Al-Aqsa : Pourquoi les Palestiniens craignent que les raids israéliens n’érodent leurs droits sur la mosquée

Mustafa Abu Sneineh, 20 avril 2022. Les Palestiniens redoutent que la récente escalade des raids israéliens sur la mosquée Al-Aqsa ne s’inscrive dans une volonté de modifier le statu quo à l’intérieur du site à Jérusalem-Est occupée, et ne conduise à sa division entre musulmans et juifs.Depuis son occupation militaire de la vieille ville de Jérusalem-Est, Israël a accepté qu’une institution palestino-jordanienne, le Waqf islamique, administre le site, y compris les visites pour les non-musulmans, les travaux de rénovation et d’entretien, et la nomination des gardiens.

Cependant, depuis 2015 et selon les observateurs palestiniens, Israël est déterminé à limiter le contrôle du Waqf, enhardissant les incursions des colons israéliens et donnant le feu vert à la tenue de prières juives « silencieuses » sur le site. 

Khalil Assali, membre du conseil du Waqf, a déclaré à Middle East Eye que les Palestiniens craignent qu’Israël ne fixe des horaires spécifiques pour que les Palestiniens puissent entrer dans Al-Aqsa afin de prier dans des zones désignées et qu’il fixe d’autres horaires pour les Israéliens et leur dédie des zones de prières.

Al-Aqsa finirait par ressembler à la mosquée Ibrahimi d’Hébron, au sud de la Cisjordanie occupée, divisée dans le temps et l’espace entre musulmans et juifs depuis les années 1990.

« Nous refusons cette politique israélienne « , a déclaré Assali à MEE. « Ces derniers jours, lorsque les forces israéliennes ont vidé al-Aqsa des fidèles palestiniens le matin, au moment où les colons israéliens entrent dans la zone, il s’agissait d’une action visant à partager les créneaux horaires des visites du site. »

Au cours des cinq derniers jours, les forces israéliennes ont violemment pris d’assaut al-Aqsa à quatre reprises, agressant les Palestiniens qui observaient le ramadan et vidant la mosquée pour permettre aux colons de déferler dans le site.

Les faits sur le terrain

Assali a déclaré que le gouvernement israélien met en œuvre une approche lente pour imposer les faits sur le terrain à al-Aqsa. Il a fait référence à un changement survenu en 2015 au sein du gouvernement israélien concernant le site, connu par les juifs sous le nom de Mont du Temple, où, selon eux, se trouvaient autrefois deux anciens temples juifs.

« [L’ancien premier ministre Benjamin] Netanyahu a réussi à faire du site une partie de l’identité nationale israélienne, même pour quelqu’un qui est de gauche. La politique est donc devenue la suivante : pour contrôler Jérusalem, il faut d’abord contrôler al-Aqsa », a déclaré M. Assali.

Le bureau du Premier ministre sous Netanyahou s’est directement impliqué dans al-Aqsa en contrôlant les autorisations données aux membres du Parlement qui souhaitaient entrer sur le site.

Depuis lors, le contrôle du Waqf a fait l’objet d’une répression israélienne croissante, l’empêchant de nommer des gardes sans l’approbation du Shin Bet et coupant les fils électriques des haut-parleurs du site.

« La situation est terrible. Même si un garde palestinien du Waqf veut amener sa gamelle à l’intérieur du site, il lui faut la permission d’un Israélien. Ils empêchent le Waqf de réparer des tuiles branlantes qui pourraient blesser des personnes, ou de s’occuper des arbres, ou de réparer une conduite d’eau ou un égout », a déclaré Assali.

Des changements après la deuxième Intifada 

Pendant tout ce temps, les colons israéliens et les militants d’extrême droite ont été autorisés à envahir al-Aqsa en nombre croissant, notamment lors des fêtes juives.

Les jours ordinaires, ils se voient attribuer deux heures auxquelles ils entrent dans la mosquée presque quotidiennement, encadrés par des forces lourdement armées.

Le nombre de visiteurs n’a cessé d’augmenter au fil des ans. En 2009, 5.658 colons ont pénétré dans la mosquée lors de ces incursions. En 2019, juste avant la pandémie de Covid, ce nombre est passé à 30.000, selon certaines estimations.

Récemment, un tribunal israélien a décidé que seules les prières juives « silencieuses » étaient autorisées dans la zone, ce qui viole les termes d’un arrangement fragile entre Israël et la Jordanie, souvent appelé statu quo, qui interdit la prière non musulmane à l’intérieur de la mosquée.

Mais il n’en a pas toujours été ainsi. M. Assali a déclaré que, jusqu’en 2000, d’éminents rabbins avaient émis un ordre interdisant aux juifs de visiter le site jusqu’à ce qu’un autre temple soit descendu du ciel. 

Seuls les touristes étaient autorisés à visiter le site, supervisé par le Waqf selon les termes du statu quo

« Le drapeau israélien a été retiré du sommet de la mosquée du Dôme du Rocher en 1967, lorsqu’Israël a occupé la ville. Menachim Begin, alors chef du gouvernement d’unité nationale, avait décrété qu’il ne fallait pas se rendre sur le site, de peur de provoquer la colère des musulmans et des Arabes », a expliqué M. Assali.

Israël a alors maintenu le statu quo en l’état, à l’exception de la prise de la clé de la Porte des Marocains, qui donnait accès à l’esplanade du Mur occidental.

Nombre de colons ayant envahi la Mosquée Al-Aqsa de dimanche 17 à jeudi 21 avril 2022.

Tout cela a changé après la deuxième Intifada de 2000-2005, lorsqu’Israël a modifié sa politique pour permettre aux colons de visiter le site plus fréquemment et a révoqué le contrôle du Waqf sur les visites touristiques. 

Maintenant que les visites israéliennes ont des horaires précis, les Palestiniens craignent que la prochaine étape soit l’installation de salles de prière pour les colons dans l’enceinte de la mosquée. 

« Ils considèrent la partie orientale du complexe comme juive, autour de la zone de la Porte al-Rahmh. La crainte est qu’ils installent une synagogue juive dans al-Aqsa », a déclaré Assali.

Une bataille politique

Au milieu de tout cela, le complexe de la mosquée apparaît comme un échiquier, où Netanyahou, le leader de l’opposition, semble être à l’offensive pour pousser le gouvernement du Premier ministre Naftali Bennett dans un zugzwang. (1)

Les alliés de Netanyahu, Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, de l’alliance extrémiste du sionisme religieux, avaient suscité les appels à pénétrer dans al-Aqsa pendant le ramadan et la Pâque.

Avec le même nombre de sièges au parlement que l’opposition, 60 pour chacun, le gouvernement de Bennett est à une défection près de s’effondrer, et les tensions autour d’al-Aqsa ne servent pas son alliance. 

« Bennett a un gouvernement faible », a déclaré à MEE Naser al-Hidmi, chef de l’Autorité de Jérusalem contre la judaïsation.

« Il sait que si son gouvernement s’effondre, il aura peu de chances d’être à nouveau Premier ministre après un nouveau tour de scrutin. »

Mardi, Bennett a critiqué Netanyahu dans un tweet, lui disant : « Ton héritage : des roquettes du Hamas sur Jérusalem. Lynchâges à Acre et Lod. Israël en flammes. Échecs contre le Hamas. Nous réparons », en référence aux violences de mai dernier.  

Hidmi ajoute que Bennett est prêt à tout pour rester au pouvoir.

« Pour l’instant, cela signifie faire plaisir aux colons et se montrer plus radical que Netanyahu et qu’il leur permettrait d’effectuer des sacrifices, des rituels et des prières juives à al-Aqsa, ce que Netanyahu n’avait pas fait. »

(1) Le mot zugzwang est l’un des termes d’échecs les plus importants. Il s’agit d’un mot allemand qui pourrait se traduire par « contrainte de bouger ». Un Zugzwang est une situation où un joueur est désavantagé parce que ses coups disponibles sont mauvais. Tout coup que le joueur qui est en zugzwang doit jouer affaiblira clairement sa position. (source)

Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR

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