Partager la publication "« Camp de concentration » : le projet israélien de nouvelle ville à Rafah"
Rayhan Uddin, 10 juin 2025. Israel Katz la qualifie de « ville humanitaire », d’où les Palestiniens seront encouragés à « émigrer volontairement » hors de Gaza. Mais les analystes estiment que le ministre israélien de la Défense, qui a dévoilé cette semaine son projet de confiner plus de deux millions de Palestiniens dans une petite zone du sud de Gaza, utilise un langage biaisé.
Des experts en génocide et en droit international affirment que la « ville humanitaire » s’apparente davantage à un camp de concentration. Et toute évocation d’« émigration volontaire », ont-ils déclaré à Middle East Eye, doit en réalité être interprétée comme un déplacement forcé.
Ces propositions ne sont pas des discussions marginales. Elles ont été révélées par Katz et semblent bénéficier du soutien du Premier ministre Benjamin Netanyahou. Nous analysons ici ce que nous savons du plan, son lien avec la rhétorique américaine et israélienne qui dure depuis des mois et qui vise à expulser les Palestiniens de Gaza, et quelles en sont les implications juridiques internationales.
Que savons-nous du projet de « ville humanitaire » ?
Katz a déclaré que ce plan impliquerait initialement l’expulsion de 600.000 Palestiniens déplacés vivant actuellement dans des camps et des abris de fortune dans le quartier d’al-Mawasi, au sud de Gaza, vers une zone située dans les ruines de la ville de Rafah.
Une fois arrivés dans cette nouvelle zone, des contrôles de sécurité seraient effectués. Ils ne seraient pas autorisés à en sortir, a précisé Katz.
À terme, l’ensemble de la population civile de Gaza, soit plus de deux millions de personnes, serait confinée dans cette petite « ville ».
Quatre centres de distribution d’aide doivent être établis dans la zone.
Le ministre de la Défense a initialement déclaré que les forces israéliennes sécuriseraient le périmètre du site, mais ne le géreraient pas. Il a précisé qu’Israël recherchait des partenaires internationaux pour gérer la ville.
Cependant, un responsable israélien a déclaré à Haaretz qu’Israël pourrait gérer la zone « pour le moment ».
Le responsable a déclaré que Netanyahou pensait que si Israël ne gère pas la zone à court terme, « personne ne se portera volontaire pour prendre le contrôle de la question humanitaire, et le Hamas continuera simplement à gouverner ».
La source a ajouté que le Premier ministre pensait que des pays comme l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis seraient alors incités à prendre le contrôle israélien de la zone, « sans être considérés comme des collaborateurs d’Israël ».
Rien n’indique que l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis ou tout autre pays de la région ait exprimé le souhait de participer à ces projets.
Katz a déclaré qu’une fois concentrés dans la nouvelle ville, les Palestiniens seraient encouragés à quitter « volontairement » la bande de Gaza pour d’autres pays, dans le cadre d’un « plan d’émigration » qui, selon lui, « sera mis en œuvre ».
Il a ajouté que Netanyahou lançait des initiatives pour trouver des pays susceptibles d’accueillir les Palestiniens de Gaza.
On ne sait pas encore clairement quand la construction d’une telle nouvelle ville commencera, ni si elle pourrait se poursuivre sans soutien international.
Katz envisageait que, si les conditions le permettaient, la ville serait construite pendant une trêve de deux mois des hostilités. Un tel cessez-le-feu est en cours de négociation entre Israël et le Hamas, via des intermédiaires, mais il est loin d’être conclu.
Que dit le droit international ?
Le projet de ville violera de nombreuses dispositions du droit international humanitaire (DIH), selon Eitan Diamond, juriste principal basé à Jérusalem au Centre international de droit humanitaire Diakonia.
Il a déclaré que, conformément à la Quatrième Convention de Genève de 1949, les populations des territoires occupés « doivent être traitées avec humanité en tout temps » et ne peuvent être placées en résidence forcée ou internées qu’à titre exceptionnel, pour des « raisons impérieuses de sécurité ».
« Une décision générale d’enfermer des centaines de milliers de personnes dans un camp ou une zone de concentration dépasse clairement le cadre de l’exception légale et entraînerait une privation illégale de liberté, en violation du DIH et des droits de l’homme », a déclaré Diamond à Middle East Eye.
La Quatrième Convention de Genève stipule également que les transferts massifs de personnes depuis un territoire occupé sont interdits.
« Contraindre les résidents d’un territoire occupé à quitter leur domicile pour une autre partie du territoire occupé constituerait un acte interdit de transfert forcé », a déclaré Diamond.
Concernant le « plan d’émigration » de Katz, Diamond a ajouté que contraindre la population à quitter le territoire occupé pour se rendre dans un autre pays « constituerait un acte de déportation ».
« Ces deux actes constituent de graves violations des Conventions de Genève, impliquant les responsables de crimes de guerre. »
Il a ajouté que lorsque de tels actes sont commis dans le cadre d’une attaque systématique contre une population civile, ce qui semble être le cas à Gaza, ils impliquent les responsables de crimes contre l’humanité de déportation ou de transfert forcé.
Le DIH autorise les parties belligérantes à transférer temporairement des populations civiles pour des raisons humanitaires, mais celles-ci doivent être autorisées à rentrer chez elles.
« On les appelle souvent “zones de sécurité”, “zones tampons” et “zones humanitaires sûres” », a déclaré à MEE Neve Gordon, professeur israélien de droit international et de droits humains à l’Université Queen Mary de Londres.
« Ce que Katz propose, c’est un “camp de concentration humanitaire”, ce qui est une toute autre histoire. »
Diamond a déclaré qu’une partie belligérante ne peut déplacer une population pour éviter les risques qu’elle-même engendre. Par conséquent, a-t-il ajouté, le projet israélien de déplacer des centaines de milliers de personnes dans une zone très restreinte ne saurait être qualifié d’évacuation légale. « Au contraire, de telles actions équivaudraient presque certainement à un acte de nettoyage ethnique. »
Le plan d’émigration est-il vraiment « volontaire » ?
La réponse est non.
Le « plan d’émigration » de Katz est une manifestation de la proposition du président américain Donald Trump de procéder à un nettoyage ethnique de l’enclave.
Trump a déclaré en février que Washington « prendrait le contrôle » de la bande de Gaza et expulserait la population palestinienne vers d’autres pays. Entre-temps, l’enclave serait transformée en « Riviera du Moyen-Orient ».
Katz soutient ces plans depuis des mois. En mars, il a annoncé la création d’une nouvelle agence gouvernementale chargée de superviser les « départs volontaires », conformément à la proposition de Trump.
« L’expression “émigration volontaire” est depuis longtemps utilisée dans l’idéologie sioniste comme un euphémisme pour désigner l’expulsion du peuple palestinien de sa patrie, notamment en créant des conditions coercitives qui obligent les autochtones à partir », a déclaré à MEE Nimer Sultany, universitaire palestinien en droit public à l’université Soas de Londres.
Sultany a souligné que Katz menaçait depuis longtemps les Palestiniens d’une nouvelle Nakba, ayant tenu de tels propos en 2022, avant la guerre en cours.
La Nakba, ou « catastrophe », fait référence au déplacement forcé de 750.000 Palestiniens de leurs foyers ancestraux en 1948.
« Le programme d’émigration mis en place par Israël dans ces circonstances n’a rien de volontaire », a déclaré à MEE Martin Shaw, éminent sociologue et auteur de plusieurs ouvrages sur le génocide.
« Les habitants de Gaza ont été chassés de chez eux par les bombardements, ont perdu des êtres chers, sont affamés et ont été la cible de tirs lorsqu’ils tentent de se procurer de la nourriture.
« Israël utilise toute cette cruauté pour forcer les gens à partir et pour les priver de leur droit au retour, comme il l’a fait pour les générations précédentes de Palestiniens. » Diamond a déclaré qu’il est bien établi en droit international humanitaire que les déplacements forcés peuvent être provoqués par un environnement coercitif.
« Lorsqu’une partie crée des conditions qui obligent des personnes à se déplacer pour éviter des situations menaçant leur vie ou leur bien-être, leur décision de se déplacer ne constitue pas un choix sincère », a-t-il déclaré.
« Ce n’est pas plus volontaire que la décision d’une personne qui tend son portefeuille à un voleur armé qui lui dit « ton argent ou je te tue ». »
Jusqu’à présent, Israël n’a trouvé aucun pays disposé à accueillir les Palestiniens déplacés de Gaza.
« Étant donné que les actions et les projets d’Israël sont manifestement illégaux et constituent des crimes de guerre, les pays tiers qui participeraient volontairement à ce crime se rendraient complices de la violation du droit », a déclaré Gordon.
L’ONU a déclaré mercredi qu’elle s’opposait fermement à tout projet de déplacement forcé de personnes à Gaza.
Comment la « ville » est-elle décrite par les experts ?
De nombreux juristes, dont l’un des plus éminents avocats britanniques spécialisés dans les droits de l’homme, ont déclaré que ces plans étaient synonymes de camps de concentration.
Sultany a souligné que ces plans impliquent une population affamée « concentrée » dans un site minuscule et empêchée de partir.
« En d’autres termes, la population civile n’a pas le choix et sera placée dans une prison ou un ghetto contrôlé par Israël », a-t-il déclaré. « C’est la définition même d’un camp de concentration.»
Il a ajouté qu’Israël avait déjà concentré des Palestiniens sur moins de 20 % de Gaza et leur avait imposé des conditions « qui entraînent leur destruction physique ».
« Les preuves qu’Israël a commis un génocide sont accablantes », a déclaré Sultany.
Shaw, auteur de War and Genocide, What is Genocide et Genocide and International Relations, a acquiescé.
« Concentrer la population civile comme le propose Israël constitue clairement un acte de génocide », a-t-il déclaré.
Il a ajouté que la proposition de Katz visait à « consolider les conséquences » des massacres israéliens des 21 derniers mois en éliminant les survivants afin de parachever la destruction de la société palestinienne à Gaza.
« La destruction d’une société est, bien sûr, le sens même du génocide. »
Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR