Rétrospective sur la deuxième Intifada palestinienne

Emad Moussa, 27 septembre 2022. Le mot intifada provient de la racine arabe « secouer » et signifie contextuellement soulèvement. Il est entré dans le dictionnaire anglais en 1987 avec l’éruption de la première Intifada et est devenu synonyme de la rébellion palestinienne non armée contre l’occupation israélienne.

Un manifestant palestinien lance des pierres sur des jeeps de l’armée israélienne à Ramallah, en Cisjordanie occupée, à l’occasion du premier anniversaire du début de la seconde Intifada, le 28 septembre 2001. [Getty]

La deuxième Intifada a émergé des principes révolutionnaires développés et intériorisés au cours de la première. Elle a éclaté le 28 septembre 2000, un jour après que le chef de l’opposition israélienne – plus tard Premier ministre – Ariel Sharon, soit entré dans la mosquée Al-Aqsa sous haute protection armée. L’incident s’est produit quelques semaines seulement après l’échec des négociations de Camp David qui s’étaient tenues aux États-Unis entre le Premier ministre Ehud Barak et Yasser Arafat.

Dans la période qui a précédé l’Intifada, selon des rapports officieux, Barak avait reçu des renseignements selon lesquels si le sommet de Camp David échouait, les Palestiniens mettraient le feu aux territoires. Les Américains, eux aussi, ont averti Israël que la colère des Palestiniens était à son paroxisme et que Tel-Aviv devait assouplir son intransigeance, une perspective à laquelle Arafat a fait allusion lors des pourparlers.

Le dirigeant palestinien, tout comme son peuple, était frustré et enragé par le fait qu’Israël n’avait pas respecté son engagement en vertu de l’accord d’Oslo qui stipulait qu’une Palestine indépendante serait établie d’ici mai 1999.

Au lieu de cela, entre le début des négociations d’Oslo en 1993 et septembre 2000, Israël a construit trois nouvelles colonies dans les territoires et a agrandi les colonies existantes de 52%. À la fin de 2000, la population de colons est passée à près de 200.000, soit une augmentation de 85.000 depuis 1993.

La géographie décroissante d’un futur État palestinien a été aggravée par la détérioration de la situation économique, contrairement à la prospérité promise dans les Accords d’Oslo. Les politiques économiques et budgétaires israéliennes en Cisjordanie et à Gaza depuis 1967 ont systématiquement sapé la capacité de l’économie locale palestinienne à croître ou à générer des sources de revenus nationales.

Les accords d’Oslo ont adopté le même état d’esprit, mais sous le couvert d’une identité fiscale indépendante pour l’Autorité palestinienne, ce qui a en réalité rendu les finances de l’AP très dépendantes et plus fragiles aux fluctuations de ses relations avec Israël. Oslo a en outre enfermé l’économie palestinienne et la capacité financière de l’AP dans un cycle perpétuel de dépendance vis-à-vis des donateurs extérieurs, chacun avec ses agendas politiques propres.

Sur le terrain, le contrôle par Israël de la liberté de mouvement des Palestiniens a connu très peu de changement et, dans certains cas, il s’est aggravé. Oslo a ironiquement produit de nouvelles limitations à la circulation dans les zones palestiniennes elles-mêmes, pas seulement entre elles et Israël. La Cisjordanie a été divisée en trois zones administratives (A, B et C), avec la zone C, qui comprend 61% de la Cisjordanie, restant sous le contrôle militaire israélien total surnommé « Administration civile ».

La sécurité intérieure d’Israël, le Shin Bet et d’autres organismes gouvernementaux avaient prédit des troubles et préparé l’infrastructure publique et de sécurité israélienne à une éruption imminente de violence.

Mais la gravité et la longévité de l’escalade – sans parler des émeutes de masse des Palestiniens de 48 en solidarité avec leurs pairs en Cisjordanie et à Gaza – ont été une surprise stratégique. Il a fallu relativement longtemps à l’État israélien pour s’adapter à la nouvelle réalité.

Ce faisant, la réactivité excessive et les déploiements guerriers de l’armée israélienne – y compris la réoccupation des villes de Cisjordanie, la réactivation de la politique d’assassinat et, pour la première fois, l’utilisation de frappes aériennes et d’artillerie contre des zones résidentielles palestiniennes, sont devenus la norme.

On estime maintenant que les forces israéliennes – et les colons illégaux – ont tué au moins 4.300 Palestiniens, principalement des civils, dans diverses attaques allant de frappes aériennes, d’incursions et d’exécutions sommaires, ainsi qu’en bloquant l’accès aux soins médicaux. Alors que la plupart des Palestiniens ont pris la voie de la résistance populaire, certaines factions ont déployé des techniques de guérilla contre l’armée et les colons israéliens, investissant plus tard massivement (et de manière controversée) dans des attentats-suicides contre des civils israéliens. Plus de 1.000 Israéliens sont morts. Les blessés des deux côtés se comptent par dizaines de milliers et la destruction de l’infrastructure palestinienne a été considérable.

L’analyse finale, pour de nombreux Israéliens juifs, fut que le « terrorisme » palestinien, en particulier les attentats-suicides, ont tué le processus de paix. Ces attaques ont fait des ravages dans la sécurité collective et personnelle des Israéliens, alimentant la croyance qu’il n’existait pas de « partenaire de paix palestinien » et que toute « concession généreuse » israélienne, comme Barak l’aurait offert à Arafat à Camp David, constituerait un risque pour la sécurité.

L’Intifada a été largement imputée au « plan sinistre d’Arafat pour détruire Oslo » et à « l’antisémitisme intrinsèque » palestinien. Très peu de choses ont été dites sur l’erreur politique de la paix entre occupants et occupés ou sur l’Intifada en tant que soulèvement populaire et spontané contre l’injustice.

Pour les Palestiniens, l’Intifada a été un spectre complexe de réalisations mineures, de mauvaises décisions et de conséquences désastreuses. Au départ, elle a ravivé la confiance du collectif dans sa capacité à se mobiliser et à riposter, tout en bousculant la bureaucratie statique et les contraintes politiques d’Oslo.

À l’époque, Arafat, comme Abbas plus tard, parlait de « résistance populaire » comme d’une méthode pour compléter le processus politique. Mais ni lui ni le large cercle de l’AP n’avaient la moindre idée de ce que cela impliquait réellement. La résistance armée était considérée comme une notion archaïque qui n’avait pas sa place dans l’ère post-Oslo, une évaluation qui s’avérerait bientôt inexacte, en particulier après que certaines des forces de sécurité produites par Oslo aient rejoint la lutte armée.

Les dirigeants palestiniens et les factions politiques n’ont pas réussi à exploiter, à se concentrer et à élaborer des stratégies sur l’élan populaire. Alors que l’Intifada s’intensifiait, certainement après qu’Israël eut entrepris de détruire les forces de sécurité palestiniennes, la spontanéité s’est transformée en poches de résistance non organisées, ce qui s’est lentement aggravé par l’anarchie et le chaos dans les régions administrées par l’AP.

L’accord général aujourd’hui est que la deuxième Intifada fut une occasion mal gérée de rectifier la trajectoire du projet de libération nationale palestinienne. Mahmoud Abbas attribue cela à l’adoption imprudente de la résistance armée et a depuis 2006 – avec principalement la formation et le financement américains – restructuré et rééquipé les forces de sécurité de l’AP pour contrecarrer à nouveau tout développement dans cette direction.

Alors que la majorité des Palestiniens considèrent l’approche d’Abbas comme réductrice, ils conviennent que l’Intifada a donné très peu de résultats politiques, à la portée très faible par rapport au niveau des sacrifices. D’autres pensent qu’il s’agit d’un recul catastrophique : elle a contribué à la montée de l’extrême droite israélienne, armé Israël de prétextes pour approfondir son occupation et, plus grave encore, a transformé l’occupation d’une domination autoritaire en un modèle de guerre totale inégalé dans l’histoire du colonialisme.

Aucun des deux camps n’a remis en question la légitimité fondamentale du soulèvement populaire. L’Intifada, après tout, était un modèle local et populaire pour une rébellion qui a été reproduite à plusieurs reprises, bien que par rafales plus courtes, depuis 2005. La question non résolue, cependant, continue d’être celle des stratégies et des méthodes de résistance.

Article original en anglais sur The New Arab / Traduction MR

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