Partager la publication "Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 18 / 29 et 30.01"
Brigitte Challande, 31 janvier 2024. 1ère partie des témoignages : du 20.11 au 15.12. 2ème partie : du 18 au 27.12. 3ème partie : du 30.12.2023 au 01.01.2024. 4ème partie : les 3 et 4 janvier. 5ème partie : les 7 et 8.01. 6ème partie : les 9 et 10 janvier. 7ème partie : du 11 au 15 janvier. 8ème partie : du 16 au 18 janvier. 9ème partie : nouveaux récits, du 16 au 18 janvier. 10ème partie : les 18 et 19 janvier. 11ème partie : les 19 et 20 janvier. 12ème partie : les 21 et 22 janvier. 13ème partie : 22 janvier. 14ème partie : 23-24 janvier. 15ème partie : 25 et 26 janvier. 16ème partie : 25 au 27 janvier. 17ème partie : 28 janvier.
Des précisions pour une meilleure compréhension de ces chroniques journalières, notamment pour celles et ceux qui rejoignent leur lecture récemment ou de façon discontinue. C’est le compte-rendu précis et factuel des violences et violations du droit perpétrées par Israël, que Marsel compile quotidiennement dans un récit prenant sa source dans une observation documentée à la fois sur le terrain et à partir de différentes déclarations officielles ou médiatiques. C’est tout cela qui en fait un document essentiel.
L’emploi très fréquent dans ces chroniques du mot « martyr » fait référence au fait « d’être assassiné par la guerre », c’est-à-dire mort. En ce moment, journellement, il y a entre 150 et 200 morts par jour dans toute la bande de Gaza.
Compte rendu d’ Abu Amir : distribution de repas dans la bande Al Mawasi le 29 janvier :
29 janvier : Nous nous sommes rendus ce matin à notre emplacement dans la région de Mawasi Rafah, pour préparer le déjeuner pour les réfugiés là-bas.
Cette journée était inhabituelle. Mon attention a été attirée sur l’arrivée d’un grand nombre de familles, environ une heure et demie en avance, ce qui m’a incité à demander aux travailleurs pourquoi ces familles étaient arrivées si tôt. L’un des travailleurs là-bas m’a répondu que plus de 70 nouvelles familles étaient arrivées sur la zone, fuyant la région de Khan Yunis hier soir.
À l’heure du repas, précisément à midi et demi, nous avons commencé à servir des pâtes. Nous avons fini de servir deux marmites et avons commencé la troisième, mais même ainsi, le nombre des gens augmentait. Nous nous sommes regardés et nous nous sommes demandé quoi faire. Nous avons terminé la troisième et dernière marmite, et il restait environ 70 familles qui n’avaient pas reçu de nourriture, et la fin de la vidéo montre cela.
Il convient de noter que des milliers de familles ont fui Khan Yunis hier et avant-hier, les bombardements s’étant intensifiés dans la région de Khan Yunis. Ce qui a augmenté le fardeau sur la région de Rafah, en particulier la région d’Al-Mawasi.
Voici la vidéo du 29 janvier :
https://drive.google.com/file/d/1Ei2Or_JZk9gzZCo88xFsKBVhU171L2Su/view?usp=drivesdk
Regarder ces vidéos me rend malade….
Les photos correspondantes sont à l’adresse :
https://drive.google.com/drive/folders/1EfQwUUAPIxwnZBHHV7XjUuw8gcTsR7AG
Actualité des paysans assiégés dans l’école al-Amar à Khan Younis :
En ce qui concerne les derniers développements pour l’école assiégée, dans laquelle les agriculteurs sont rassemblés, dans la région occidentale de Khan Younis, ni la Croix-Rouge ni le Croissant-Rouge n’ont répondu aux appels que nous avons lancés.
Après que les tanks se soient éloignés, les blessés ont été transférés par un tuktuk, celui avec lequel nous avons envoyé de l’aide hier, et qui était resté à l’intérieur de l’école. Quant aux morts, les paysans les ont enterrés précipitamment dans des terres libres situées en face de l’école.
La souffrance de ces agriculteurs à l’intérieur de l’école continue, en raison des bombardements renouvelés dans les environs de l’école. Parfois, lorsque les tanks sont absents, quelques jeunes hommes peuvent s’échapper de l’école et se rendre dans la région de Rafah, pour parler des horreurs qu’ils ont vues dans l’école. Demain, nous attendons une réponse des opérations de l’UNRWA dans la région de Rafah, par rapport à la proposition que nous leur avons présentée concernant la fourniture de bâches plastiques pour les tentes que nous voulons créer pour ces agriculteurs.
Abu Amir, 30 janvier 2024, par téléphone avec Sarah :
Abu Amir a eu accès à la traduction en arabe des commentaires de la décision de la CIJ par les avocats Gilles Devers, Khaled Al Shouli et Abdelmaid Mrari, publiée sur le site d’ISM-France, et il a exprimé combien il trouvait le texte important, et très encourageant, même dans ces journées particulièrement meurtrières : « Très grand ! pour la première fois, nous voyons Israël dans la position d’un criminel international »
La situation des paysans assiégés dans l’école de Khan Younis :
« Aujourd’hui, nous nous sommes rendus à la Croix Rouge et à l’UNRWA. Notre demande portait sur des couvertures plastiques destinées à couvrir et rendre imperméables les grandes tentes que nous voulons monter à Rafah pour abriter les femmes et les enfants, quand les paysans parviendront à s’extraire du piège. J’ai expliqué la situation, parlé des femmes enceintes. La réponse a été : « on ne peut rien faire ».
Il faut voir la situation aux portes de la Croix Rouge et de l’ UNRWA : la porte ne s’ouvre pas, personne n’entre, nous argumentons dehors, par une toute petite fenêtre. Des milliers et des milliers de personnes se pressent vers cette porte.
J’ai continué à expliquer que vu les prix, on a besoin d’aide pour ces couvertures de tentes. Rien n’y a fait, la réponse a été : « qu’ils aillent dans une école à Rafah, fassent enregistrer leur noms, nous verrons ce qu’on peut faire ».
Un des fils du mokhtar Abu Jamal était avec moi, il bouillait de rage, mais j’ai expliqué calmement : « ils sont 7.500 personnes. Dans quelle école peuvent-ils aller ? Toutes les écoles de Rafah sont surpeuplées, ces gens n’ont pas d’endroit où aller. Avec la solidarité impulsée par l’UJFP, nous pourrons construire les structures en bois, donnez-nous de quoi les couvrir et les rendre étanches. On a besoin de 30 à 40 bâches plastiques, et vous en avez ». Je diminue notre demande à 20… la réponse reste « nous ne pouvons pas ».
Je demande à parler au directeur, il est occupé avec une délégation internationale, il ne peut pas répondre. Je dis : « on vous laisse 3 heures, et alors nous revenons pour avoir une réponse de sa part ». Mais quand nous sommes revenus, nous avons entendu : « nous n’avons pas de réponse à votre demande ».
Pendant ce temps, nous nous sommes rendus à la municipalité de Rafah, pour faire la même demande. La réponse est négative, avec un aspect supplémentaire : « Ils ne doivent pas céder, qu’ils restent dans l’école ». « Mais c’est les condamner à mort ! ». De rage j’ai exprimé mon mépris « pour vous et pour l’occupation… ». J’ai redit qu’on avait besoin d’un terrain. La réponse a été : « nous n’en avons pas ».
Nous allons quand même préparer la sortie espérée. Nous allons procéder par étapes. Nous cherchons un terrain possible, nous avons de l’aide dans cette recherche. Nous proposons dans un premier temps de construire deux grandes tentes, de 12 mètres sur 8 mètres, soit deux fois plus grandes que ce dont nous avions parlé dans un premier temps (12mx4m), mais deux tentes seulement pour le premier pas. Sur le modèle de ce qu’ils ont fait dans les classes de l’école, chaque tente sera divisée, à l’aide de couvertures formant parois, en 6 espaces de 4 mètres sur 4 mètres, et chaque espace devra recevoir approximativement 25 personnes avec des sanitaires.
Sarah fait répéter Abu Amir :
25 personnes vont vivre dans 4m x4m ?
Il répond gentiment :
« C’est le mieux de ce qu’on peut faire. Dans l’appartement où nous vivons avec ma famille actuellement, il y a 3 chambres, et nous sommes 16 dans chaque chambre ! »
Peut-être y aura-t-il enfin un accord de cessez-le-feu, ose espérer Abu Amir. A ce moment là, les besoins pour remettre les terres en cultures seront immenses. Il ne faut pas gaspiller l’argent de la solidarité, procédons pas à pas…