La complicité tacite de la communauté internationale à Sheikh Jarrah

Ramona Wadi, 5 août 2021. L’attention de la communauté internationale est si fugace lorsqu’il s’agit des droits des Palestiniens, que les expulsions forcées prévues par Israël pour les résidents de Sheikh Jarrah sont dissociées des événements de ces derniers mois. Au fur et à mesure que se calmaient les bombardements israéliens sur Gaza, l’attention de la communauté internationale s’est relâchée, laissant les habitants palestiniens de Sheikh Jarrah face à une abominable proposition de “compromis” de la Cour suprême israélienne.

Manifestation devant le siège de la Cour suprême d’Israël le 2 aout 2021 à Jérusalem occupée (capture d’image de la vidéo visible au bas de l’article) : « Ces transactions immobilières ressemblent beaucoup à un nettoyage ethnique. »

Le tribunal a suggéré que quatre familles palestiniennes menacées d’expulsion concèdent la propriété de leurs biens au groupe de colons Nahalat Simon, en échange de quoi elles seraient reconnues comme des “locataires protégés”. Il n’y a aucun compromis dans cette proposition : les Palestiniens paieraient un “loyer” annuel pour renforcer la suprématie illégale des colons israéliens sur les terres et les habitations palestiniennes, tandis que la “concession” des colons est maigre étant donné qu’Israël doit son existence au nettoyage ethnique et au déplacement forcé du peuple palestinien. Une telle proposition ne fait que retarder les expulsions.

Les Palestiniens ont rejeté le soi-disant compromis et la Cour suprême d’Israël a reporté son verdict, même si ce report pourrait bien ne constituer qu’une étape dans la détérioration finalement inévitable des droits des Palestiniens sur leurs propres terres. Pour que les Palestiniens soient assurés d’être propriétaires, il faut que la Cour suprême se prononce en faveur des droits fonciers palestiniens, qui existaient bien avant que le mouvement des colons ne devienne un outil important pour l’expansion de l’État colonial.

Pourtant, les Palestiniens resteront très probablement seuls face à la suprématie des colons et à l’approche désengagée de la communauté internationale avec la dernière tactique d’expansion coloniale d’Israël. Le département d’État américain a recommandé de ne pas procéder à des déplacements forcés à Sheikh Jarrah, mais sa déclaration n’a aucun poids par rapport aux milliards de dollars versés chaque année par le Trésor américain à Israël pour soutenir son expansion coloniale.

L’Autorité palestinienne, attachée comme toujours à faire une déclaration vide de sens plutôt qu’à soutenir les Palestiniens menacés d’expulsion, a accusé le système judiciaire israélien de complicité avec le programme de nettoyage ethnique de l’État. Et pourtant, la position politique de l’Autorité palestinienne encourage elle-même le colonialisme israélien, puisqu’elle est tributaire du compromis de deux États.

En l’état actuel des choses, les habitants de Sheikh Jarrah sont confrontés à l’État israélien et à ses colons, sans aucun soutien politique de la part de l’AP ou de la communauté internationale. La suggestion du tribunal n’offre aucune protection aux Palestiniens ; en fait, elle les laisse à la merci d’une organisation de colons dont l’objectif est de déplacer autant de Palestiniens que possible de la terre palestinienne. Ce qui se passe à Sheikh Jarrah est la continuation des déplacements effectués par les paramilitaires sionistes pendant la Nakba. Israël sait qu’il ne peut pas utiliser la force comme il l’a fait il y a des décennies, mais ses institutions sont en phase avec le processus colonial et il n’y a pas de déconnexion entre l’intention de l’État, la violence des colons et le parti pris judiciaire pour gérer l’expulsion des Palestiniens.

Les familles palestiniennes ont rejeté à juste titre la proposition de la Cour, qui reconnaît la propriété israélienne et légitime le premier pas vers leur statut de réfugiés. Le compromis ne vaut que pour trois générations de Palestiniens ; il n’est pas permanent. En outre, nous savons que l’État ne pénalisera jamais les colons qui décident d’ignorer tout accord, notamment parce que l’État colonial a, par définition, besoin de colons pour s’étendre sur les terres palestiniennes.

Sheikh Jarrah est un exemple contemporain d’expansion coloniale furtive, illustrant la façon dont Israël a actualisé ses méthodes alors même que la communauté internationale régurgite les mêmes déclarations sur la paix et les deux États, sans tenir compte des violations continues des droits de l’homme par Israël. Le langage de compromis de la Cour suprême, après tout, est ce que la communauté internationale a toujours appliqué pour assurer la perte de terres et de droits du peuple palestinien, parce qu’on attend toujours des colonisés qu’ils fassent des compromis, jamais des colonisateurs.

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Source de l’article original en anglais : Middle East Monitor / Traduction : MR pour ISM.

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Vidéo de Middle East Monitor résumant, en images, la situation des habitants palestiniens de Sheikh Jarrah.