Comment Israël cible la société palestinienne par la séparation des familles

Wafa Aludaini, 13 décembre 2022. L’État d’occupation israélien fait tout son possible pour perturber et briser le tissu social des communautés palestiniennes, ce qui entraîne des problèmes domestiques. Il a mis en œuvre diverses procédures pour limiter la capacité des familles palestiniennes séparées à se réunir. Malgré cela, Israël ne parvient pas à briser l’esprit des Palestiniens inébranlables déterminés à défendre leurs droits inaliénables.

Manifestation contre la « loi sur la citoyenneté », qui interdit l’unification des familles palestiniennes, devant la Knesset, le 29 juin 2021. (Yonatan Sindel/Flash90)

L’État d’occupation s’immisce souvent dans la vie des conjoints des personnes qu’il prend pour cible pour une raison ou une autre. Forcer les couples à divorcer est une violation courante du droit international. Pourtant, malgré la gravité d’une telle mesure et ses effets sur la société palestinienne, les médias n’en parlent que rarement, voire jamais.

L’ancien prisonnier palestinien Shu’aib Abu Snaineh a été contraint par les autorités d’occupation israéliennes à divorcer de sa femme afin qu’elle puisse profiter de sa vie à Jérusalem occupée sans être harcelée en permanence. Abu Snaineh, 55 ans, a été libéré de prison et bien qu’il soit originaire de Jérusalem occupée, il a été « déporté » dans la bande de Gaza. On a empêché sa femme de le rejoindre là-bas. L’État d’occupation, dit-il, a fait de sa vie un « enfer » depuis sa libération.

« Ma femme n’a pas été autorisée à rester plus de trois mois avec moi à Gaza, car si elle restait plus longtemps, elle perdrait ses droits de citoyenne de Jérusalem », explique-t-il. Chaque fois qu’elle est rentrée de Gaza à Jérusalem, elle a dû faire face à des trajets humiliants et difficiles à travers les postes de contrôle israéliens. Lorsqu’elle a accouché dans un hôpital de Jérusalem, les autorités israéliennes ont refusé de délivrer un certificat de naissance pour son petit garçon. La famille a dû passer 13 mois dans une action en justice coûteuse avant qu’un certificat ne soit délivré.

Les autorités d’occupation israéliennes sont allées jusqu’à empêcher la famille d’Abu Snaineh de lui rendre visite. Elles ont fini par dire à sa femme qu’elles ne traiteraient pas avec elle et ses enfants en tant que citoyens ayant le droit de vivre à Jérusalem tant qu’elle resterait mariée à Abu Snaineh.

« J’ai divorcé de ma femme parce que je l’aime et que je veux que ma famille profite de sa vie », a déclaré Abu Snaineh, « mais je sais que l’occupation ne les laissera jamais tranquilles tant que tous les Palestiniens n’auront pas été expulsés de Jérusalem. » La décision a causé beaucoup de chagrin à toute la famille. « C’était une décision très dure, très difficile, mais je n’avais pas le choix. Mais quoi qu’Israël brise ou détruise, cela ne tuera jamais l’amour dans nos cœurs et l’attachement à notre patrie. »

L’histoire d’Abu Snaineh n’est pas unique. Un autre ancien prisonnier de Gaza, Hasan Nattat, et sa femme originaire de Cisjordanie ont vécu une situation tout aussi difficile en 2016 et elle n’a pas été relatée à l’époque. Lorsque l’épouse de Nattat est allée rendre visite à sa famille en 2009, les autorités israéliennes l’ont empêchée de revenir à Gaza. Toutes les tentatives pour la faire revenir ont échoué. On lui a alors diagnostiqué un cancer et lui a était détenu par Israël. Ce fut le début d’une période particulièrement difficile. À chaque poste de contrôle israélien – il y en a plus de 600 rien qu’en Cisjordanie occupée – elle a été soumise à des interrogatoires humiliants par des soldats israéliens. Lorsqu’elle a cherché à obtenir un traitement susceptible de lui sauver la vie dans un hôpital de Jérusalem, les autorités d’occupation lui ont refusé l’autorisation, et ont insinué que divorcer de son mari lui permettrait d’être soignée à Jérusalem.

« J’étais abasourdi, mais j’ai divorcé pour qu’elle puisse se faire soigner et survivre », a déclaré Nattat. Cependant, le traitement n’a pas aidé. « Je n’ai même pas été autorisé à la voir une dernière fois avant sa mort ». La douleur ne l’a jamais quitté. « Chaque fois que je pense à elle, je meurs mille fois intérieurement. Les Israéliens pensent qu’ils peuvent nous disperser physiquement mais ils ne disperseront jamais la Palestine de nos cœurs et de nos esprits. »

En 2003, le gouvernement d’occupation israélien a adopté la résolution 1813 interdisant aux Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza d’obtenir un statut résidentiel dans l’État sioniste ou à Jérusalem-Est occupée par le biais du mariage, empêchant ainsi les membres d’une famille de vivre ensemble si l’un des conjoints venait d’ailleurs.

En fait, la séparation des membres d’une famille semble être un stratagème retors d’Israël pour détruire le tissu social des familles palestiniennes au-delà de Jérusalem et de Gaza. Suzan Owaiwi est une ancienne détenue palestinienne d’Al-Khalil (Hébron) et mère de trois enfants. Les Israéliens ont détenu son mari et lui ont demandé de divorcer de sa femme et de l’empêcher de militer en politique ; elle était candidate aux élections municipales de 2016.

« Les Israéliens m’ont menacée à plusieurs reprises pour que je cesse mes activités politiques », a-t-elle déclaré. « Ensuite, ils ont détenu mon mari pour faire pression sur moi. Mon mari leur a dit que c’était mon souhait de m’engager politiquement et qu’il ne pouvait pas m’en empêcher. » Elle raconte qu’un fonctionnaire israélien a dit à son mari : « Comment peux-tu, en tant qu’homme arabe musulman, laisser ta femme faire ça ? Tu devrais divorcer. » Son mari a refusé de le faire, et elle a remporté l’élection. Après un an à son nouveau poste, elle a été détenue par les Israéliens pendant 12 mois. Elle a été libérée en 2019.

L’interminable occupation israélienne de la Palestine est une sombre histoire de séparation des membres d’une famille par le régime. La séparation physique a été une façon de le faire ; tuer les conjoints en a été une autre.

Le premier Premier ministre israélien, David Ben-Gourion, a déclaré à propos des Palestiniens après le nettoyage ethnique de la Nakba en 1948 : « Les vieux mourront [et leur mémoire de ce qui s’est passé] et les jeunes oublieront ». Israël a utilisé ce concept dans sa stratégie consistant à éloigner les aînés des jeunes au sein des familles et de la société palestiniennes. Il utilise la séparation familiale comme une tactique cynique et cruelle pour tenter de déchirer la société palestinienne.

Article original en anglais sur Middle East Monitor / Traduction MR