Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 547 / 11-12.10 – Ateliers de soutien psychologique « patrimoine culturel »

Brigitte Challande, 13 octobre 2025.– Compte rendu d’un atelier de soutien psychologique pour les femmes, sur la question de l’importance du patrimoine culturel à Deir al-Balah, le 11 octobre.

« Au cœur d’une petite tente de déplacement à l’ouest de Deir al-Balah, la voix du patrimoine palestinien s’est élevée pour affirmer sa présence comme un bouclier psychologique et culturel inébranlable. Cet atelier fut un lieu où la douleur s’est mêlée à l’espoir, transformant la tente temporaire en un forum culturel vibrant de vie. Il s’est inscrit dans le cadre des efforts de l’équipe UJFP pour soutenir les femmes déplacées, à travers des activités psychologiques fondées sur la puissance de l’identité et du patrimoine comme outils de résilience et sources d’énergie spirituelle.

Le patrimoine palestinien a toujours été un rempart protégeant la mémoire collective et un pilier de résistance. L’identité n’est pas seulement liée à des murs ou à une terre physique, mais elle constitue un capital spirituel et culturel que les femmes portent dans leurs cœurs et leurs esprits et qu’elles transmettent aux générations futures. Cet atelier est venu affirmer que le patrimoine est la maison qui ne s’effondre pas, le bouclier qui ne se brise pas et la voix qui ne se tait jamais.

L’atelier a réuni 25 femmes déplacées vivant actuellement dans le camp des Amis à l’ouest de Deir al-Balah. Elles sont venues portant le poids de la perte mais aussi avec la passion de retrouver un espace leur redonnant dignité et appartenance. Certaines femmes portaient la robe palestinienne brodée, d’autres arboraient le keffieh palestinien, tandis qu’un groupe brandissait le drapeau palestinien aux couleurs éclatantes. La séance avait commencé avant même son ouverture, transformant le lieu en une petite fête nationale où vibraient l’esprit de résistance et d’identité.

La séance a débuté par une explication sur l’importance de raviver les souvenirs comme arme psychologique contre l’aliénation. « Ton histoire est ta maison qui n’a pas été détruite, et chaque mot que tu dis reconstruit un mur de la patrie. »

Les femmes se sont alors transformées en conteuses ; chacune racontait l’histoire de son village ou de sa maison. Des chants traditionnels palestiniens se sont élevés spontanément entre les récits, ajoutant une profondeur émotionnelle à l’atmosphère. Les participantes ont ressenti qu’elles retrouvaient leurs maisons perdues à travers leurs mots et que la mémoire collective devenait un mur de protection commun. Une femme âgée, les yeux pleins de larmes, a dit : « Ces histoires sont plus fortes que n’importe quelle tente ; elles sont notre véritable maison. »

La femme gardienne du patrimoine – Broderie et identité

L’activité a été présentée comme une invitation à découvrir la puissance de la femme en tant que gardienne du patrimoine. « Chaque point de broderie est un témoignage de notre existence, et chaque robe est un drapeau aux couleurs de la Palestine. »

Les femmes ont commencé à exposer leurs robes brodées et à expliquer la signification des couleurs et des motifs. Certaines ont pris aiguille et fil pour broder au milieu du camp, entourées de jeunes filles désireuses d’apprendre. C’était un moment débordant de fierté, où l’aiguille et le fil se sont transformés en outils de résistance psychologique. Une jeune femme : « Quand j’ai pris l’aiguille, j’ai senti que je recousais mon identité. »

Le patrimoine, pont vers l’avenir – Le rôle des mères dans le camp

L’atelier s’est conclu par un volet pratique portant sur le rôle des mères dans la transmission de l’identité nationale à leurs enfants. « Vos enfants ont autant besoin d’histoires et de comptines que de pain. Ce que vous semez dans leurs cœurs aujourd’hui sera leur forteresse demain. »

Les femmes ont discuté de méthodes simples : apprendre aux enfants les noms des villes palestiniennes, chanter des comptines nationales, organiser des jeux traditionnels, et créer de petites bulles de joie dans le camp. Le débat s’est vite transformé en célébration spontanée : les femmes ont chanté, dansé la dabkeh palestinienne, et élevé leurs voix avec fierté, rejointes par les enfants. C’était une véritable déclaration collective de victoire sur la peur et le désespoir.

« Aujourd’hui, j’ai appris que la plus grande leçon à enseigner à mes enfants, c’est que notre terre est notre dignité. »

L’atelier a démontré que le soutien psychologique ne se limite pas aux mots thérapeutiques, il s’étend à la réactivation du patrimoine comme abri de l’âme. Les femmes ont pu exprimer leurs émotions, se sentir renforcées par la mémoire, productives à travers l’artisanat, et pleines d’espoir pour l’avenir de leurs enfants. La tente s’est transformée en maison symbolique plus grande que les murs détruits.

L’atelier Notre patrimoine, notre identité fut un acte de résistance culturelle et psychologique à la fois. Il a redonné aux femmes déplacées force et dignité, tout en les reconnectant à leurs racines comme rempart contre l’aliénation.
Les larmes, les sourires, les chants et la broderie ont été autant de déclarations affirmant que la femme palestinienne n’est pas seulement une victime, mais une créatrice d’espoir et une gardienne d’identité.

« Le patrimoine est notre maison indestructible, et l’identité ne disparaît pas avec la perte du lieu. » »

Photos et vidéos ICI.

 ****

Compte rendu d’un deuxième atelier de soutien psychologique pour les femmes déplacées du camp Al-Najaat, dans la région d’Al-Mawasi – Khan Younès, le 12 octobre.

« Nous sommes entrés dans une salle préparée pour accueillir trente femmes déplacées. Certaines femmes s’assirent côte à côte, en quête de chaleur sociale, tandis que d’autres restaient seules, observant la scène avec méfiance. L’équipe sentit que cet atelier serait un moment charnière entre la brisure et la reconquête.

L’environnement dans lequel vivent les femmes d’Al-Mawasi ne ressemble à aucun autre. L’isolement géographique est aggravé par des difficultés logistiques et des conditions de vie extrêmement dures. Ces femmes manquent des éléments les plus essentiels à la tranquillité : la sécurité, la routine, et même la liberté de pleurer. Jour après jour, les émotions de tristesse, de peur et de colère s’accumulent, devenant des poids invisibles. Cet atelier est venu briser ce siège psychologique, pour leur dire : « Vous n’êtes pas seules. »

La psychologue prit la parole d’une voix douce :« Ici, pendant cette heure, il n’y a ni jugement ni reproche. Cet espace est le vôtre. Vous pouvez ressentir ce que vous voulez, sans qu’on vous demande d’être plus fortes que vous ne le pouvez. »

La carte des émotions

« Nous ne pouvons pas soigner ce que nous ne voyons pas. Nous ne pouvons pas apaiser nos cœurs si nous ne nommons pas ce qu’ils portent. Cet exercice nous aidera à commencer par l’essentiel : savoir ce que nous ressentons maintenant. »

Elle distribua de petites cartes et demanda à chacune d’écrire un seul mot décrivant son état d’esprit du moment : “anxiété, fatigue, tristesse, peur…” Les femmes échangèrent des regards, et dans leurs yeux, on pouvait lire un soulagement : elles comprenaient que leurs émotions n’étaient pas isolées, mais partagées.

Le mur des paroles sûres

« Parfois, nous avons besoin de sortir ce qui est en nous, pour le libérer. Ce mur est un espace sûr ; il portera vos douleurs sans révéler vos noms. »

Elle distribua des cartes et demanda d’écrire la pensée la plus douloureuse ou l’idée obsédante qui les hantait. Les cartes furent recueillies dans une petite boîte, puis l’animatrice les lut à voix haute, sans citer les noms :

« J’ai peur de perdre mon fils comme j’ai perdu ma maison. »
« Je n’ai pas dormi une seule nuit sans cauchemar depuis notre fuite. »
« Je me sens comme un fardeau pour tout le monde.
»

À cet instant précis, les murs de l’isolement intérieur tombèrent. Chacune sentit que sa douleur n’était plus un fardeau individuel, mais une peine collective partagée.

Le voyage du souffle et de la détente

Après cette libération émotionnelle, il fallait revenir au corps, à la racine du calme intérieur. « La tension vit dans nos corps autant que dans nos esprits. Lorsque nous apprenons à reprendre le contrôle de notre respiration, nous reprenons le contrôle de notre peur. Ce n’est pas qu’un exercice respiratoire, c’est un message adressé à notre esprit : je suis encore là, je peux continuer. »

Elle invita les femmes à s’asseoir confortablement, à fermer les yeux, puis guida un exercice de respiration abdominale : inspiration profonde par le nez, courte rétention, puis lente expiration par la bouche.
Une jeune mère murmura : « C’est la première fois depuis des semaines que mon corps se souvient de ce qu’est la détente. »

La bougie de l’espoir

« Nous ne quitterons pas cette séance le cœur vide. Chacune de vous choisira quelque chose de petit qu’elle fera pour elle-même demain, ou exprimera un espoir pour l’avenir. L’espoir n’est pas un luxe ; c’est le carburant de la survie. »

« Je prendrai dix minutes pour m’asseoir avec ma fille sans penser à rien d’autre. »
« Je ferai de la respiration une habitude quotidienne. »
« J’espère pouvoir un jour rentrer chez moi.
»

À chaque parole, la salle semblait s’illuminer d’une lumière invisible, comme si ces mots devenaient de petites flammes dans leurs cœurs.

Témoignages des participantes

« Quand j’ai écrit ma peur, j’ai compris que je n’étais pas seule. D’autres ressentent la même douleur. Je me sens plus forte, car je ne suis plus isolée. »

« Je me suis vraiment détendue pendant la respiration. Cela m’a redonné de l’énergie pour continuer avec mes enfants. J’ai compris que le repos n’est pas un luxe, mais une nécessité. »

« Se donner la permission d’arrêter de s’inquiéter, ne serait-ce qu’une heure, c’est déjà une forme de guérison. »

À la fin de l’atelier, le lieu n’était plus le même. Les femmes qui étaient entrées accablées en sortirent un peu plus légères, certaines respirant profondément pour la première fois depuis longtemps. Elles avaient compris que la douleur n’est pas un destin solitaire, mais une épreuve partagée qui peut être allégée ensemble.

Écrire le récit de ces ateliers est un message humain adressé aux mères du monde : à Gaza, des femmes continuent de porter la force, l’espoir et l’humanité malgré tout ce qu’elles ont traversé. Leur douleur ne les a pas déshumanisées, ni brisées ; elle les a rendues plus déterminées à vivre.

Chaque femme repartit avec une « bougie d’espoir » dans son cœur — peut-être insuffisante pour dissiper toute l’obscurité, mais assez pour éclairer son chemin, pas à pas, et raconter au monde l’histoire de la résilience des femmes de Palestine. »

Photos et vidéos ICI.


Retrouvez l’ensemble des témoignages d’Abu Amir et Marsel :

*Abu Amir Mutasem Eleïwa est coordinateur des Projets paysans depuis 2016 au sud de la bande de Gaza et correspondant de l’Union Juive Française pour la Paix.

*Marsel Alledawi est responsable du Centre Ibn Sina du nord de la bande de Gaza, centre qui se consacre au suivi éducatif et psychologique de l’enfance.

Tous les deux sont soutenus par l’UJFP en France.

Partie 541 : 6 octobre. Partie 542 : 7 octobre. Partie 543 : 7 octobre (1). Partie 544 : 8 octobre. Partie 545 : 9 -10 octobre. Partie 546  : 9-10-11 octobre.

* Témoignages du 20 novembre 2023 au 5 janvier 2025 (partie 1 à 268)
* Témoignages du 5 janvier au 9 mai 2025 (partie 269 à 392)
* Témoignages du 10 mai au 5 octobre 2025 (partie 393 à 540)
Pour participer à la collecte "Urgence Guerre à Gaza" : HelloAsso.com
Les témoignages sont publiés sur UJFP / Altermidi / Le Poing