Mounir Shafiq, 5 juillet 2022. Comment comprendre l’ouverture par les États-Unis d’un front militaire en Ukraine contre la Russie ? Le fait apparent d’ouvrir un front militaire en Ukraine indique en effet que c’est la Russie qui a mobilisé des forces militaires et a commencé à lancer une guerre, ou des tirs. En réalité, les États-Unis sont derrière la préparation du terrain pour le déclenchement de la guerre en Ukraine. Cela est dû à leur poursuite incessante de l’expansion de l’OTAN, au point qu’ils étaient sur le point d’y ajouter l’Ukraine et d’achever l’encerclement et le blocus de la Russie pour l’étouffer complètement, ou la forcer à acquiescer et à se rendre.
Après le coup d’État en Ukraine en 2014, les États-Unis ont voulu changer le régime ukrainien, qui était allié de la Russie, en armant dangereusement le nouveau régime qui lui est loyal, comme la guerre l’a montré. Cette politique représente directement une menace pour la sécurité nationale russe au plus haut niveau. Cela signifie que les États-Unis ont forcé la Russie à faire la guerre en espérant que la Russie subisse une défaite stratégique. Ces intentions ont été démontrées par toutes les mesures qu’ils ont prises pour intensifier la guerre et non pour trouver une solution pour la calmer ; ou pour parvenir à un accord entre la Russie et l’Ukraine pour arrêter la guerre.
Les États-Unis ont utilisé tous les moyens de pression sur l’Europe pour l’impliquer dans la guerre, notamment en armant l’armée ukrainienne et en soutenant le président Zelensky.
Il faut lire les décisions politiques américaines depuis le début de la guerre en Ukraine jusqu’à aujourd’hui, car elles représentent une nouvelle stratégie face à la Russie, soutenue par la Chine.
Le motif de ce tournant dans la politique américaine – surtout si les jours et les mois à venir prouvent qu’il existe une nouvelle stratégie adoptée par le Pentagone, l’État profond et certains centres de pouvoir aux États-Unis – est différent de la résolution de la contradiction avec la Russie et la Chine, par le biais de la concurrence économique, scientifique, politique et financière, au cours d’une course aux armements similaire à la situation de l’époque de la Guerre froide, avec les Soviétiques et le camp socialiste.
Par conséquent, plusieurs analystes chevronnés s’attendaient à une répétition de la Guerre froide contre la Russie et la Chine, comme la même situation dans les années précédant le déclenchement de la guerre en Ukraine. Toutefois nous assistons actuellement à une escalade de la confrontation militaire en Ukraine et au passage à la phase d’assiègement de Kaliningrad, qui pousse les Russes à étendre la guerre. Cette situation signifie qu’il existe une nouvelle stratégie qui utilise la guerre sans atteindre le niveau nucléaire, même si elle est en contact avec lui. L’approche américaine adoptée pour gérer la contradiction entre elle et ses alliés d’une part, et la Chine et la Russie d’autre part, signifie que la guerre en Ukraine est le début et que le monde est entré dans une phase de nouveaux conflits militaires mondiaux. Ainsi, le monde ne reviendra pas à la situation internationale d’avant la guerre en Ukraine. Il ne reviendra pas non plus à un nouveau type d’apaisement.
Si cette conclusion est correcte, cela signifie que le monde est entré dans une phase de guerres mondiales qui sont en dessous du niveau nucléaire entre les grandes puissances, et peut-être en dessous de l’exhaustivité de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale.
Dans le même temps, nous constatons, en suivant les politiques européennes et les préparatifs de la conférence du Groupe des Sept du 24 au 26 août prochain, que ces politiques tendent à leur tour à aggraver la situation militaire en Ukraine et à remilitariser l’Europe, au lieu de tenter – comme beaucoup l’espéraient – de désamorcer la guerre en Ukraine. Jusqu’à présent, la guerre a causé beaucoup de dommages, de pertes économiques et de crises sociales en Europe.
Concernant l’Europe, l’autre question est la suivante : est-elle entrée à son tour dans une nouvelle stratégie intégrée, ou parallèle à la stratégie américaine, face à ses contradictions avec la Russie et la Chine ?
Il y a bien eu quelques signes émis par l’Allemagne et la France, qui tendaient à trouver une solution à l’escalade militaire et à rechercher une solution entre l’Ukraine et Poutine, mais cela allait de pair avec leur soutien militaire à l’armée ukrainienne. Par conséquent, nous pouvons dire que l’Allemagne et la France (l’Europe, en général) avancent sur la même voie que celle que les États-Unis ont commencé à tracer. Cela signifie donc que toutes les supputations qui étaient basées sur le calcul des gains et des pertes économiques de l’Europe, lors de la conférence du Groupe des Sept le 28 juin 2022, ont été soumises à la stratégie de guerre qui vise à vaincre Poutine. Bien sûr, sans atteindre le niveau nucléaire mais en se rapprochant de ce niveau ou ces guerres ont commencé à s’intensifier, à être presque à la limite.
Il reste maintenant à compléter l’explication : pourquoi cette évolution de la stratégie américaine en direction de guerres inférieures au niveau nucléaire, comme alternative à la stratégie de la Guerre froide, ou similaire à ce qui s’est passé à l’époque, lorsque l’Occident a vaincu l’Union soviétique et le Pacte de Varsovie ?
La réponse est que la Guerre froide avait deux caractéristiques principales : d’abord la course aux armements et, ensuite, la course économique, scientifique, financière et politique. Ainsi, la seconde course est devenue la plus importante et la plus décisive, après avoir exclu l’option de la guerre mondiale en raison du développement des armes nucléaires des deux côtés.
Dans cette deuxième course, l’écart était important en faveur des États-Unis et de l’Occident, ce qui a conduit à la défaite des Soviétiques (bien sûr, pour des raisons propres au système soviétique également).
Aujourd’hui, la Chine est un concurrent exceptionnel dans ce deuxième domaine (économie, développement scientifique et capacités financières) ; c’est un concurrent, sur le point de dépasser les États-Unis. Les États-Unis ont réalisé qu’ils n’avaient aucune chance de rivaliser avec la Chine, qui a l’intention de transformer la guerre froide en une guerre qui durera encore vingt ou trente ans.
Par conséquent, les États-Unis ont estimé que la contradiction actuelle devait être résolue par une stratégie militaire, qui ne se limite pas à une course aux armements et à une concurrence pacifique, mais adopte plutôt le modèle de l’Ukraine, qui pourrait être généralisé à une plus grande échelle, plus tard.
En conséquence, attendons-nous à un monde de guerres mondiales entre les grandes puissances, même sans atteindre le niveau nucléaire, si ce monde est « chanceux »… Quel monde horrible attend l’humanité.
Article original en anglais sur Middle East Monitor / Traduction MR / Révision Youssef Girard
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