Pourquoi les Palestiniens de 1948 refusent de protester contre les réformes judiciaires d’Israël

Suheir Abu Oksa Daoud, 2 mars 2023. Alors que des centaines de milliers d’Israéliens se mobilisent contre les récentes réformes judiciaires du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, les dirigeants arabes en Israël n’ont pas voulu se joindre aux protestations contre l’érosion du pouvoir de la Cour suprême.

2023 : Après la démolition de leurs maisons à Douma, Cisjordanie occupée, le 2 février, des Palestiniens emportent les biens qu’ils peuvent transporter (photo 50214 Wahaj Bani Moufleh pour Activestills Collective)

Historiquement, le régime israélien a utilisé les tribunaux et diverses manœuvres juridiques dans le cadre d’un long processus destiné à priver les Palestiniens d’Israël de leurs droits.

Un État qui se définit explicitement comme juif, plutôt qu’un État pour tous ses citoyens, ne peut garantir les droits démocratiques fondamentaux et l’égalité de citoyenneté à sa minorité, et leur intégration dans les institutions de l’État sera toujours conditionnelle.

Et, avec la plupart des députés israéliens actuels représentant des partis nationalistes et religieux d’extrême-droite, non seulement le statut civique des citoyens palestiniens sera restreint, mais c’est leur existence même dans l’État « juif » qui sera menacée.

Leur capacité à contester la suprématie du peuple juif qui les discrimine reste également extrêmement limitée.

Selon Ameer Makhoul, militant et écrivain des communautés de 1948, les Arabes et les juifs en Israël ont une appréciation différente de la Cour suprême. Dans une large mesure, les citoyens palestiniens d’Israël sont conscients que leur participation n’ajoutera pas grand-chose aux manifestations car l’opposition israélienne exclut totalement leurs revendications et leurs symboles.

Makhoul écrit : « Même si les Arabes se tournent vers la Cour suprême, ils souffrent depuis longtemps de ses arrêts qui légalisent les lois racistes à leur encontre. Les manifestants juifs ont fait de leur objectif central la préservation du système israélien, tandis que les Arabes se considèrent comme les victimes de ce système et leur priorité est de se défendre et de défendre leur existence qui est menacée par ce système.

« Les organisateurs de la manifestation n’ont établi aucun contact avec le Haut Comité de suivi des citoyens arabes d’Israël et leur programme ignore complètement le peuple palestinien et sa lutte contre l’occupation et le racisme. De plus, l’opposition israélienne, en particulier Yair Lapid, n’est pas envie de voir une large participation arabe brandissant des drapeaux palestiniens. »

Racisme légalisé

Il existe plusieurs exemples de cas où la Cour suprême israélienne a légalisé des politiques discriminatoires contre les Palestiniens – justifiées par les intérêts sécuritaires d’Israël.

L’année dernière encore, la Haute Cour a confirmé une loi interdisant aux citoyens israéliens, les Palestiniens dans ce cas, de s’unir avec leurs conjoints palestiniens des territoires palestiniens occupés et de vivre ensemble en Israël.

Dans une autre décision de 2022, la Cour suprême s’est prononcée en faveur d’une loi sur la citoyenneté qui priverait les personnes accusées de « déloyauté » envers l’État d’Israël de leur citoyenneté même si le condamné devenait apatride.

Mais la loi fondamentale, l’État-nation du peuple juif, adoptée par le parlement israélien le 19 juillet 2018, stipule que le « droit à l’autodétermination nationale » en Israël « concerne uniquement le peuple juif ». Il a réaffirmé qu’Israël est un État de la communauté juive internationale – pas de tous ses citoyens – excluant ainsi 1,8 million de citoyens arabes, et probablement la loi fondamentale qui exclut le plus la population indigène.

Confronté à des troubles politiques et à des défis personnels, notamment des accusations de corruption, Netanyahu a porté son attention vers la minorité palestinienne. Et quelle a été la réaction de la Cour suprême ? Il a confirmé la loi tout en rejetant les allégations des opposants selon lesquelles elle discrimine les minorités. Dans sa décision, le tribunal a dit que la loi « n’annule pas le caractère démocratique d’Israël » décrit dans d’autres lois.

Refuser « l’israélisation »

Les politiques discriminatoires d’Israël inscrites dans la loi soulèvent la question de savoir si le fait d’avoir une constitution profiterait à la minorité palestinienne et la protégerait. L’ancien député Issam Makhoul, qui a exercé deux mandats (de 1999 à 2006) à la Knesset pour représenter le Front démocratique pour la paix et l’égalité (DFPE), déclare :

« Pendant tout mon mandat à la Knesset, elle a discuté de la création d’une constitution. Je me suis opposé à une constitution en raison du climat raciste qui existait à l’époque, qui se serait incarné dans la nouvelle constitution. Les nations créent de nouvelles constitutions après avoir obtenu leur indépendance ou après une révolution. Israël n’a pas fait cela. Il a plutôt promulgué des lois fondamentales qui formeraient un jour la constitution. La loi de l’État-nation est une loi fondamentale et fera partie de la constitution, alors devrais-je donner mon approbation à une telle Constitution ? »

En raison de l’incitation continue contre les citoyens palestiniens, y compris sur Facebook et Twitter, et de l’adoption du projet de loi Facebook en décembre 2021 pour réduire au silence les militants et les journalistes qui signalent les violations des droits de l’homme par Israël, un nombre croissant de Palestiniens rejettent « l’israélisation ».

Le boycott des élections nationales était une alternative à l’israélisation ; et les affrontements entre les citoyens palestiniens d’Israël et les forces de sécurité en réaction à la crise de Sheik Jarrah en novembre 2021 ont été un exemple clair de la détérioration des relations entre l’État et ses citoyens palestiniens.

Fait intéressant, le Mouvement islamique en Israël, qui voulait, dans le passé, maintenir l’unité avec les autres partis arabes afin de faire face aux différents défis auxquels sont confrontés les citoyens palestiniens d’Israël, a changé de cap sous la direction d’Abbas Mansour et a rejoint l’éphémère gouvernement Bennett-Lapid le 2 juin 2021 (il s’est effondré en juillet 2022).

Non seulement la décision d’Abbas n’a rien fait de significatif pour les Palestiniens en Israël, mais elle a également entraîné une dangereuse fragmentation des Arabes qui les rend encore plus vulnérables face à la montée du racisme et des défis.

La récente attaque du gouvernement dirigé par Netanyahu contre le pouvoir de la Cour suprême n’affectera pas de façon importante les Palestiniens, qui souffrent depuis longtemps d’une discrimination légale soutenue par cette Haute Cour.

Les citoyens palestiniens d’Israël et leurs dirigeants doivent chercher des alternatives telles que des manifestations de masse et la construction d’institutions collectives internationales pour faire face aux défis auxquels la minorité arabe en particulier est confrontée.

Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR

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