Partager la publication "Un documentaire de Zeteo révèle l’identité du soldat israélien qui a tué Shireen Abu Akleh"
Le film révèle également une dissimulation choquante des États-Unis, avec des interviews exclusives d’anciens responsables de Biden, qui affirment que l’administration a « abandonné » Abu Akleh afin de protéger les relations avec Israël.
Prem Thakker, 8 mai 2025. « Je n’arrive pas à croire que nous puissions trouver ces informations. Mais ni la Maison Blanche, ni l’administration Biden, ni le Département d’État ne les ont, mais ce sont toutes des informations que nous avons pu rassembler. »
C’est l’ancien correspondant de Fox News, Conor Powell, qui apparaît dans le nouveau documentaire de Zeteo, « Qui a tué Shireen ? ». L’enquête, à laquelle Powell a participé, révèle qui a abattu la journaliste américano-palestinienne Shireen Abu Akleh il y a trois ans, et comment Israël et les États-Unis se sont livrés à une tentative révoltante de dissimulation.
Le 11 mai 2022, les forces israéliennes ont tué Abu Akleh alors qu’elle couvrait un raid israélien sur le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie occupée. Elle portait un gilet bleu portant clairement la mention « presse » – le même type de gilet que portaient plusieurs des centaines de journalistes qu’Israël a tués après le 7 octobre 2023.
Elle a été la première journaliste américaine tuée par les forces israéliennes en Cisjordanie.
Immédiatement après le meurtre, les responsables israéliens ont accusé les combattants palestiniens et les États-Unis ont exigé justice. « Les responsables du meurtre de Shireen doivent être poursuivis avec toute la rigueur de la loi », avait alors déclaré Ned Price, porte-parole du département d’État.
Pourtant, en s’appuyant sur des entretiens avec un responsable clé de l’administration Biden, des soldats israéliens et d’autres personnes, le documentaire révèle que l’armée israélienne a immédiatement su que l’un de ses soldats avait probablement tiré les coups de feu mortels – et l’a communiqué aux États-Unis, malgré les accusations publiques portées contre les Palestiniens.
À mesure que la responsabilité des forces israéliennes devenait évidente, les États-Unis sont devenus beaucoup plus timides. L’administration Biden a adopté une position modérée, affirmant que le meurtre était simplement « involontaire ». Elle n’a plus exigé de poursuites pénales, se contentant d’« exhorter » Israël à « envisager des mesures supplémentaires pour atténuer les risques de préjudices civils et protéger les journalistes ».
L’affaire avait été classée sans suite, sans que les responsabilités soient établies. Et cet échec a été fatal. « L’absence de changement de ces règles d’engagement a entraîné la mort de davantage de personnes, d’innocents, y compris d’autres citoyens américains », déclare le sénateur démocrate Chris Van Hollen dans le documentaire.
Les forces israéliennes ont tué au moins six Américains depuis qu’un soldat a abattu Abu Akleh : Amer Mohammad Saada Rabee ; le Dr Kamel Ahmad Jawad ; la militante pour la paix Ayşenur Ezgi Eygi ; Jacob Flickinger, travailleur humanitaire à World Central Kitchen ; Mohammad Khdour et Tawfic Abdel Jabbar.
« Je suis convaincu que si les États-Unis avaient insisté plus efficacement et avec plus de fermeté pour que les règles d’engagement changent après l’assassinat de Shireen Abu Akleh, nous aurions pu éviter la mort de ces autres Américains et d’autres civils », déclare Van Hollen. « Le Premier ministre Netanyahou a fait un doigt d’honneur au président Biden. »
Le tireur identifié
Même un responsable central de l’administration Biden admet que le meurtre était intentionnel et que « en fin de compte, je pense que cela s’explique par une pression différente au sein de l’administration pour ne pas trop irriter le gouvernement israélien en essayant de le forcer à dire qu’ils avaient intentionnellement tué la citoyenne américaine ».
Parallèlement, les responsables israéliens ont refusé que les enquêteurs américains interrogent le soldat, refusant même de divulguer son nom.
Mais le nouveau documentaire de Zeteo révèle enfin l’identité du meurtrier d’Abu Akleh : Alon Scagio, alors âgé de 20 ans, membre de l’unité d’élite des opérations spéciales de l’armée israélienne, Duvdevan.
Lors du même incident, les forces israéliennes ont également blessé par balle le producteur d’Abu Akleh, Ali Samoudi, arrêté la semaine dernière par l’armée israélienne. Sa famille affirme qu’il a été battu et qu’il aurait été transféré à l’hôpital en raison de son état de santé déclinant. La Société des prisonniers palestiniens a déclaré que les autorités israéliennes n’avaient formulé « aucune allégation claire » pour justifier son arrestation.
« Nous avons été submergés par la peur », explique Samoudi dans le documentaire. « Dès le moment où Shireen a été tuée, j’ai dit, et je continue de dire, et je continuerai de dire, que cette balle était destinée à empêcher les médias palestiniens de documenter et de révéler les crimes de l’occupation. »
« Exercice de tir »
Après qu’une enquête militaire israélienne menée en 2022 a révélé qu’Abu Akleh avait peut-être été touchée « accidentellement » par des tirs israéliens (ou, encore, qu’elle aurait pu être touchée par des « hommes armés palestiniens »), Scagio a été transféré hors de l’unité pour devenir commandant d’équipe de tireurs d’élite au sein de l’unité de reconnaissance Haruv, également une équipe d’opérations spéciales.
Il a été tué en juin 2024 par des explosifs dissimulés par des combattants palestiniens à Jénine, la ville même où il avait tué Abu Akleh deux ans plus tôt.
Après avoir initialement refusé de commenter, l’armée israélienne a déclaré après la sortie du film qu’« il n’y avait pas de détermination définitive concernant l’identité de l’individu responsable de la fusillade ayant causé la mort du journaliste ». Cependant, deux responsables militaires israéliens anonymes ont confirmé les conclusions de Zeteo au New York Times.
Les révélations du documentaire de Zeteo ont également fait la une des journaux Al Jazeera, The Guardian, CNN, NPR, Times of Israel, The New Arab et d’autres médias du monde entier.
Selon un soldat israélien interviewé dans le documentaire, les membres de l’unité de Scagio étaient tellement mécontents que sa réputation ait été ternie par le meurtre d’Abu Akleh qu’ils ont commencé à utiliser sa photo comme cible d’entraînement.
Le soldat a ajouté que la fusillade n’était pas une aberration : « Quand vous débouchez à un angle de rue, que vous avez une seconde pour prendre une décision, pour tirer, et que vous voyez quelqu’un qui tient une caméra ou quelque chose du genre, vous savez, vous pointer, il ne vous en faut pas plus pour tirer. »
En effet, la fusillade n’avait rien d’extraordinaire, comme en témoignent les agissements d’Israël à Gaza et dans le reste de la Palestine depuis la mort d’Abou Akleh. Alors que le gouvernement américain continue de soutenir les actions d’Israël et de faire preuve de déférence envers les violations israéliennes des droits de l’homme, la Palestine n’a fait que devenir plus dangereuse pour les journalistes, avec plus de 210 professionnels des médias palestiniens tués par Israël au cours des 19 derniers mois seulement.
« Nous avons entrepris ce voyage pour découvrir qui a tué Shireen, et nous l’avons fait. Nous avons fait ce que le gouvernement américain n’a pas réussi à faire. Les soldats israéliens nous ont dit qu’Alon Scagio avait tué Shereen, et le gouvernement israélien a étouffé l’affaire. Il n’y a pas eu de tirs croisés. Il n’y avait pas de militants près de Shireen », explique Dion Nissenbaum, correspondant étranger de longue date du Wall Street Journal et membre de l’équipe d’enquête, dans le documentaire. « L’administration Biden a laissé tomber Shireen Abu Akleh, et d’autres Américains et de beaucoup d’autres journalistes ont perdu la vie à cause de cela. »
Article original en anglais sur Zeteo.com / Traduction MR