Partager la publication "Comment la loi israélienne « anti-terroriste » broie la société civile palestinienne"
Janan Abdu, 8 septembre 2022. Le 18 août dernier, les forces israéliennes dévalisaient et fermaient les bureaux de sept organisations de la société civile palestinienne en Cisjordanie.
En juin 2021, l’armée israélienne avaient cambriolé et fermé les locaux des Comités de travail sur la santé (HWC) palestiniens basés à Ramallah, un an et demi après qu’un ordre militaire israélien ait jugé l’organisation de soins de santé « illégale » en janvier 2020.
L’attaque contre les ONG palestiniennes s’est encore intensifiée en octobre 2021, après que le ministre de la Défense Benny Gantz ait déclaré six autres ONG palestiniennes « organisations terroristes illégales », selon la loi israélienne.
La désignation terroriste des six groupes s’appuie sur la loi antiterroriste de 2016 et les règlements d’urgence de 1945, également connus sous le nom de « loi antiterroriste », et sur ce que les autorités israéliennes ont appelé des « preuves secrètes ».
Les bureaux ont été fermés en août après que le commandant militaire de la Cisjordanie occupée a confirmé la décision. Les Nations unies ont critiqué cette décision, la qualifiant de « totalement arbitraire ».
Guerre contre la société civile
Ces fermetures ont été suivies de menaces de restrictions, de poursuites et d’autres violations des droits pouvant inclure une interdiction de voyager pour le personnel et les militants associés à ces institutions, la confiscation de biens supplémentaires, voire l’arrestation.
En juillet 2021, Shatha Odeh, la directrice du HWC, a été arrêtée et condamnée à 16 mois de prison et à payer une amende. Pendant ce temps, les autorités israéliennes renouvellent toujours l’ordre de détention administrative contre Salah Hammouri, un avocat d’Addameer, l’une des organisations de défense des droits de l’homme criminalisées.
Ces groupes se distinguent par le fait qu’il s’agit d’organisations de défense des droits humains et de la société civile qui fournissent des services, un soutien et des conseils aux Palestiniens vivant sous occupation.
Ils travaillent dans le respect du droit palestinien et adoptent des chartes et des accords internationaux conformes aux conditions d’un peuple sous occupation, notamment les Quatrième et Troisième Conventions de Genève.
Appliquant la décision du tribunal, à l’aube du 18 août, l’armée israélienne a pris d’assaut le siège des sept ONG, confisqué leurs dossiers, leurs ordinateurs et leur matériel de bureau, et annoncé leur fermeture complète en plaçant des ordres militaires sur leurs portes et en les bloquant avec des plaques de fer.
Ces raids constituent une violation flagrante de la procédure légale appropriée qui doit se dérouler dans tout procès « équitable », puisque des institutions ont été déclarées « terroristes » sans que leur soient révélées des preuves auxquelles elles pourraient répondre.
Même si les institutions s’abstiennent de s’adresser à Israël en tant que pays occupant, à son armée, à son système judiciaire et à ses tribunaux, et considèrent qu’ils n’ont aucune juridiction légale dans la zone palestinienne A (selon les accords d’Oslo de 1993), cela n’exclut pas leur droit d’examiner les preuves.
Toutefois, le refus des autorités israéliennes de divulguer les prétendues preuves, sous prétexte que cette divulgation « nuit à la sécurité de l’État », constitue une violation supplémentaire de la loi et du processus juridique approprié, ce qui a incité l’équipe de défense de ces institutions à déposer des objections de procédure le 3 février auprès du commandant militaire des Territoires palestiniens occupés au nom de cinq des organisations. Cependant, le conseiller juridique militaire a émis une décision rejetant ces objections.
Cette démarche flagrante a été condamnée et rejetée aux niveaux international, régional et local, officiel et officieux, palestinien et israélien.
Le 22 août, les ambassadeurs de l’Union européenne, notamment les ambassadeurs d’Allemagne, de France, d’Italie, d’Espagne et l’ambassadeur de l’UE en Israël, après leur réunion avec le représentant du ministère israélien des Affaires étrangères, ont clairement indiqué qu’ils continuaient à soutenir et à financer ces organisations malgré la déclaration d’Israël selon laquelle elles sont « terroristes ».
Critiquant l’incursion dans leurs bureaux, les ambassadeurs ont ajouté qu’ils ne les considèrent pas comme des groupes terroristes et rejettent ces désignations.
Condamnation internationale
Une déclaration rédigée par l’Institut d’études des droits de l’homme du Caire, et signée par plus de 200 organisations du monde entier, a appelé la communauté internationale à prendre position contre ces mesures, a exprimé sa solidarité avec les sept ONG, et a exigé que des pressions soient exercées sur Israël pour qu’il abroge les décrets d’interdiction et la loi antiterroriste de 2016.
En outre, 53 organisations israéliennes ont déclaré que « les droits de l’homme ne sont pas du terrorisme » et ont condamné les ordonnances d’interdiction.
La déclaration soutient que « ces déclarations sont sans fondement. En effet, l’administration américaine, l’Union européenne et d’autres alliés d’Israël ont jugé les allégations d’Israël peu convaincantes. Après avoir examiné en détail les documents qu’Israël leur a fournis, tous les pays européens qui sont des donateurs de ces organisations ont décidé de poursuivre leur soutien. »
Suite à la désignation « terroriste » l’année dernière, les organisations de la société civile palestinienne actives en Israël ont publié le 25 octobre une déclaration condamnant la décision du gouvernement israélien : « [Nous] considérons qu’il s’agit d’une atteinte flagrante au travail civil et aux droits de l’homme, et d’une persécution politique qui exacerbe l’occupation et ses pratiques répressives, et que ces décisions représentent une criminalisation du travail civil et une violation manifeste des droits de l’homme, en plus d’être une escalade d’agression contre les droits du peuple palestinien et de ses institutions civiles. »
Guerre judiciaire
En décembre 2019, Naftali Bennett, alors ministre de la Défense, a émis plusieurs ordres de détention administrative (n° 56/19, 57/19 et 58/19) fondés sur la loi antiterroriste pour saisir l’argent et les comptes bancaires de dizaines de familles de prisonniers palestiniens citoyens d’Israël.
Les autorités israéliennes ont prétendu que ces sommes versées par l’Autorité palestinienne (AP) était de l’argent terroriste – selon la définition de l’Etat d’occupation – affirmant que les familles le recevaient en récompense de la réalisation de « opérations terroristes dangereuses » par des membres de ces familles.
Les mesures administratives consistent notamment à empêcher les familles de fermer leurs comptes et à confisquer les fonds qui s’y trouvent, pour des montants allant de plusieurs milliers à plusieurs dizaines de milliers de shekels par famille.
Le prédécesseur de Bennet, Avigdor Lieberman, a annoncé en 2018 la création du « Conseil national pour la lutte économique contre le terrorisme », dont l’objectif, selon lui, est « la guerre économique contre les « organisations terroristes » en Israël et à l’étranger ». Le projet de loi, adopté par la Knesset israélienne en 2018, a approuvé le gel des fonds de l’AP « liés au terrorisme » et leur déduction des fonds fiscaux perçus par Israël pour le compte de l’AP.
Dans un article précédent, j’ai évoqué l’arrestation et l’inculpation de plus de 2.000 Palestiniens en Israël par les autorités israéliennes sur la base de la loi antiterroriste.
Un grand nombre de ces détenus ont fait l’objet d’enquêtes de sécurité et d’interrogatoires par l’agence de sécurité israélienne, le Shin Bet, en mai 2021, dans le cadre de la campagne dite « de la loi et de l’ordre » qu’Israël a lancée afin de perturber le soulèvement al-Karamah.
Dans le même article, je citais des statistiques tirées du bilan du bureau du procureur de l’État pendant les manifestations de masse – au cours desquelles Israël a commencé à mener une guerre judiciaire parallèlement à sa guerre contre Gaza l’année dernière – indiquant qu’il avait déposé des actes d’accusation contre 545 Palestiniens sur un total de 616 accusés, dont 161 jeunes.
Les actes d’accusation comprenaient des charges graves telles que des « actes terroristes » fondés sur des « motivations racistes » et des « crimes de haine », qui doublent les peines pour la même charge, et 239 charges ont été déposées pour des motifs « aggravés » – 85 % d’entre elles contre des Arabes et 20 % contre des enfants.
Considérer tout le monde comme une « menace pour la sécurité »
À ce jour, des verdicts ont été rendus dans 80 affaires, qui ont toutes abouti à une condamnation et à des peines de prison plus ou moins longues. Dans certaines de ces affaires, le ministère public a fait appel, estimant que le verdict était « léger » et demandant une sanction plus sévère.
En fait, comme je l’ai mentionné dans mon précédent article, le ministère public a catégorisé les citoyens palestiniens d’Israël comme des ennemis, et a déclaré dans son rapport : « Les Arabes ont mené des actes de sabotage et de violence contre des Juifs et leurs biens en contrepartie d’un très petit nombre d’attaques de citoyens juifs contre des Arabes ».
Que ce soit par des attaques contre des individus, des familles et des ONG palestiniennes, il est clair que les autorités israéliennes considèrent les Palestiniens et leurs institutions, où qu’ils se trouvent, comme une « menace pour la sécurité ».
Le gouvernement continue de mener une guerre contre la vie et la société civile palestiniennes sur de multiples fronts par le biais de politiques telles que la loi antiterroriste et les règlements d’urgence, et de tactiques telles que la détention administrative et l’utilisation de « preuves secrètes », qui nient la justice et les procédures régulières et violent les conventions et lois internationales.
Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR
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