Alors que les bombardements contre l’Iran occupaient le devant de la scène, les forces israéliennes se déployaient plus profondément en Cisjordanie occupée

Georgia Gee et Dikla Taylor-Sheinman, 10 juillet 2025. Quelques heures avant l’aube du 18 juin, alors que l’Iran lançait une vague de missiles balistiques sur Israël [qui avait déclenché les attaques le 12 juin 2025, NdT], l’armée israélienne a pris d’assaut Al-Walaja, un village de Cisjordanie occupée, au sud de Jérusalem.

L’alliance armée israélienne/colons au service actif du nettoyage ethnique de la population palestinienne.

Moataz Al-Hajajleh, 21 ans, passait la soirée avec des amis dans le garage d’un voisin, fumant le narguilé et sirotant du thé, lorsque des soldats israéliens ont fait irruption au domicile de son oncle, situé non loin de là. Les soldats ont défoncé la porte, saccagé la maison et exigé d’être conduits chez le fils de son oncle.

En chemin, ils ont soudainement commencé à frapper son oncle de 50 ans, juste devant l’endroit où Al-Hajajleh et ses amis se trouvaient.

« Quand mon fils a vu les soldats frapper son oncle, il s’est levé. Il ne s’est même pas approché d’eux ; il a juste crié depuis l’embrasure de la porte, demandant pourquoi ils attaquaient son oncle âgé », a raconté Abu Rashed à Drop Site. « Ils ont immédiatement lâché mon frère, comme s’il n’était pas la véritable cible. Puis ils ont attrapé mon fils, l’ont battu, l’ont traîné dans la maison et ont continué l’assaut dans la véranda

Un officier a alors tiré trois fois sur Al-Hajajleh. Les balles « ont traversé sa poitrine et se sont logées dans le mur », a déclaré Khader Al-Auraj, chef du conseil du village, qui s’est rendu sur les lieux. « Il y avait même de la chair collée au mur à cause de la balle. Très vite, il est devenu évident qu’il s’agissait d’une exécution sur le terrain, de la manière la plus horrible

Après son attaque non provoquée contre l’Iran le 12 juin, Israël a également accéléré une autre guerre. La Cisjordanie, qui connaissait déjà des niveaux records de violence et de démolitions de la part des colons, a été immédiatement assiégée par l’armée israélienne. Alors qu’un cessez-le-feu est toujours en vigueur entre Israël et l’Iran, les raids et les arrestations en Cisjordanie ne font que se poursuivre avec une violence croissante. L’armée s’est déployée en masse dans plusieurs villes, de Naplouse à Hébron en passant par Tulkarem, menant des raids nocturnes violents, des démolitions de maisons, des expulsions massives et des enlèvements.

Al Walaja se situe à cheval entre Jérusalem, la zone B, où Israël exerce un contrôle sécuritaire total et partage le contrôle civil avec l’Autorité palestinienne, et la zone C, sous contrôle israélien total. Amin, 35 ans, qui a refusé de révéler son nom de famille pour des raisons de sécurité, a déclaré à Drop Site que des soldats avaient commencé à frapper à sa porte vers 3 heures du matin cette nuit-là, quelques heures après la mort d’Al-Hajajleh. Ils ont brisé les vitres et sont entrés de force chez Amin, brisant les meubles, poussant sa femme et volant l’argent qu’il économisait pour terminer son restaurant.

La fille d’Amin, âgée de deux ans, a assisté au raid, abasourdie. « Comment peut-elle comprendre ce qui se passe ? » a-t-il demandé.

Partout en Cisjordanie, les communautés vivent dans la peur de la prochaine opération. « Ils traitent la Cisjordanie comme si la guerre était ici », a déclaré Muhanned Qafesha, militant de Jeunesse contre les colonies et habitant d’Hébron. « Les gens sont terrifiés. »

On estime que 1.000 Palestiniens en Cisjordanie, dont 30 enfants, ont été tués par des colons ou les forces israéliennes depuis le 7 octobre 2023. Plus de 45.000 Palestiniens ont été déplacés de force au cours de la même période, soit le plus grand déplacement en Cisjordanie depuis 1967. Les autorités israéliennes traitent de plus en plus le territoire d’une manière qui renvoie à la domination militaire et à l’isolement autrefois réservés à Gaza. La semaine dernière, des ministres du Likoud, le parti du Premier ministre Benjamin Netanyahu, l’ont exhorté à annexer la Cisjordanie d’ici la fin juillet.

L’armée israélienne a affirmé, sans preuve, avoir arrêté 400 « terroristes » de Cisjordanie pendant la guerre contre l’Iran et en avoir tué huit. Parmi les victimes figurent plusieurs jeunes hommes et adolescents, ainsi qu’un homme de 61 ans circulant à vélo dans le camp de réfugiés de Tulkarem et une femme de 66 ans à Jérusalem-Est.

« Ce qui se passe actuellement, c’est que l’armée effectue des raids dans des villages qui n’avaient jamais eu de problèmes avec les autorités israéliennes », a déclaré Ayman Gharib, militant des Comités de résistance populaire dans la vallée du Jourdain. « Ils arrivent avec des chars, des fusils et des véhicules blindés militaires. »

À Mukhmas, une communauté de bergers palestiniens du centre de la Cisjordanie, la famille d’Abu Muhammad Ka’abneh est constamment confrontée aux attaques des colons. Il y a quelques mois, des colons ont incendié la maison de son frère dans le village voisin.

Ka’abneh, père de quatre enfants, subit constamment des vols et des attaques de la part des colons. Habituellement, quatre ou cinq Israéliens débarquent sur ses terres et commencent à le provoquer, lui et sa famille. « Puis ce groupe se transforme en une centaine, avec tracteurs et voitures », explique-t-il.

Le 20 juin, l’armée israélienne a déclaré Mukhmas zone militaire fermée. Cet ordre devrait rester en vigueur pendant un mois, selon le document de notification obtenu par Drop Site.

Ka’abneh a déclaré que l’armée lui avait expliqué que la fermeture avait pour but de « nous protéger des attaques croissantes des colons ». Mais, a-t-il ajouté, la fréquence des attaques n’a fait qu’augmenter. Des colons sont même entrés chez lui avec leurs moutons et leurs chiens, terrorisant ses enfants. Ils ont coupé sa conduite d’eau, volé de la nourriture pour ses animaux et barré les routes des villages avec des pierres. Maintenant, les attaques sont incessantes.

« Les colons sont ici tous les jours. Pourquoi [l’armée] ne les empêche-t-elle pas d’entrer ?» s’est-il interrogé. « C’est presque comme si tout était coordonné, comme si l’armée et les colons communiquaient en amont. » Mourad Jadallah, chercheur juridique à al-Haq, constate quotidiennement ce type d’attaques dans les communautés de Cisjordanie. « On ne parle plus de petits groupes de colons attaquant une maison palestinienne, l’incendiant et volant du bétail », a-t-il déclaré à Drop Site. « On compte désormais entre 50 et 200 colons, dont beaucoup sont armés, souvent soutenus par la police ou l’armée israélienne. Les colons commettront des massacres dans un avenir proche. »

À Al-Mazra’a al-Sharqiya, à l’est de Ramallah, 70 colons ont attaqué une usine de pierres et des Palestiniens venus la protéger, alors que l’armée israélienne était présente.

Les déplacements massifs de population suite aux attaques se poursuivent : à Al-Mu’arrajat, dans la vallée du Jourdain, 30 familles ont déjà été contraintes d’abandonner leurs maisons, et 20 autres sont sur le point de partir après que des colons soient passés de maison en maison pour forcer les familles à partir sous la menace des armes.

« La capacité d’Israël à perpétrer une telle action en Cisjordanie est illimitée », a déclaré Jadallah. « Aucun Palestinien n’est en sécurité, et il n’y a aucun endroit sûr en Palestine.»

Le 12 juin, quelques heures avant qu’Israël ne mène les premières frappes contre les sites nucléaires iraniens et des dirigeants clés, les ministres israéliens ont promis d’annexer la Cisjordanie et Gaza.

Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, et le ministre du Patrimoine, Amichay Eliyahu, ont assisté à une conférence à Sderot, ville frontalière de Gaza, organisée par des colons d’extrême-droite très connus. « Voulons-nous la Judée-Samarie ? Voulons-nous la Syrie ? Voulons-nous le Liban ? Voulons-nous Gaza ? » aurait crié Elyahu à une foule qui a répondu par des acclamations.

Le 2 juillet, 15 ministres du Likoud, le parti de Netanyahu, lui ont adressé une lettre plaidant pour l’annexion complète de la Cisjordanie d’ici la fin du mois. Ils ont déclaré que le soutien des États-Unis et du président Donald Trump « fait de cette période le moment le plus propice pour aller de l’avant ».

« Après les réalisations historiques de l’État d’Israël face à l’axe du mal iranien et à ses sympathisants », indiquait la lettre, « la tâche doit être menée à bien et la menace existentielle intérieure doit être éliminée, afin d’empêcher un nouveau massacre au cœur du pays.»

La lettre a été saluée par des personnalités israéliennes d’extrême-droite, dont Smotrich, qui a déclaré que dès que Netanyahu « en donnera l’ordre », il sera prêt à mettre en œuvre « immédiatement » la souveraineté israélienne sur le territoire. « Si vous me demandez ce qui s’est passé à Gaza, le génocide, les expulsions et les transferts forcés, la famine, les massacres, voilà le scénario qui se profile pour la Cisjordanie », a déclaré Jadallah d’Al-Haq. « Israël exploitera chaque instant pour poursuivre l’annexion. Et le monde entier se contente de regarder. »

Article original en anglais sur Drop Site News / Traduction MR