Raneem Abdu, 10 mars 2024. Les forces israéliennes mènent une guerre psychologique contre les 2,3 millions d’habitants de la bande de Gaza, pour tenter de les démoraliser, répandre la désinformation et les retourner contre le Hamas.

Les principaux outils de ces campagnes sont les tracts largués depuis des avions et des ballons, des tactiques de propagande utilisées dans les deux guerres mondiales par les deux camps et lors des attaques américaines contre le Vietnam et l’Irak.

Lors de ces conflits, les tracts appelaient les militants à se rendre. Le nazi allemand Joseph Goebbels a déclaré à propos des tracts largués par les alliés : « Leurs tracts sont adressés aux points les plus faibles de la nation. Ce sont des armes… et nous devons être prudents avec toutes les armes. »

À propos de la campagne israélienne actuelle, Alia Kassab, 23 ans, a déclaré : « Lorsque des tracts ont été largués sur Gaza il y a deux mois, mes petits frères étaient heureux de voir des papiers de couleur tomber du ciel.

« Ils pensaient que c’était une activité nouvelle et intéressante. Mais le reste d’entre nous étions terrifiés ; nous connaissions les conséquences. »

Jeudi, et à quelques jours du début du Ramadan, les forces israéliennes ont largué des tracts sur Gaza marquant le mois sacré musulman. Les Palestiniens l’ont dénoncé comme une forme de « torture psychologique ».

Les tracts appellent les citoyens à « nourrir les nécessiteux et à parler gentiment » à une époque où des centaines de milliers de personnes dans le territoire assiégé risquent de mourir de faim en raison du blocus israélien sur la nourriture et l’eau.

De nombreux Palestiniens sont morts de déshydratation et de malnutrition depuis le début de la guerre le 7 octobre, suite à la décision d’Israël de couper toute nourriture, aide, électricité et carburant à l’enclave déjà assiégée.

Les tracts, rédigés en arabe, contiennent des images de lanternes généralement utilisées comme décorations du Ramadan.

Ils comprennent une prière demandant à Dieu que « les jeûnes soient acceptés et les péchés soient pardonnés » et que les Palestiniens de la région aient une « délicieuse rupture du jeûne ».

Messages personnalisés

L’assaut de 2023-24 n’est pas la première fois qu’Israël déploie des tracts comme outil de guerre. En 2014, ils ont été largement utilisés pour monter les civils les uns contre les autres et semer la terreur.

Et en 2018, ils ont été largués dans les quartiers de Gaza pour évacuer la zone proche de la frontière orientale de Gaza.

Les tracts israéliens sont souvent adaptés à des publics spécifiques, leurs messages étant personnalisés en fonction des données démographiques et des quartiers des résidents ciblés.

À partir d’octobre 2023, l’armée israélienne a divisé la bande de Gaza en blocs et, par la suite, selon cette division, a largué des tracts.

Un tract du 6 janvier 2024 disait : « Avertissement urgent aux habitants des quartiers et îlots suivants – Alamal, Alsidra, Alfaruq, Ain Jalut et les îlots 2232, 2339, 2340, 2343, 2347, 2348. Le quartier dans lequel vous vous trouvez est considéré comme un champ de bataille. »

Des messages menaçants tels que « quiconque choisit de ne pas évacuer la partie nord de Gaza vers le sud sera considéré comme un terroriste » sont utilisés pour manipuler les habitants et les amener à quitter leur domicile et à abandonner leurs biens.

Un tract lancé dans le nord de Gaza l’année dernière disait même : « Pas besoin d’apporter de l’eau et de la nourriture, nous nous occuperons de cette question. » Pourtant, 800.000 Palestiniens à Gaza risquent désormais de mourir de faim et de soif.

Les messages israéliens déforment également souvent les faits pour faire avancer un discours ou un programme particulier. Cela peut impliquer de répandre des rumeurs, d’exagérer ses faiblesses ou de minimiser ses propres pertes pour paraître plus fort.

Pour tenter de gagner des « convertis », les tracts jouent parfois sur les sentiments religieux des citoyens et font référence à des dates importantes de la culture gazaouie.

Des tracts largués par des avions israéliens le 8 février 2024 disaient : « À l’occasion du jour d’Isra et de Miʿraj, le Hamas a exclu les Palestiniens de la mosquée Al-Aqsa, le Hamas exécutera tous les Gazaouis de leur brillant avenir. »

Les dépliants incluent généralement un appel à l’action, exhortant le public cible à prendre des mesures spécifiques ou à prendre certaines décisions, comme se rendre, résister à leurs dirigeants ou quitter une zone particulière.

Attiser les conflits internes

Cependant, à maintes reprises, les Palestiniens de Gaza ont appris à ne pas faire confiance à ce que leur dit Israël.

Par exemple, bien que des tracts leur aient demandé d’évacuer plus au sud lors de l’agression actuelle, les forces israéliennes ont ensuite bombardé ces soi-disant endroits sûrs.

« Ma famille et moi avons évacué sept fois selon les ordres donnés par les tracts », a déclaré Yasmin Matar, 25 ans.

« Chaque fois que nous évacuons vers un endroit qu’ils qualifient de sûr, ils laissent tomber un autre tract pour nous informer que ce n’est plus [sûr]. Dans l’un des endroits, nous avons été assiégés par des chars et des hélicoptères de l’armée israélienne. Ils ne nous ont même pas prévenus. »

Pourtant, Israël essaie souvent d’utiliser ces tracts d’évacuation comme « preuve » auprès des autres gouvernements et tribunaux qu’il agit humainement en avertissant les civils avant les attaques.

Un autre type de tract est conçu pour démoraliser les citoyens, semer le doute sur leurs dirigeants et attiser les conflits internes.

Les habitants de Gaza sont stressés et effrayés en raison de l’agression israélienne en cours, et ce type de pression rend plus difficile le maintien de la résilience et de l’interconnexion.

Par exemple, il y a deux semaines, des avions israéliens ont commencé à larguer de petits magazines appelés Alwaka, qui signifie Les Événements, contenant des messages écrits spécifiquement pour encourager les gens à se retourner contre leur propre peuple.

Mais cette méthode de propagande fonctionne-t-elle ? Dans une certaine mesure, cela dépend du moral des gens. Cependant, comme lors de la plupart des guerres précédentes, la réponse est globalement « non ». Au contraire, ils engendrent le ressentiment et renforcent la haine.

« Après que ma famille et moi avons été évacués vers Khan Younis, des avions ont largué des tracts », a déclaré Rehaf Abu Zarifa, un programmeur gazaoui de 22 ans.

« Mais nous n’avons pas eu peur. J’ai même vu des gens, y compris mes frères, récupérer ces tracts pour les utiliser pour allumer un feu, car le bois et le charbon sont désormais chers et difficiles à trouver. »

Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR

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Raneem Abdu est une assistante de production numérique palestinienne et conseillère indépendante en matière de marque et de publicité.