Saâd Abssi : d’El Oued à Gennevilliers, parcours d’un militant de la libération

Youssef Girard, 11 décembre 2021. Militant nationaliste révolutionnaire algérien, exilé politique, soutien à la résistance palestinienne et homme de foi, Saâd Abssi nous a quittés le 9 décembre 2021 à l’âge de 93 ans après une vie faite de résistances et de luttes.

Né en 1928 dans l’oasis d’El Oued dans le sud de l’Algérie, Saâd Abssi était issu d’une famille modeste liée à la confrérie soufie Tijaniyya présente au Maghreb et en Afrique de l’ouest. Son père était ouvrier agricole. Après avoir fréquenté l’école primaire française et l’école coranique, Saâd Abssi commença à travailler à l’âge de 14 ans dans les palmeraies de l’oasis d’El Oued.

S’il fut élevé dans le giron de la Tijaniyya, Saâd Abssi refusa de s’engager dans la voie soufie suivie par son père et son grand-père. L’influence du mouvement réformateur participa à façonner les représentations religieuses du jeune homme. Des années plus tard, Saâd Abssi expliquait à ce propos : « Pendant la guerre d’Algérie, bien des militants ont souffert de la double compromission de certains cheikhs qui faisaient acte d’allégeance tant au pouvoir des préfets qu’à celui du FLN. Ben Badis, en 1930, quand il a créé la société des Oulémas était violemment opposé à toutes les confréries. L’histoire de la guerre d’indépendance aura montré qu’il avait ses raisons ».

Toutefois, Saâd Abssi connaissait l’influence des confréries dont il sut tirer parti durant la Révolution algérienne : « si j’ai refusé de m’engager dans la confrérie je n’ai pas manqué de m’infiltrer dans leurs groupes pendant la guerre d’indépendance pour recruter des adhérents »[1].

Dans la seconde moitié des années 1940, il s’installa dans la région des Aurès dont sa mère était originaire. Dans cette région, il adhéra au PPA-MTLD en 1949. L’organisation nationaliste révolutionnaire algérienne luttait activement pour libérer l’Algérie du joug colonial imposé par la France depuis 1830. En 1952, il devint animateur du MTLD à Tébessa où il s’établit.

Suite au déclenchement de la Révolution algérienne le 1ier novembre, les autorités coloniales l’arrêtèrent le 3 novembre 1954 en compagnie d’autres militants nationalistes révolutionnaires. Il s’agissait de la première vague de répression touchant les militants nationalistes révolutionnaires fichés par les autorités coloniales même s’ils n’avaient pas pris directement part au déclenchement de la Révolution. Ne pouvant pas retenir de charges contre lui, les autorités coloniales le libérèrent après treize jours d’emprisonnement.

Suite à cette arrestation, Saâd Abssi rejoignit les rangs du Front de Libération National (FLN) qui avait déclenché la Révolution. Il fut de nouveau arrêté en septembre 1955, emprisonné à Djorf, puis libéré le 28 décembre 1956.

Interdit de séjour dans son propre pays par les autorités françaises, Saâd Abssi fut envoyé en mars 1957 en France par le FLN afin de poursuivre son action en faveur de la libération de l’Algérie au sein de l’immigration algérienne en France. Il s’installa dans la ville ouvrière de Gennevilliers, dans la banlieue parisienne où vivait une importante communauté algérienne immigrée.

Permanent de la fédération de France du FLN, Saâd Abssi animait les réseaux clandestins du FLN dans la région parisienne, sous le pseudonyme de « Si Larbi ». Arrêté une nouvelle fois en 1958, il fut emprisonné deux mois à Vincennes. A sa libération, la Fédération du FLN l’envoya à Lyon où vivait une importante communauté algérienne. En mars 1960, il devint chef de la super-zone lyonnaise. Dans ce cadre, Saâd Abssi fut à nouveau arrêté et emprisonné en mars 1961 jusqu’en mars 1962.

Dans l’immigration, Saâd Abssi milita également au sein de l’Amicale générale des travailleurs algériens en France (AGTA). Créée par la Fédération de France du FLN, l’AGTA était un syndicat nationaliste révolutionnaire visant à structurer les travailleurs immigrés algériens sur leurs lieux de travail car l’UGTA, fondée par le FLN en Algérie, n’était pas implantée en France et en Europe.

Après l’indépendance de l’Algérie, Saâd Abssi poursuivit son engagement politique en faisant la liaison entre l’immigration algérienne, notamment à Gennevilliers, et le nouvel Etat algérien en construction. Membre du Comité central du FLN, il fut élu député à l’Assemblée nationale algérienne pour les Oasis et cadre de l’Amicale des travailleurs algériens en Europe.

Le 19 juin 1965, il s’opposa à la prise de pouvoir de Houari Boumediene et s’exila définitivement en France, à Gennevilliers. Dans l’immigration, il s’engagea dans l’opposition nationaliste révolutionnaire algérienne aux côté d’opposants algériens comme Ahmed Mahsas ou Mohamed Boudia, au sein de l’Organisation de la Résistance Populaire (ORP).

Dans le cadre de cette opposition algérienne nationaliste arabe et révolutionnaire, à l’instar de Mohamed Boudia assassiné par le Mossad le 28 juin 1973 à Paris, Saâd Abssi s’engagea en faveur de la lutte de libération nationale palestinienne en organisant des réseaux de soutien en France et en Europe. Pour Saâd Abssi, comme pour nombre de militants nationalistes algériens, l’engagement nationaliste révolutionnaire ne se limitait pas uniquement à la libération de la seule Algérie. Il s’agissait d’une lutte globale, c’est-à-dire politique, économique et culturelle, pour défaire la nation arabe, au-delà l’ensemble des peuples des trois continents – Asie, Afrique, et Amérique du Sud – du joug de l’Occident.

En 1984, il participa à la création du Mouvement pour la démocratie de l’Algérie (MDA), dirigé par Ahmed Ben Bella. S’inscrivant dans l’héritage du nationalisme révolutionnaire algérien, le MDA voulait allier revendications démocratiques, identité arabo-musulmane et engagement anti-impérialiste.

Parallèlement, il s’engagea en faveur de la communauté arabo-musulmane en France. Il participa à la fondation de la Maison du travailleur immigré de Puteaux ou au Festival des travailleurs immigrés. Il s’engagea également dans le dialogue islamo-chrétien en participant à la fondation de la Maison islamo-chrétienne des Hauts-de-Seine en 1995.

Homme de foi ancré dans la spiritualité musulmane, Saâd Abssi participa également à la structuration de l’islam en France. Figure locale de la ville de Gennevilliers, il contribua notamment à l’édification de la grande mosquée de la ville dont il fut longtemps le vice-président. Ainsi, par son engagement politique et religieux, Saâd Abssi fut un acteur d’un islam de solidarité universelle.

Avec le départ de Saâd Abssi, c’est une page de l’histoire du mouvement national algérien, et plus largement arabe, de l’histoire de l’immigration et de l’histoire de l’islam en France qui se tourne. Toutefois, si Saâd Abssi s’en est allé, les causes pour lesquelles il a lutté demeurent d’une actualité brûlante.

[1] Saâd Abssi et Mohammed Benali, « Qu’est-ce que le soufisme »

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