Partager la publication "Le Hezbollah a-t-il subi un revers lors des élections au Liban ?"
Joe Macaron, 23 mai 2022. Les médias occidentaux et arabes sont pleins d’informations selon lesquelles le Hezbollah a subi un revers majeur lors des élections générales libanaises du 15 mai. Cependant, il n’y a pas encore de verdict noir et blanc, mais de multiples nuances dans l’évaluation des résultats et de leurs implications pour la politique libanaise.
Tout d’abord, le Hezbollah et le mouvement Amal ont remporté les 27 sièges attribués à la communauté chiite et les deux revers qu’ils ont subis dans la troisième circonscription du sud du Liban concernaient des candidats non chiites.
Les candidats du Hezbollah sont également représentés dans quatre des cinq provinces du Liban, et c’est le seul parti qui a des alliés et peut influencer les élections dans toutes les provinces.
Enfin, les candidats du Hezbollah ont également obtenu le plus grand nombre de voix dans les régions sans majorité chiite, comme Beyrouth (Amin Sherri) et Zahlé (Rami Abu Hamdan). Leur allié sunnite Mohammad Yahya a obtenu le plus grand nombre de voix dans le bastion sunnite du Akkar.
Dans le même temps, trois de leurs alliés ont gagné dans un autre bastion sunnite de Tripoli, et le candidat Raed Berro a obtenu de bons résultats dans la zone clé à majorité chrétienne de Jbeil.
La décision de l’ancien Premier ministre Saad Hariri de suspendre ses activités politiques et de ne pas faire participer le parti qu’il dirige, le Courant du Futur, aux élections a également créé une nouvelle dynamique.
Cela a permis au Hezbollah d’avoir une alliance intersectorielle comprenant cinq parlementaires sunnites, mais il n’a plus d’allié druze au Parlement.
En raison de la nature du partage du pouvoir dans le système sectaire libanais, le Hezbollah devra trouver un moyen d’utiliser la carotte et le bâton pour traiter avec le leader druze Walid Joumblatt, qui dispose désormais d’un bloc parlementaire décisif de neuf membres.
Il y a toutefois un revers à ce bilan électoral. Le Hezbollah a perdu tous les sièges qu’il attribue habituellement aux candidats non chiites proches du régime syrien, car les candidats du soulèvement d’octobre 2019 et le camp anti-Hezbollah ont fait des percées dans des districts clés à travers le Liban.
Les électeurs du Hezbollah ont également fait payer à leurs dirigeants le prix d’une alliance avec un banquier controversé lié à l’effondrement financier, puisque Marwan Kheireddine a subi une lourde défaite face à un jeune avocat du soulèvement, Firas Hamdan, dans la troisième circonscription du sud du Liban.
Alors, que nous dit la répartition des sièges sur la position du Hezbollah dans le nouveau parlement ?
Si demain il devait y avoir un vote parlementaire sur la légalité ou non des armes du Hezbollah, le Hezbollah et ses alliés disposent de 61 voix pour opposer leur veto à un tel projet de loi.
Cependant, si le Hezbollah, par exemple, veut faire passer une loi qui légitime ses armes, il devra trouver 4 des 67 voix qu’il ne contrôle pas directement.
La composition du nouveau parlement peut être divisée en trois camps : le camp pro-Hezbollah (61 sièges), le camp anti-Hezbollah (44 sièges), les députés du soulèvement et leurs alliés (16 sièges), et un bloc sunnite (7 sièges) qui comprend deux groupes distincts : cinq membres qui sont des vestiges du Mouvement du futur et deux membres affiliés ou alliés au Groupe islamique.
Ainsi, le Hezbollah ne peut plus gouverner seul avec ses alliés, mais ses adversaires ne peuvent pas imposer leur propre agenda. Ce parlement composé de petits blocs minoritaires, plutôt que d’une majorité claire, est synonyme d’impasse et de crises fréquentes de gouvernance, ce qui pourrait servir les intérêts du Hezbollah.
Les Forces libanaises (FL), soutenues par les Saoudiens et désormais enhardies, continueront à défier le Hezbollah sur le plan politique.
Le Hezbollah ne peut plus prétendre avoir une alliance avec le parti chrétien dominant, car il existe désormais une scission entre le Courant patriotique libre (CPL) dirigé par le gendre du président Michel Aoun, Gebran Bassil, et les Forces libanaises dirigées par Samir Geagea.
Le Hezbollah ne peut plus prétendre avoir des alliés druzes non plus, car les sièges druzes sont maintenant répartis entre Joumblatt (6) et le soulèvement (2). Cependant, le Hezbollah et ses alliés dominent totalement les sièges chiites et ont cinq alliés sunnites représentés au Parlement.
Pourtant, le Hezbollah n’a pas de partenaire sunnite fiable et devra trouver un moyen de continuer à apaiser Saad Hariri et à coopérer avec le premier ministre sortant Najib Mikati, plutôt vulnérable.
L’absence du Courant du Futur de la politique libanaise offre autant de défis que d’opportunités pour le Hezbollah puisqu’il a pu acquérir des sièges sunnites supplémentaires mais devra également faire face à de nouveaux adversaires sunnites au sein du Parlement.
Si l’État devient plus dysfonctionnel en raison de la crise de gouvernance découlant de l’élection (les élections présidentielles ont lieu à l’automne), le Hezbollah ne sera pas touché de manière significative puisqu’il a construit une alternative à l’État dans ses zones fortes.
Outre son arsenal d’armes, le Hezbollah continue de contrôler les principales institutions publiques et de sécurité et ne sera pas pressé de se prononcer sur la formation du cabinet ou l’élection présidentielle si cela ne sert pas ses intérêts.
La question est de savoir si le Hezbollah s’adaptera à cette nouvelle réalité de la politique libanaise ou s’il l’affrontera.
Mohammad Raad, député du Hezbollah, a lancé un avertissement clair, destiné principalement aux Forces libanaises, en déclarant que « nous vous acceptons comme opposants au Parlement, mais nous ne vous accepterons pas comme boucliers pour les Israéliens ».
Les partisans du Hezbollah et des Forces libanaises se sont violemment affrontés l’année dernière, ce qui a conduit au meurtre de sept partisans du Hezbollah.
M. Raad a ajouté : « Ne devenez pas le carburant de la guerre civile » et « aucun des ennemis et des adversaires de ce pays ne doit vous pousser à saboter cette paix, et ne faites pas de nouveau mauvais calcul ».
L’élection fera évoluer la dynamique politique vers une confrontation entre le Hezbollah et les Forces libanaises, car tous deux ont obtenu un nombre élevé de voix dans leurs districts respectifs.
Cela affaiblira les modérés des deux côtés et polarisera à la fois le processus de formation du cabinet et l’élection présidentielle, à moins qu’il n’y ait une percée dans les pourparlers irano-saoudiens qui impose une forme d’accord au Liban.
Il peut éventuellement recourir une fois de plus à ses armes pour imposer sa volonté au Liban, mais le risque d’un retour de bâton pourrait diminuer encore son attrait national.
En outre, l’héritage controversé du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, facilite la tâche du Hezbollah, car ce dernier n’a pas l’attrait national nécessaire pour diriger l’opposition et n’est pas largement accepté dans la communauté sunnite, malgré le fort soutien saoudien dont il bénéficie.
La priorité du Hezbollah pour la prochaine période est de se concentrer sur le différend maritime avec Israël, de décider qui soutenir lors de la prochaine élection présidentielle et de gérer l’effondrement financier afin d’alléger la pression sur ses électeurs.
La composition du nouveau parlement ne facilite pas l’accomplissement de ces tâches colossales.
Pour répondre à la question de savoir si le Hezbollah a subi un revers, oui, le pouvoir électoral du Hezbollah a diminué au niveau national, mais il conserve également un contrôle presque total des électeurs chiites.
Il n’existe aucune force parallèle ou égale qui puisse faire face au Hezbollah au Liban, que ce soit sur le plan militaire ou politique.
L’influence du groupe reste ancrée dans tous les aspects du système libanais et, malgré tous les discours sur les élections, le parlement n’a jamais été une institution décisive mais plutôt le reflet de la répartition politique du pouvoir au sein de la classe dirigeante.
Le Hezbollah est devenu vulnérable et est enclin à faire des erreurs s’il est sous pression, mais il reste le seul pouvoir réel dans la politique libanaise jusqu’à nouvel ordre.
Article original en anglais sur The New Arab / Traduction MR
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