Mahmoud Hassan, 6 juillet 2025. Douze ans se sont écoulés depuis les manifestations du 30 juin 2013, sans que les Égyptiens puissent obtenir ce qu’ils espéraient, malgré les promesses grandioses du ministre de la Défense de l’époque, le maréchal Abdel Fattah Al-Sissi.

« Al-Sissi, le marchand du Caire » – caricature de Carlos Latuff (source : compte X Carlos Latuff)
Ce jour a ouvert la voie au coup d’État militaire du 3 juillet de la même année, qui a renversé le premier président civil démocratiquement élu du pays, feu Mohamed Morsi, décédé en détention en juin 2019.
Le pouvoir a été temporairement transféré à l’ancien président de la Cour constitutionnelle suprême, Adly Mansour, pour un an, après quoi Al-Sisi a accédé au pouvoir lors des élections de mai 2014, remportant 96,91 % des voix, sur fond de doutes de l’opposition quant à l’intégrité du processus.
Les promesses d’El-Sissi
« Demain, vous verrez l’Égypte », « L’Égypte est la mère du monde et sera aussi grande que le monde », « Vous êtes la lumière de nos yeux », « Ce peuple n’a trouvé personne pour lui témoigner de la compassion » sont des exemples de slogans et de promesses adressés par l’actuel président à son peuple, mais ils ont tous été balayés.
Sang et larmes ont assombri les célébrations du 12e anniversaire des manifestations du 30 juin 2013, qui ont coïncidé avec la mort de 19 jeunes filles dans un terrible accident sur une autoroute construite par des entreprises affiliées à l’armée et inaugurée par El-Sissi le 9 septembre 2018.
La rocade régionale, théâtre de l’accident des « filles de Monufia » vendredi dernier, a connu 63 accidents depuis son ouverture, faisant 116 morts et 470 blessés, selon la presse égyptienne. Après l’accident, El-Sissi a demandé à son gouvernement d’augmenter les indemnisations à 100.000 EGP (environ 2.000 USD) par décès et à 25.000 EGP (500 USD) par blessé, sans limoger aucun officiel responsable de l’incident.
Le président égyptien a célébré l’anniversaire du 30 juin 2013 et, dans un discours enregistré lundi dernier, a appelé les Égyptiens à l’unité, tout en omettant d’envoyer son Premier ministre présenter ses condoléances aux familles des victimes – des jeunes filles qui revenaient des vendanges pour un maigre salaire journalier ne dépassant pas 130 EGP (2,6 USD).
Les Égyptiens souffrent d’une grave détérioration de leurs conditions de vie et de leur situation économique, d’une forte hausse des prix des biens et services, et d’un effondrement de la monnaie locale, qui est passée d’environ 7 EGP pour un dollar à près de 50 EGP.
La dette extérieure a plus que triplé sous le régime d’El-Sissi, passant d’environ 43 milliards de dollars à 155,1 milliards de dollars fin 2024, selon la Banque centrale d’Égypte. Les intérêts de la dette absorbent 79 % des recettes budgétaires de l’Égypte. Face à la dépendance persistante d’El-Sissi à l’emprunt, le pays reste étroitement lié aux exigences du FMI, notamment la réduction des subventions, la privatisation des actifs et la dévaluation de la monnaie.
Des indicateurs faibles
Ces dernières années, le classement mondial de l’Égypte a reculé. Elle se classait 90e sur 133 pays dans l’Indice mondial des connaissances 2023 et 136e sur 142 pays dans l’Indice de l’État de droit 2023 publié par le World Justice Project (WJP).
L’Égypte se classait 135e sur 146 pays dans l’Indice mondial du bonheur et 84e sur 88 pays dans l’Indice de qualité de vie 2024.
L’Égypte se classait 130e sur 180 pays dans l’Indice de perception de la corruption 2024, selon Transparency International, et 170e sur 180 pays dans l’Indice de la liberté de la presse 2025 publié par Reporters sans frontières.
En revanche, l’Égypte occupait un rang élevé au niveau mondial, étant le septième plus grand importateur d’armes au monde sur la période 2019-2023, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm. L’Égypte s’est également classée sixième au niveau mondial en termes de nombre de journalistes emprisonnés au cours de l’année écoulée, selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé aux États-Unis.
Les réalisations du 30 juin
Selon ses partisans, Al-Sissi a sauvé l’Égypte du joug des Frères musulmans, que les autorités qualifient d’organisation terroriste, malgré la victoire électorale du groupe après la révolution du 25 janvier 2011.
Le président égyptien a mis en œuvre une série de grands projets, notamment la construction d’une nouvelle capitale administrative, d’un vaste réseau routier et de ponts, de nouvelles cités résidentielles, de musées, ainsi que l’élargissement du canal de Suez et la création des plus grandes mosquée, église et opéra de la région.
Les partisans du 30 juin attribuent la crise économique et la dégradation des conditions de vie à des facteurs externes tels que la pandémie de coronavirus, la guerre russo-ukrainienne, les guerres à Gaza et au Soudan, et l’escalade des tensions entre l’Iran et Israël. Cependant, le journaliste égyptien Gamal Sultan, résidant à l’étranger, a déclaré dans une publication Facebook que « la rhétorique persistante concernant le 30 juin ne masquera pas la corruption dans laquelle le pays est actuellement englué, ni la pauvreté, le besoin et les souffrances que traverse la population. Elle ne donnera aucune lueur d’espoir quant à la lumière au bout du tunnel sombre dans lequel l’Égypte s’est engagée après 2013. »
Selon Amnesty International, environ 60.000 personnes, dont des universitaires, des journalistes, des défenseurs des droits humains, des femmes et des enfants, sont derrière les barreaux pour des raisons politiques.
Domination militaire
L’influence croissante de l’establishment militaire et l’expansion des entreprises commerciales des généraux ont été les caractéristiques les plus marquantes des 12 dernières années. Ces évolutions ont considérablement enrichi les officiers de l’armée et appauvri près des deux tiers de la population égyptienne – environ 60 % des Égyptiens sont pauvres ou dans le besoin, selon les rapports de la Banque mondiale.
Avec la militarisation de l’économie égyptienne, l’influence des généraux s’est étendue à la politique, aux médias, à la justice et aux sports. Dans chaque gouvernorat, le gouverneur militaire est devenu une autorité parallèle au gouverneur civil, et les généraux de l’armée et de la police ont dominé les postes de gouverneurs, de ministres, de chefs de district, de responsables municipaux, de chefs de partis, de conseils d’administration d’entreprises et de clubs sportifs.
Sur le plan politique, la coalition du 30 juin qui a soutenu le coup d’État s’est évaporée. Les dirigeants du Front du salut national opposés à Morsi ont été mis à l’écart, comme l’ancien directeur de l’AIEA, Mohamed ElBaradei, et l’ancien candidat à la présidence, Hamdeen Sabahi. Certains ont fini en prison avant d’être libérés plus tard, comme Hazem Abdel Azim, Khaled Dawoud, Ziad Al-Eleimi et d’autres.
Un politologue, qui a requis l’anonymat, a décrit le 30 juin comme un péché politique, stratégique et économique qui a ouvert la voie au lourd tribut payé par les partisans du coup d’État, soulignant la concession des îles de Tiran et de Sanafir à l’Arabie saoudite en 2016, l’octroi aux Émirats arabes unis du droit de gérer et d’exploiter une dizaine de ports égyptiens et la prise de contrôle de la région de Ras El-Hekma sur la côte méditerranéenne l’année dernière.
L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont les principaux alliés du président égyptien ; ils ont soutenu son régime avec des dizaines de milliards de dollars de subventions, d’aides, de prêts, de dépôts et d’investissements directs.
Pauvreté croissante
Avec des recettes fiscales en hausse de 36 % pour atteindre 1.950 milliards de livres égyptiennes, soit environ 87 % des recettes totales du Trésor égyptien, selon les données officielles, les Égyptiens souffrent sous ce qu’ils décrivent comme un « gouvernement de collecte d’impôts ».
Ils entrent dans une nouvelle année sous un régime militaire, avec un salaire minimum de 7.000 livres égyptiennes (140 dollars américains), ce qui équivaut à peine à un gramme et demi d’or (actuellement évalué à 4.600 livres égyptiennes le gramme). Ils ne peuvent même pas se permettre de manger de la viande une fois par semaine, le prix du kilo ayant atteint 400 livres égyptiennes (8 dollars américains).
L’Égypte se classe au deuxième rang des pays les moins bien payés au monde, avec un salaire mensuel moyen d’environ 117,85 dollars américains, selon le cabinet d’analyse de données FinderPass. Plus de 11 millions de retraités égyptiens vivent en dessous du seuil de pauvreté et reçoivent des pensions mensuelles d’environ 3.000 EGP (environ 60 USD), soit environ 2 USD par jour, en dessous du nouveau seuil de pauvreté mondial de 2,15 USD par personne et par jour, selon les estimations de la Banque mondiale.
Quasi-État
Malgré les amendements constitutionnels de 2019 prolongeant le mandat présidentiel de 4 à 6 ans et garantissant le maintien d’El-Sissi au pouvoir jusqu’en 2030, le président égyptien n’a permis aucune avancée politique significative.
De temps à autre, des dizaines de personnalités de l’opposition sont libérées grâce à des grâces présidentielles, mais les forces de sécurité poursuivent leurs efforts effrénés pour élargir le cercle des soupçons et procéder à des arrestations périodiques.
L’avocat des droits humains et militant de gauche Haitham Mohamedain a présenté des excuses publiques sur sa page Facebook : « Nous avons été induits en erreur en participant au 30 juin. Nous nous sommes rapidement retirés avant le 3 juillet et avons alors exprimé une position claire et explicite contre le coup d’État militaire. Nous continuerons de reconnaître cette grave erreur et de ne pas la justifier.»
En mai 2016, El-Sissi s’est adressé aux Égyptiens en déclarant : « Nous ne sommes pas un véritable État… c’est un quasi-État. » En janvier 2017, il les a encore surpris en déclarant : « Nous sommes très pauvres », et lundi dernier, il leur a rappelé une fois de plus : « Les fardeaux sont lourds et les défis sont immenses », incarnant ainsi personnellement le résultat de 12 années de plongée dans la pauvreté pour les Égyptiens.
Article original en anglais sur Middle East Monitor / Traduction MR