Le Déluge d’Al-Aqsa et l’illusion de la sécurité israélienne

Dr Qossay Hamed, 11 janvier 2024. Le 7 octobre 2023, la capacité du Hamas à nuire à Israël « chez lui » et à pénétrer ses structures militaires, sécuritaires et techniques, a ébranlé le sentiment de sécurité et la confiance des Israéliens dans leur système sécuritaire et militaire. L’opération « Déluge d’Al-Aqsa » a semé le doute sur l’efficacité des politiques et des croyances qui régissaient la doctrine de sécurité israélienne. Israël s’est depuis longtemps efforcé de renforcer sa supériorité militaire et son système de dissuasion et s’est immunisé avec une clôture électronique, un mur en béton et un dôme de fer pour renforcer ses capacités contre toute contre-attaque. L’échec de ces mesures pour éloigner les citoyens israéliens du danger, en particulier l’échec des institutions de renseignement dans l’anticipation de la menace du Hamas de commettre une attaque exceptionnelle et massive contre les colonies israéliennes, a mis la sécurité israélienne en jeu. Israël se vantait de se présenter comme une « oasis de sécurité » protégée par un système technico-militaire sophistiqué.

Le « Déluge d’Al-Aqsa » a révélé l’effondrement douloureux de la stratégie sécuritaire israélienne face au Hamas et à la résistance palestinienne. Au cours des années qui ont suivi le retrait unilatéral israélien de la bande de Gaza en 2005 et le contrôle du Hamas sur celle-ci en 2007, Israël a cru qu’en contenant le Hamas par quelques progrès économiques limités -en échange de négociations pour maintenir le calme- et en le dissuadant par quelques frappes militaires fortes qui l’épuiseraient au niveau militaire seraient à la fois possibles et capables de rendre l’escalade impossible.

Les déclarations faites par Tzachi Hanegbi, président du Conseil de sécurité nationale israélien, témoignent de la conviction des dirigeants politiques et militaires israéliens de l’efficacité de la poursuite de ces politiques contre le Hamas, malgré les capacités croissantes évidentes de ce dernier. Il a ainsi minimisé le défi que le Hamas pourrait poser à la sécurité d’Israël, affirmant que le Hamas avait tiré une leçon impitoyable des dernières frappes militaires de la guerre de mai 2021 et que le mouvement islamique s’accrochait aux progrès économiques dans la bande de Gaza. Mais après chaque guerre acharnée que le Hamas a dû livrer contre Israël, le premier a fait preuve d’une plus grande force et d’une plus grande solidité lors de la guerre suivante et a utilisé de meilleures armes, notamment des missiles à longue portée et des drones.

La capacité du Hamas à cibler les colonies israéliennes à la frontière sud, parallèlement aux menaces actives du Hezbollah contre celles du nord, a non seulement rendu insoluble la question de la sécurité et de la stabilité d’Israël sur les deux fronts, mais a surtout diminué le sentiment de sécurité des populations. Les Israéliens ont remis en question leur état d’esprit quant à légitimité de leur armée. Depuis le « Déluge d’Al-Aqsa », les Palestiniens ne sont plus isolés face à Israël, comme ce fut le cas dans les attaques précédentes. Pour la première fois depuis plus de cinquante ans, Israël devient vulnérable aux attaques sur plusieurs fronts. Malgré le succès des initiatives politiques et de la pression internationale pour limiter une guerre régionale qui impliquerait l’Iran, l’escalade des attaques du Hezbollah en conjonction avec les frappes de missiles des Houthis ont fait naître les craintes d’Israël d’être impliqué dans une confrontation à laquelle sa culture militaire n’est plus habituée depuis 1973. Et cela a rendu encore plus compliquée l’absence de sécurité parmi les Israéliens, puisqu’ils ont été obligés d’évacuer les colonies situées à la frontière nord ou à fuir vers des abris et ailleurs dans les territoires occupés de 1948.

Cependant, il ne s’agit pas simplement de convaincre les Israéliens de revenir dans leurs maisons abandonnées, à la lumière de l’hostilité croissante à l’égard d’Israël, qui constitue un défi de taille. De même que défendre la propagande israélienne selon laquelle il s’agit d’une « patrie sûre » pour les juifs n’est guère plus convaincant étant donné la vulnérabilité de l’armée israélienne. Les deux défis dépendent en effet de la capacité d’Israël à garantir la sécurité de la population, ce qui l’obligera non seulement à adopter une stratégie défensive forte, mais aussi à convaincre que l’échec du 7 octobre fut un désastre qui ne se reproduira pas. Selon un rapport publié par le Times of Israel, plus de 370.000 Israéliens ont quitté le pays au lendemain du 7 octobre. Et ces chiffres devraient augmenter à mesure que l’instabilité sécuritaire se poursuivra.

Qossay HAMED

Article original en anglais sur Twala.info / Traduction MR

Qossay Hamed est titulaire d’un doctorat en Sciences Politiques-Bordeaux. Doyen-adjoint de la Faculté des nouveaux médias de l’Université ouverte d’Al-Quds (Palestine). Expert du conflit palestino-israélien. Auteur de « Le Hamas au pouvoir : la question de la transformation » publié en 2023.