l’idéologie sioniste, consistait en une série de méthodes militaires par lesquelles les forces juives pourraient s’assurer de l’expulsion des Palestiniens. Cela impliquait la destruction de la majeure partie des Arabes de Palestine pour parvenir au fait accompli sur lequel l’État d’Israël a été fondé. La politique sioniste de « transfert » a effacé des villages, tué des civils et obligé les gens à quitter leurs maisons et leurs villes par le biais d’une guerre psychologique et des massacres. La politique transfériste comprenait la réduction des approvisionnements en eau et en nourriture et la destruction de l’infrastructure économique.

Les Palestiniens ont été obligés de chercher refuge dans les pays voisins. La proximité géographique et les relations sociales comptaient dans la destination choisie ; la majorité cherchait à s’établir dans ce qui est devenu la Cisjordanie et la bande de Gaza. Le reste est allé dans des pays proches comme le Liban, la Syrie et la Jordanie, qui, en 1951, ont accueilli l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA), apportant une aide aux cas difficiles et gérant l’éducation de base à travers ses écoles et ses soins de santé.

Un petit nombre de 13.000 Palestiniens ont cherché à se rendre en Égypte, où ils avaient des parents ou des liens professionnels. Ils ont d’abord été mis en quarantaine dans deux camps temporaires du nord-ouest du Sinaï (Azarita et Qantara Sharq), car les politiques n’acceptaient pas les réfugiés sur le territoire. Un camp a été établi à Abbasieh, au Caire, finalement démantelé dans les années 1980, et ses habitants ont déménagé vers d’autres quartiers urbains du Caire, principalement Ain Shams et Madinet El Salam. Après la révolution de Gamal Abdul Nasser en 1952 et son soutien panarabe, les Palestiniens ont obtenu des droits fondamentaux ainsi que des documents de voyage égyptiens. Cela leur a permis de s’installer en Égypte avec la perspective de s’inscrire dans l’enseignement supérieur et d’être recrutés pour des emplois dans le secteur public. Cet « âge d’or » a été officialisé par un arrêté publié en 1962 qui considérait les Palestiniens comme une exception aux règles générales concernant les étrangers et leur permettait d’accéder aux services du secteur public au même titre que les Égyptiens.

Cependant, en 1978, les Palestiniens sont passés de citoyens privilégiés à étrangers après l’assassinat du ministre de la Culture égyptien par le Palestinien Abu Nidal Al-Banna. Cet événement a marqué un tournant politique dans les relations palestino-égyptiennes ; le statut des Palestiniens a été fragilisé lorsque leurs droits et leurs privilèges ont été supprimés et jamais restaurés. Les lois ont été modifiées et les Palestiniens ont été catégorisés comme « étrangers ». En tant que signataire de la Convention relative aux réfugiés de 1951, l’Égypte a refusé d’appliquer l’article 1 D de 2002 révisé. Cet article stipule que les réfugiés qui ne relèvent de la protection ou de l’assistance d’aucune organisation des Nations Unies ont ipso facto le droit d’être protégés et assistés par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Les Palestiniens se sont retrouvés exclus des droits nationaux dont ils jouissaient autrefois et ont été marginalisés dans l’accès aux droits prévus par le droit international des réfugiés, malgré le fait qu’ils n’ont reçu l’assistance et/ou la protection d’aucun organisme des Nations Unies. Le refus par l’Egypte d’appliquer l’article 1 D de 2002 révisé les a laissés dans un vide juridique, avec des droits limités en tant que résidents et aucun droit en tant que réfugiés.

Aujourd’hui, en Egypte, au moins trois générations, notamment celles de parents palestiniens, n’ont aucune chance de gravir les échelons et de concourir au niveau professionnel. Le changement de traitement réservé aux étudiants palestiniens a empêché nombre d’entre eux de poursuivre leurs études. Une décision ministérielle de 1978 obligeait les étudiants palestiniens à passer des écoles publiques aux écoles privées, où l’enseignement scolaire et universitaire devenait coûteux et difficile d’accès en raison des frais de scolarité élevés. Sans une éducation solide, les Palestiniens sont incapables de postuler pour des emplois professionnels où ils doivent obtenir un permis de travail, et la réglementation limite le nombre d’« étrangers » dans toute entreprise à dix pour cent.

On estime qu’environ 200.000 Palestiniens résident en Égypte, répartis dans différents gouvernorats du centre et du nord du pays. Ils s’engagent socialement, professionnellement et culturellement avec les Égyptiens, nouent des liens en tant qu’Arabes, musulmans, voisins et, notamment, en tant que Palestiniens, avec des liens avec l’histoire et les sites sacrés de la Palestine. Au fil des années, les mariages mixtes ont estompé les distinctions fondées sur l’apparence et le dialecte, rendant difficile la distinction entre Palestiniens et Égyptiens. Divers facteurs ont influencé la formation de l’identité palestinienne en Égypte. Les entretiens que j’ai menés dans le cadre de mes recherches entre 2001 et 2003 n’ont pas révélé de schéma identitaire cohérent ; certains Palestiniens optent pour l’assimilation sociale, avec des droits limités et des liens plus forts avec les Égyptiens, tandis que d’autres, malgré une intégration sociale réussie, expriment un sentiment profondément enraciné d’identité et d’appartenance palestiniennes.

En raison de leur proximité et de leurs liens sociaux, les Palestiniens de Gaza sont bien conscients des circonstances difficiles auxquelles sont confrontés leurs homologues égyptiens. De nombreuses personnes interrogées pour le livre que j’ai rédigé entre 2001 et 2003 ont mentionné avoir reçu une aide financière de leurs proches à Gaza et non l’inverse.

Les Palestiniens de Gaza, qui ont souffert du déplacement au moins deux fois au cours de leur vie, résistent fermement à la perspective d’un nouveau déracinement, surtout pas vers l’Égypte. Les actions brutales des forces sionistes-américaines contre les civils à Gaza reproduisent le scénario exact du Plan Dalet de 1948 : semer la peur par des atrocités et un génocide, les déposséder par la force de leurs biens et propriétés, raser les terres pour empêcher le retour et supprimer les services essentiels comme l’assainissement, l’eau et l’électricité, les obligeant à chercher refuge ailleurs.

Malgré ces difficultés, la détermination inébranlable des Palestiniens à résister au déracinement de leur terre souligne leur refus d’accepter une vie avec des droits et une dignité limités en dehors de leur patrie palestinienne.

Article original en anglais sur Middle East Monitor / Traduction MR

Oroub El-Abed est chercheur postdoctoral au Centre for British Research in the Levant (bourse de la British Academy). Elle est titulaire d’un doctorat en études de développement de la School of Oriental and African Studies de l’Université de Londres, et a été consultante et a écrit dans le domaine de l’économie politique du développement et de la migration forcée, en particulier les réfugiés palestiniens au Moyen-Orient. Elle est l’auteur de Unprotected : Palestinians in Egypt since 1948 (Washington, DC et Ottawa, Californie : Institut d’études sur la Palestine et Centre de recherches pour le développement international, 2009).