Partager la publication "Pourquoi les plans occidentaux pour un autre régime clientéliste palestinien sont voués à l’échec"
Joseph Massad, 29 janvier 2024. Les ennemis occidentaux du peuple palestinien s’égosillent sur la façon d’inventer une nouvelle direction palestinienne.
Ils imaginent un leadership qui continuerait de fournir à Israël et à l’Occident tous les services que l’Autorité Palestinienne (AP) leur garantit depuis 1993, mais cette fois, en conservant sa légitimité aux yeux du peuple.
Fondamentalement, ces conspirateurs occidentaux ne parviennent pas à reconnaître que la fonction de l’AP en tant que principal collaborateur d’Israël est précisément la raison pour laquelle elle a perdu sa légitimité auprès des Palestiniens. Ils accusent plutôt la corruption et la mauvaise gestion en Cisjordanie et, avant 2006, à Gaza, comme si cette mauvaise gestion n’était pas directement liée à son rôle de collaboration avec Israël et ses alliés occidentaux.
Les États-Unis ont récemment testé le marché des propositions ventriloques de certains États arabes et de la grande presse occidentale anti-palestinienne.
Certains suggèrent un nouveau gouvernement palestinien qui inclurait un Hamas démilitarisé, purgé de son engagement dans la lutte armée contre la suprématie juive et le colonialisme de peuplement. D’autres insistent sur le fait que même si l’Autorité palestinienne doit être réformée, il n’y aura pas de place pour le Hamas.
Les ennemis occidentaux des Palestiniens ne semblent pas connaître, ni même s’intéresser, à l’histoire des nombreuses tentatives précédentes, infructueuses, visant à concevoir une direction palestinienne qui réponde aux besoins suprémacistes et coloniaux juifs d’Israël. Peut-être qu’une étude les aiderait.
Tentatives manquées
Après l’occupation britannique de la Palestine en décembre 1917, les autorités britanniques et leurs larbins sionistes ont entrepris de former des dirigeants palestiniens qui collaboreraient avec les colons envahisseurs et supplanteraient la direction nationale des Associations musulmanes-chrétiennes palestiniennes (MCA) et sa lutte pour l’indépendance.
Dans les années 1920, les Britanniques et les sionistes ont créé deux de ces organismes collaborationnistes, dont la Société nationale musulmane sectaire, qui cherchait à diviser la direction palestinienne et à saper les MCA. Dirigé par une famille éminente de Jérusalem, le Parti agricole était un autre groupe qui a collaboré avec les sionistes pour usurper les terres des paysans palestiniens. Ces organisations ont été immédiatement reconnues comme « traîtres » par les Palestiniens et n’ont jamais acquis de légitimité.
En 1938, les bandes coloniales sionistes et l’armée britannique ont créé les « bandes de la paix », une force mercenaire palestinienne dont les membres ont commencé à tuer des révolutionnaires palestiniens dans le but de réprimer la Grande Révolte palestinienne de 1936-1939.
À leur tour, les patriotes palestiniens ont assassiné de nombreux dirigeants des « bandes de la paix » dont les noms sont tombés dans l’infamie.
Après sa création, Israël a recruté des anciens des villages palestiniens, ou moukhtars, pour collaborer avec lui. Les moukhtars n’ont jamais trouvé de légitimité parmi la population palestinienne captive, qu’Israël a soumise à un régime militaire d’apartheid de 1948 à 1966.
Après la création de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1964 et la conquête de la Cisjordanie et de Gaza par Israël en 1967, Israël a de nouveau tenté de recruter davantage de collaborateurs pour délégitimer la coalition populaire, mais a échoué. Les autorités israéliennes en Cisjordanie occupée ont organisé des élections municipales en 1972 et 1976 et ont formé les Ligues villageoises en 1978 pour installer et encourager les dirigeants collaborateurs palestiniens. Les maires élus en 1972 ont cependant été discrédités et remplacés par des maires pro-OLP en 1976, qu’Israël écartera plus tard du pouvoir car ils refusaient d’exécuter ses ordres.
Pendant ce temps, le Mouvement des pays non alignés a reconnu l’OLP (dominée par le Fatah, qui était à l’époque le groupe de libération palestinien le plus important et le mieux financé) en 1973, tout comme la Ligue arabe et les Nations Unies en 1974, comme « le seul groupe légitime » représentant du peuple palestinien.
Quant aux Ligues villageoises, quiconque collaborait avec elles était immédiatement qualifié de traître, non seulement par l’OLP mais aussi par le gouvernement jordanien. Le projet fut un échec cuisant.
Le chemin de la trahison
À la fin des années 1980, au milieu du premier soulèvement palestinien ou Intifada, la détermination de l’OLP a commencé à faiblir et elle a subrepticement accepté un accord. En échange de sa reconnaissance formelle par Israël et l’Occident, l’OLP devrait reconnaître le « droit d’exister » d’Israël en tant qu’État suprémaciste juif.
Après plusieurs contretemps, l’accord fut scellé en 1993 avec les accords d’Oslo. Cela a permis à l’OLP de faire de l’AP le sous-traitant de l’occupation. En tant que telle, l’AP a perdu toute légitimité peu après son entrée en fonction, sauf parmi les élites palestiniennes qui l’ont soutenue pendant un certain temps. Mais même ces élites ne sont plus en mesure de maintenir leur soutien, comme elles le faisaient auparavant.
Le chemin vers la trahison de l’OLP, dominée par le Fatah, a commencé à Alger lorsque l’OLP a formellement accepté la solution à deux États en novembre 1988. C’était moins d’un an après l’émergence, en décembre 1987, du Hamas, dont la caractéristique fut son évolution vers une aile politique et militaire et le dynamisme de sa compréhension de la nature d’Israël et de son occupation. Ceci est illustré par les changements apportés à sa charte et ses déclarations sur la nature de la lutte palestinienne, comme l’ont démontré les spécialistes de son histoire.
Contrairement à l’OLP, le Hamas et le Jihad islamique, formé en 1981, ont opté pour une résistance continue. Les deux restent les deux principales factions palestiniennes extérieures à l’OLP.
Après le redéploiement de l’armée d’occupation israélienne autour de Gaza en 2005, l’Occident a tenté, par l’intermédiaire des régimes arabes, d’intégrer le Hamas. L’objectif était de la transformer en une autre OLP en l’incitant à abandonner la lutte nationale pour la libération et l’indépendance, et à rejoindre le racket du « processus de paix » inventé par les États-Unis, dont l’objectif a toujours été d’enraciner la suprématie juive et le colonialisme de peuplement d’Israël et de vaincre la lutte palestinienne de libération nationale.
Des pourparlers entre le Hamas et l’Autorité palestinienne ont eu lieu au Caire. La direction politique du Hamas a commencé à hésiter dans son opposition totale aux accords d’Oslo et aux procédures qui ont suivi, et a décidé de participer aux élections de 2006 pour diriger l’AP, qui opérait sous occupation israélienne. Le Hamas a remporté une victoire écrasante, qui a précipité un coup d’État contre lui en 2007 par les États-Unis, Israël et le Fatah. Le coup d’État a réussi en Cisjordanie, où l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah a été rétablie, mais a échoué à Gaza, où les élus du Hamas ont continué à gouverner.
Depuis 2007, Israël a mené de multiples campagnes de bombardements pour détruire le Hamas, ou du moins pour l’amener à abandonner la résistance armée et à rejoindre l’AP contrôlée par le Fatah [qui avait renversé le Hamas lorsque ce dernier avait remporté les dernières élections].
Hésitante, une fois de plus, l’aile politique du Hamas a participé à de nouveaux pourparlers tenus au Caire il y a trois ans, en février 2021, et a accepté d’organiser de nouvelles élections à l’AP, que cette dernière refuse d’organiser depuis 2006 de peur que le Hamas ne gagne à nouveau.
Malgré la flexibilité et les concessions de l’aile politique du Hamas, le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas est revenu sur l’accord et n’a jamais organisé de nouvelles élections. Pendant ce temps, l’AP a continué à collaborer (ce qu’elle appelle la « coordination sécuritaire ») avec Israël et à réprimer toute résistance palestinienne à l’occupation.
Un mois après les pourparlers du Caire, en mars 2021, l’actuel chef du Hamas, Yayha al-Sinwar, a été élu pour un second mandat. Sinwar est proche de la branche militaire du Hamas, dont il fut l’un des fondateurs. Pas plus tard qu’en mai 2021, Sinwar a dit que le Hamas était prêt à des pourparlers avec l’Autorité palestinienne afin de « mettre de l’ordre dans la maison palestinienne ». Il a refusé d’abandonner la lutte armée car sa proposition cherchait à combiner « la résistance armée, la légitimité des institutions de l’Autorité [palestinienne] et les initiatives pacifiques sur la voie de la libération et du retour ».
L’AP et ses sponsors occidentaux ont cependant continué à atermoyer.
Desseins occidentaux
Pendant la guerre génocidaire menée par Israël contre Gaza et l’effondrement complet de la réputation de l’Autorité palestinienne considérée comme une entité traitresse, les ennemis occidentaux des Palestiniens, qui ont financé, armé et défendu le génocide israélien, ont commencé à envisager une nouvelle direction palestinienne. Alors que l’AP a rempli son rôle collaborationniste avec aplomb mais a perdu toute légitimité dans le processus, les Américains veulent concevoir un nouvel organisme collaborateur palestinien pour leur interminable « processus de paix ».
Plusieurs semaines après le début de la guerre contre Gaza, le New York Times rapportait en novembre que « la seule solution, disent de nombreux Palestiniens, est de trouver un moyen d’intégrer le Hamas au sein de l’Organisation de libération de la Palestine et de l’Autorité palestinienne, toutes deux dirigées par M. Abbas et le Fatah ».
Le journal affirmait qu’« une OLP plus représentative pourrait organiser de nouvelles élections pour une Autorité palestinienne plus représentative, qui aurait beaucoup plus de crédibilité à la fois à Gaza et en Cisjordanie, selon cette manière de pensée. Mais cela nécessiterait également qu’un Hamas affaibli accepte l’existence d’Israël et s’engage à négocier un État palestinien à ses côtés ». Cela ressemble plus à la pensée américaine, reformulée par le Times, qu’à celle des Palestiniens.
En décembre, Foreign Affairs a déclaré que « les Palestiniens devront relancer non seulement les institutions de gouvernance et de sécurité, mais aussi, plus fondamentalement, les politiques : le manque de leadership politique efficace en raison de la décadence des institutions politiques palestiniennes, notamment l’Autorité palestinienne et l’Organisation de libération de la Palestine. »
L’article ajoute : « Toute discussion sur le « lendemain » devrait donc avoir pour objectif d’encourager l’émergence d’une direction politique palestinienne unitaire et cohérente. Les dirigeants palestiniens devront mettre de côté leurs engagements factionnels, et Israël et les États-Unis devront abandonner l’idée totalement irréaliste selon laquelle le Hamas peut être définitivement exclu de la politique palestinienne. »
Parmi les propositions des cercles gouvernementaux américains, citons notamment celle selon laquelle « Abbas pourrait nommer un adjoint, confier des pouvoirs exécutifs plus étendus à son Premier ministre et introduire de nouvelles personnalités à la direction de l’organisation, ont indiqué des sources palestiniennes et régionales. »
Les États-Unis, la puissance mondiale la plus cynique lorsqu’il s’agit de soutenir un régime démocratique partout dans le monde, ont insisté par l’intermédiaire du Département d’État sur le fait que « les choix de leadership étaient l’affaire du peuple palestinien et qu’ils n’ont pas précisé les mesures nécessaires pour revitaliser l’Autorité. »
Cependant, alors que les sondages révèlent la popularité croissante du Hamas et le déclin d’Abbas et de son Autorité palestinienne, ce qui conduirait à une nouvelle victoire électorale du Hamas dans les territoires palestiniens occupés, les États-Unis « estiment qu’il serait prématuré d’envoyer les Palestiniens aux urnes aussitôt après la fin de la guerre. Les responsables américains se souviennent de la victoire du Hamas aux élections législatives de 2006, qui avaient été encouragées par Washington et d’autres gouvernements occidentaux. »
Ainsi, alors que le Département d’État insiste sur le fait que le peuple palestinien doit décider du choix de ses propres dirigeants, il affirme que « chaque fois que des élections ont lieu, il faut exclure le Hamas. »
Collaborateurs arabes
De telles propositions coïncidaient avec le nouveau plan égyptien annoncé fin décembre, appelant « à un nouvel organe directeur composé de Palestiniens pour superviser à la fois la Cisjordanie occupée par Israël et Gaza. Il dirigerait la reconstruction d’après-guerre de Gaza et prévoirait d’éventuelles élections futures pour créer un gouvernement d’unité nationale ».
En raison de l’opposition israélienne et américaine, cette partie du plan aurait été « supprimée de la dernière version de deux pages de la proposition ». Néanmoins, les Égyptiens affirment que « la future direction palestinienne devrait être discutée lors des négociations avec l’Égypte et devrait constituer un élément crucial de tout accord ».
L’Autorité palestinienne a salué le plan égyptien, le Premier ministre Mohammad Shtayyeh disant que « toute proposition concernant le futur leadership en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ne doit pas contourner l’Organisation de libération de la Palestine, reconnue internationalement ».
La résurrection soudaine de l’OLP moribonde par l’AP est des plus remarquables, étant donné que c’est l’AP elle-même, dans le cadre de la stratégie d’Oslo, qui a vidé l’organisation et l’a mise en faillite financière depuis 1994.
En effet, on a récemment rapporté que des messages non officiels envoyés par Mahmoud Abbas au Hamas et au Jihad islamique les informaient que les deux organisations ne pourraient obtenir chacune qu’un seul siège pour les représenter au sein de l’OLP, même si les deux organisations jouissent d’une plus grande popularité parmi les Palestiniens que les 11 factions de l’OLP, dont le Fatah, réunies.
Il est intéressant de noter que nul autre que l’éminent chroniqueur sioniste du New York Times Thomas Friedman a également récemment appelé à « une version réformée de l’Autorité palestinienne actuelle basée à Ramallah – qui a adopté l’accord de paix d’Oslo avec Israël et a travaillé avec les forces de sécurité israéliennes – ou une sorte d’institution entièrement nouvelle nommée par l’Organisation de libération de la Palestine, seul représentant légitime du peuple palestinien ».
Friedman a ajouté que « les Palestiniens, par l’intermédiaire de l’Organisation de libération de la Palestine, engageraient leur propre processus de nomination d’une autorité gouvernementale de transition – avant d’organiser des élections pour une autorité permanente – et que les États occidentaux et arabes aideraient cette autorité à construire des institutions appropriées, y compris un force de sécurité pour Gaza et la Cisjordanie. »
Friedman est clair sur le fait que rien de tout cela n’est dans l’intérêt des Palestiniens. Au contraire, il s’agit de sauvegarder le régime d’apartheid suprémaciste juif d’Israël : « Par conséquent, la clé pour que Gaza ne soit plus une menace permanente et un fardeau pour Israël est d’avoir une structure gouvernementale palestinienne alternative qui est considérée comme légitime parce qu’elle fait partie d’un solution à deux États et efficace car elle bénéficie du financement et du soutien des États arabes. »
Friedman ne semble pas inclure le Hamas dans la nouvelle direction, car il a adopté la définition de Benjamin Netanyahu comme « une terrible organisation vouée à la destruction de l’État juif ».
L’ancien négociateur anti-Hamas de l’OLP Ahmad Samih Khalidi fait également pression pour un nouveau leadership dans un appel à Israël et à ses soutiens occidentaux, publié dans The Guardian.
Contrairement à Friedman, Khalidi se rend compte qu’aucune réforme de l’Autorité palestinienne ne lui conférerait une légitimité et que la seule chose qui pourrait y parvenir serait que le Hamas la rejoigne : « En ce qui concerne le rétablissement d’une autorité politique viable dans la bande de Gaza et la reconstitution d’une représentation palestinienne capable de prendre et de maintenir des décisions, le véritable problème est de savoir comment intégrer le Hamas et son « esprit de résistance » associé dans une nouvelle Autorité palestinienne, plutôt que de savoir comment l’écraser ou l’exclure. »
Khalidi ajoute : « Au sein ou associé à cette autorité, le Hamas pourrait faire partie de la solution ; à l’extérieur, cela resterait à la fois un gêneur et un pôle d’attraction opposé. » Mais ce que Khalidi ne semble pas prendre en compte, c’est que si les dirigeants du Hamas devenaient une autre OLP et concédaient le droit d’Israël à rester un État colonial suprémaciste juif, le Hamas dilapiderait également son capital de libération nationale et deviendrait une autre AP.
Khalidi craint que « plutôt que d’écraser le Hamas », l’effet le plus probable de la guerre génocidaire d’Israël « sera de remythologiser la notion de résistance et de semer la graine de futures itérations que le Hamas pourraient inspirer ». Même si la poursuite de la résistance anticoloniale jusqu’à la libération nationale est une lutte séculaire que les Palestiniens ont adoptée depuis les années 1920, Khalidi a raison de dire que ce ne serait pas une bonne chose pour Israël et les ennemis occidentaux des Palestiniens.
Ce qui ressort clairement de ces plans, c’est que ni les États-Unis ni leurs alliés arabes n’ont de nouvelles idées. Ils veulent plutôt poursuivre la même stratégie qui a échoué depuis le début des années 1970 et que les Britanniques et les Israéliens ont utilisée depuis les années 1920. L’accord d’Oslo a en effet réussi pendant une courte période à faire croire à un bon nombre de Palestiniens que la direction de l’Autorité palestinienne qu’il soutenait était légitime. Des illusions rapidement abandonnées par la majorité cependant.
Les États-Unis et Israël se rendent compte qu’il ne pourra jamais y avoir de dirigeants palestiniens légitimes qui accepteraient le droit d’Israël de rester un État suprémaciste juif de colonisation, quelle que soit l’autonomie ou le micro-État dépourvu de pouvoir accordé aux Palestiniens. C’est pourquoi il leur faut élaborer un plan visant à produire une direction qui semble légitime tout en détruisant ou en cooptant simultanément toute direction palestinienne légitime existante.
Israël et les ennemis occidentaux des Palestiniens ont réussi pendant une courte période, en 1993, lorsqu’ils ont transformé l’OLP en Autorité palestinienne. Aujourd’hui, leurs tentatives de transformer l’Autorité palestinienne en OLP, avec ou sans le Hamas, ont bien moins de chances de réussir.
Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR