Comment ne pas montrer de solidarité avec les familles d’Huwara

Orly Noy, 3 mars 2023. Il a fallu moins de 48 heures à Yair ‘Yaya’ Fink, un membre du Parti travailliste à la Knesset, pour lever plus de 1,5 million de shekels pour les victimes du pogrom des colons à Huwara au début de la semaine. Fink, un juif religieux qui a été actif pendant des années dans divers projets politiques, a fait face à des torrents de critiques virulentes de la droite israélienne en annonçant sa campagne de financement participatif pour les Palestiniens dont les biens ont été détruits lors du déchaînement des colons dimanche. Mais mardi, il est devenu beaucoup plus difficile de défendre l’initiative de Fink.

Huwara, 28 février.

Yael Shevah, un colon de Havat Gilad – l’une des colonies les plus violentes des environs de Huwara – a demandé à Fink sur Twitter comment il prévoyait de distribuer l’argent. Fink a répondu : « Il y a deux anciens hauts responsables du Shin Bet et de l’administration civile qui recensent les maisons/familles qui ont été incendiées, en s’assurant qu’ils n’ont aucun antécédent sécuritaire, puis nous prendrons leur numéro de compte bancaire et l’argent leur sera transféré. »

Le lecteur lambda peut penser que dans les circonstances données, tout argent envoyé aux familles de Huwara sera une étape vers la reconstruction de leur vie. Mais l’initiative de Fink n’est pas seulement moralement problématique, elle est aussi carrément dangereuse.

Le site de financement participatif de Fink est militant dans l’âme. Il mentionne qu’il est un sioniste religieux et qu’il a passé l’année dernière 50 jours comme réserviste de l’armée israélienne pour « protéger les Israéliens des terroristes ». Il exhorte ses donateurs potentiels à « permettre aux forces de sécurité de faire le travail qu’elles savent bien faire » et appelle son initiative « Nos réserves civiles ». Ce faisant, Fink non seulement blanchit l’implication de l’armée dans les crimes commis en Cisjordanie – y compris le pogrom de Huwara où, selon de nombreux témoignages, les soldats n’ont pas levé le petit doigt pour arrêter les émeutiers – il élimine également toute dimension politique à l’incident, en en faisant un événement purement humanitaire.

Il faut le dire sans ambages : le pogrom de Huwara est avant tout un crime politique commis sous les auspices des patrons politiques des émeutiers, qui siègent désormais au gouvernement. Mais c’est aussi un crime commis en collaboration avec l’armée, bras exécutif d’Israël dans les territoires occupés. Le public israélien ne peut pas purifier sa conscience par des contributions humanitaires à ses victimes tout en continuant à vénérer le corps qui permet ou commet ces crimes.

Le fait que d’anciens membres du Shin Bet soient utilisés pour distribuer les fonds rend le projet de collecte de fonds de Fink fondamentalement immoral. Quiconque connaît même très peu la profondeur du contrôle du Shin Bet sur tous les aspects de la vie palestinienne en Cisjordanie devrait être horrifié non seulement par son implication, mais aussi par le fait que le projet en dépend « au profit des résidents ».

Le Shin Bet fournit régulièrement des renseignements sur le « danger » que représentent les Palestiniens afin de leur refuser la liberté de mouvement et de permettre à l’armée de procéder à des arrestations administratives sans aucun contrôle. Ainsi, par exemple, les membres de la famille des Palestiniens qui ont pris part à la lutte contre l’occupation, et parfois même les membres de la famille des Palestiniens qui ont été tués par les forces d’occupation, sont mis sur les listes noires du Shin Bet, simplement parce que l’organisation a décidé qu’ils avaient un « motivation pour la vengeance » et devrait donc se voir refuser les libertés fondamentales.

Il y a aussi des Palestiniens qui se voient accorder la liberté de mouvement et l’accès aux soins médicaux en échange de leur collaboration avec l’occupation. Et c’est précisément pourquoi le projet de Fink fait peser un réel danger matériel sur les Palestiniens : il les marque comme bénéficiaires des dons collectés par le Shin Bet et en fait des collaborateurs. Cela représente un bien plus grand danger pour la vie de tout Palestinien susceptible de bénéficier de ces fonds.

Le choc que le pogrom a provoqué auprès d’un si large public et la volonté de se mobiliser pour venir en aide à ses victimes est important. Mais le pogrom de Huwara n’est pas un tremblement de terre. C’est un crime nationaliste avec un programme politique clair, et aucune aide à ses victimes ne peut l’effacer. Elle ne doit certainement pas renforcer indirectement les forces qui entretiennent et alimentent cette réalité.

Article original en anglais sur 972mag / Traduction MR

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