Tenir Israël pour responsable des tortures infligées aux Palestiniens et soutenir les survivants

Samah Jabr, 27 mars 2024. La torture reste une réalité omniprésente en Palestine, où d’innombrables personnes ont enduré des traumatismes physiques et psychologiques indescriptibles aux mains des forces israéliennes.

« Sources médicales d’Al-Shifa à Al-Araby : les forces d’occupation israéliennes ont ordonné aux Palestiniens d’Al-Shifa de se diriger vers le sud après les avoir forcés à se déshabiller. »

Il s’agit d’un problème particulièrement grave depuis le 7 octobre, début de la guerre à Gaza, lorsque des Palestiniens ont déclaré à Middle East Eye qu’ils avaient été physiquement torturés avec des chiens et à l’électricité, soumis à des simulacres d’exécution et détenus dans des conditions humiliantes et dégradantes. Un homme a décrit comment il avait été menotté, les yeux bandés et détenu dans une cage métallique pendant 42 jours.

Aborder des violations aussi graves des droits humains nécessite une approche globale et le développement de compétences spécialisées pour les professionnels de santé chargés de documenter et de soigner les survivants.

Formée au Protocole d’Istanbul pour enquêter efficacement sur la torture, je me suis consacrée à doter mes collègues professionnels des outils nécessaires pour naviguer sur ce terrain difficile.

Alors que la violence continue de s’intensifier – la torture ne se limite pas aux centres de détention, mais également observée et filmée dans les rues des territoires palestiniens occupés – il est plus impératif que jamais de renforcer les capacités des acteurs de santé à documenter de tels incidents et d’amplifier ainsi la voix des survivants dans leur quête de justice.

Les Palestiniens sont systématiquement opprimés depuis des décennies, avec plus de 800.000 arrestations depuis 1967. Dans les centres de détention israéliens, beaucoup ont été victimes de violences physiques et psychologiques brutales qui répondent aux critères stricts de torture énoncés par les Nations Unies.

Les éléments clés de la torture comprennent le fait d’infliger intentionnellement de graves souffrances mentales ou physiques dans un but spécifique, avec la participation d’une personne agissant à titre officiel. L’augmentation du nombre de cas depuis le 7 octobre nous rappelle brutalement la nécessité urgente de documenter ces atrocités et de demander des comptes à leurs auteurs devant la communauté internationale.

Tactiques barbares

Les tactiques de torture employées contre les Palestiniens sont aussi variées que barbares, allant des passages à tabac brutaux aux techniques sophistiquées « sans contact » importées des pratiques d’interrogatoire mondiales. Israël a également exporté des méthodes de torture spécifiques, telles que la position de tension de la « chaise palestinienne ».

En plus d’infliger des souffrances atroces au moyen de tactiques telles que la suspension et la simulation de noyade, les forces israéliennes ont eu recours à la guerre psychologique, exploitant les sensibilités culturelles et les vulnérabilités individuelles pour amplifier les souffrances de leurs victimes. La privation de sommeil est un élément essentiel de la torture psychologique.

Les informations faisant état d’abus sexuels, notamment de viols et de nudité forcée, soulignent la dépravation à laquelle les détenus sont soumis. La combinaison insidieuse de torture physique et psychologique sert non seulement à punir, mais aussi à extorquer des aveux sous la contrainte. De telles pratiques marquent et traumatisent les survivants et leurs familles, tout en intimidant la communauté palestinienne dans son ensemble.

L’efficacité de la torture réside essentiellement dans sa capacité à briser la résilience psychologique des victimes, les réduisant à un état d’impuissance et de dépendance. Par la dégradation et la manipulation systématiques, les interrogateurs érodent l’estime de soi de la victime, la remplaçant par une identification pathologique avec son agresseur.

Cette dynamique insidieuse déforme la perception de la réalité de la victime et mine sa capacité à articuler son épreuve de manière cohérente. Longtemps après la guérison de leurs blessures physiques, les survivants sont aux prises avec une myriade de conséquences psychologiques, notamment le trouble de stress traumatique, la dépression et une profonde méfiance envers les autres.

Ces cicatrices psychologiques persistantes posent de sérieux défis au processus de documentation, alors que les survivants naviguent dans un labyrinthe intérieur de déficits de mémoire, de confusion et de détresse émotionnelle induits par les traumatismes. Ils peuvent avoir des difficultés à se souvenir et à raconter leurs expériences. Les déficits de mémoire, associés à une peur et une méfiance omniprésentes, entravent souvent leur volonté de s’engager dans le processus de documentation.

Le simple fait de revisiter des souvenirs traumatisants peut déclencher une détresse émotionnelle intense ou un comportement d’évitement, ce qui complique encore davantage le travail de recueil de récits cohérents. En tant que professionnels de la santé, nous devons rester à l’écoute de ces défis, en employant des approches qui tiennent compte des traumatismes et donnent la priorité à l’autonomie et au bien-être des survivants, tout en cherchant à faire respecter leur droit à la vérité et à la justice.

Face à des violations aussi odieuses des droits humains, le Protocole d’Istanbul offre un cadre standardisé pour documenter la torture, fondé sur la compassion et la dignité humaine. En dotant les professionnels de santé des compétences et des ressources nécessaires, nous pouvons donner aux survivants de la torture les moyens de reprendre le contrôle de leurs récits, en amplifiant leur voix dans leur quête de responsabilisation et de réparation.

Alors que nous nous efforçons de lutter contre la torture et de défendre les droits des victimes, soyons solidaires des survivants, en témoignant de leur douleur et en plaidant sans relâche pour un avenir sans oppression et sans impunité.

Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR


Le Dr Samah Jabr est psychiatre et chef de l’unité de santé mentale au ministère palestinien de la Santé.