La normalisation est possible avec les régimes arabes, impossible avec les peuples arabes

Ahmad Karakira, 7 juin 2023. Personne ne sait ce que l’appelé égyptien et martyr Mohammad Salah avait en tête lorsqu’il a effectué, au croisement d’Al-Awja, à la frontière avec la Palestine occupée, l’opération où il a tué trois soldats israéliens, deux jours avant l’anniversaire de la Naksa (rechute) de 1967.

Peut-être que Mohammad faisait partie de la génération des années 2000 en Égypte, dont les parents et les grands-parents lui ont raconté, à maintes reprises, en différentes occasions la défaite des forces arabes par l’occupation israélienne et la perte de terres arabes telles que le Sinaï, le Golan, la Cisjordanie, Gaza et Al-Qods et ont déploré le départ d’un grand dirigeant arabe comme Gamal Abdel Nasser, qui a unifié la nation arabe, soutenu les opprimés et fait face à l’impérialisme occidental.

Peut-être lui a-t-on appris que, comme l’a dit Abdel Nasser, « ce qui a été pris par la force ne peut être restauré que par la force » et lui a-t-on rappelé que dans le cadre de l’opération Badr en 1973, la résistance héroïque de l’armée égyptienne a pu traverser le canal de Suez, s’emparer de la Ligne Bar-Lev et libérer une partie du Sinaï.

Peut-être le jeune homme de 23 ans appartient-il à cette génération arabe qui n’a pas encore oublié les scènes de tuerie et de destruction laissées par l’occupation israélienne dans ses agressions répétées contre les Palestiniens dans la bande de Gaza assiégée depuis 16 ans, et peut-être que des images d' »Israël » commettant les pires massacres contre les Libanais en 2006 sont incrustées dans sa mémoire.

Mais à coup sûr, il a été témoin des crimes quotidiens commis par les forces d’occupation contre le peuple palestinien qui défend sa terre, son caractère sacré et sa dignité à travers la Palestine.

Lors de l’agression israélienne contre Gaza en mai 2021, Mohammad a écrit sur sa page Facebook : « Allah soutient la Palestine », en réponse à un message de Mike Pence disant : « L’Amérique est aux côtés d’Israël », lors de la bataille de Seif Al-Quds.

Nous sommes en droit de considérer que l’opération menée par Mohammad Salah contre les forces d’occupation exprime la volonté de toute personne libre et honorable qui rejette l’occupation, la fait souffrir, prive les colons de leur sécurité et de leur confort, et venge les opprimés, le sang des martyrs et tous les prisonniers des geôles de l’occupation.

En confirmation de cela, le Premier ministre israélien d’occupation Benjamin Netanyahu a qualifié l’opération de « grave et inhabituelle ». Le chef d’état-major des forces d’occupation israéliennes, Herzi Halevi, a admis que l’opération était « un incident difficile », au cours duquel trois des « meilleurs » soldats des forces d’occupation israéliennes avaient été tués à la frontière avec l’Egypte.

Les médias israéliens ont également estimé que l’opération de l’appelé égyptien a réussi, dans sa simplicité, a révélé l’effondrement complet du système de sécurité de l’armée d’occupation israélienne dans cette zone particulière ; ils ont admis que les résultats de l’opération étaient en effet difficiles et douloureux, et qu’elle a infligé un coup dur aux forces d’occupation qui ont subi un grave échec dans la prévention de « l’infiltration » en « Israël ».

Sayed Shibl, écrivain égyptien et chercheur en affaires politiques, a déclaré à Al Mayadeen English que l’opération du carrefour Al-Awja « n’est certainement pas une opération individuelle, mais plutôt la véritable expression de l’opinion publique collective des Égyptiens qui rejettent le Présence israélienne. »

Shibl a déclaré que la preuve en était le niveau du soutien que Mohammad Salah a reçu sur les réseaux sociaux.

« Il est très rare de trouver un commentaire égyptien sur Facebook qui rejette une action armée dirigée contre Israël, et s’il arrive qu’un Egyptien ait une opinion différente, il la retiendra en raison de la force de l’opinion publique contre le sionisme », a-t-il indiqué.

L’écrivain et chercheur égyptien a estimé que l’importance de l’opération « réside dans le fait qu’elle intervient à un moment où l’entité israélienne se sent menacée sur toutes les frontières, sauf la frontière occidentale avec l’Égypte où elle se sent en sécurité ».

Il a ajouté que l’opération « renforce l’inquiétude du gouvernement d’occupation et prive les colons de tout sentiment de sécurité ».

« C’est un message aux dirigeants de l’entité les appelant à cesser leur politique agressive contre le peuple arabe en Palestine occupée. »

Shibl a souligné que ce qui est certain, c’est qu’il y a un message qui est parvenu à tout le monde aujourd’hui : la normalisation est possible avec les gouvernements arabes, mais elle est impossible avec les peuples arabes.

Malgré l’absence de chiffres précis sur le pourcentage d’Égyptiens qui rejettent la normalisation avec l’occupation israélienne, une enquête 2019-2020 menée par le Centre arabe de recherche et d’études politiques a révélé que 85 % des Égyptiens refusent la reconnaissance diplomatique d' »Israël », alors que seuls 13% le soutiennent.

Selon Shibl, les Égyptiens ont exprimé leur bonheur dans les rues publiques, dans les cafés et sur les réseaux sociaux. Il a noté que bien qu’il n’ait pas été témoin de marches ou de manifestations en raison des conditions de sécurité dans le pays, quiconque a vécu parmi les Égyptiens ordinaires au cours des derniers jours peut toucher sa joie face à la récente opération en raison de son rejet de la poursuite de l’occupation israélienne des terres arabes, ainsi que le désir des Égyptiens d’actes de résistance, surtout s’ils étaient menés par un Égyptien – un facteur lié à la fierté nationale.

Lorsqu’on lui a demandé si le moment de l’opération de Mohammad Salah pourrait être lié à l’anniversaire de Naksa en 1967, Shibl a répondu : « Peut-être que cela a quelque chose à voir avec l’anniversaire du revers du 5 juin, ou peut-être pas. »

L’écrivain égyptien a souligné qu’il est naturel pour tout jeune Égyptien de moins de 30 ans d’avoir un père ou un oncle qui lui raconte les guerres de l’Égypte contre l’ennemi israélien et les martyrs qui y sont morts, ce qui installe en eux « le désir de vengeance », d’autant plus que les effets de l’agression de 1967 restent apparents en Palestine et en Syrie, et même en Égypte, en vertu du soi-disant « traité de paix », qui limite toujours le plein mouvement de l’armée égyptienne à l’intérieur de la péninsule du Sinaï.

Shibl a rappelé qu’au lendemain de la révolution de 2011, la position des différents courants politiques était de rejeter « Israël » et d’organiser des manifestations contre son ambassade, qui ont abouti à la prise d’assaut en septembre 2011 de l’ambassade de l’occupation dans la ville égyptienne de Gizeh ; elle a été évacuée au cours de l’été de la même année.

En conclusion, l’occupation israélienne, comme d’habitude, présentera des centaines d’arguments et de justifications liés au martyr Mohammad Salah, notamment qu’il souffre de troubles psychologiques ou qu’il ne représente pas la position officielle égyptienne sur « Israël », mais il n’y a pas doute que la dernière opération restera gravée dans l’esprit de la nouvelle génération égyptienne.

Et qui sait, on verra peut-être un autre Mohamed Salah dans les prochains jours.

Article original en anglais sur Al-Mayadeen / Traduction MR

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