La lutte de Mandela n’a jamais été parfaitement unie. Pourquoi l’exiger des Palestiniens ?

Adnan Hmidan, 7 septembre 2025.Nelson Mandela est souvent considéré comme l’homme qui a mené une lutte parfaitement unie : un leader, un mouvement, un peuple. Ce discours bien ficelé est fréquemment adressé aux Palestiniens : « Si seulement vous étiez unis comme Mandela, vous réussiriez vous aussi

Mais l’histoire est autre. Le chemin de l’Afrique du Sud vers la liberté fut chaotique, divisé et semé d’embûches. Exiger des Palestiniens une unité mythique qui n’a jamais véritablement existé ailleurs est à la fois irréaliste et injuste.

La réalité fracturée de l’Afrique du Sud

Mandela et le Congrès national africain (ANC) n’ont jamais été les seuls à s’opposer à l’apartheid. Le régime a délibérément créé des divisions en établissant des « bantoustans », des territoires fragmentés dirigés par des chefs dotés d’une autorité creuse. Nombre de ces dirigeants ont collaboré, bénéficiant de privilèges qui ont contribué à prolonger le régime de l’apartheid.

Il y avait aussi des initiés : des ministres, des fonctionnaires et des policiers noirs qui ont servi le système, le légitimant sans contribuer à la libération.

Pendant ce temps, l’Inkatha Freedom Party, dirigé par le chef zoulou Mangosuthu Buthelezi, livra des batailles sanglantes à l’ANC dans les années 1980 et 1990. Des milliers de personnes périrent dans ce conflit fratricide. Buthelezi rejeta les accusations de collaboration, mais beaucoup voyaient en son mouvement un allié, voire un instrument, de l’apartheid.

Même au sein du mouvement de la Conscience noire, les divisions se creusèrent après la mort de Steve Biko. Certains militants accusèrent Mandela et l’ANC de trop céder, avertissant qu’un compromis ne pourrait jamais apporter une véritable liberté. Loin d’être une histoire d’unité, la libération de l’Afrique du Sud fut marquée par des rivalités, des suspicions et des visions contradictoires.

Un schéma familier des luttes de libération

L’Afrique du Sud ne fut pas un cas unique. En Irlande, certaines personnalités locales se rangèrent du côté des autorités britanniques contre les républicains. En Libye, certains religieux dénoncèrent Omar al-Mukhtar et appelèrent à l’obéissance aux occupants italiens. L’histoire retient rarement leurs noms. Elle se souvient de ceux qui ont résisté.

Aucune lutte anticoloniale n’a jamais été sans heurts. Certains ont combattu, d’autres ont vacillé, d’autres encore ont collaboré. Insister sur le fait que les Palestiniens doivent d’abord parvenir à une « unité parfaite » avant que leur lutte soit reconnue établit une norme qu’aucun mouvement de libération dans l’histoire n’a jamais atteinte.

Pourquoi le mythe survit-il ?

Pourquoi, alors, l’image d’« un Mandela, un peuple, une victoire » persiste-t-elle ? Parce que les belles histoires sont plus faciles à raconter. Elles font de bons documentaires, de bons manuels scolaires et des pancartes de protestation. Elles correspondent au scénario hollywoodien du bien contre le mal. Mais les luttes de libération ne sont jamais aussi simples.

La réalité palestinienne

La politique palestinienne est fragmentée, comme l’était autrefois celle de l’Afrique du Sud. Il y a des collaborateurs, des rivaux et d’âpres conflits. Pourtant, rien de tout cela ne change le fait essentiel : depuis plus de sept décennies, un peuple tout entier vit sous occupation militaire et dépossession.

L’histoire suggère que lorsque l’histoire de la Palestine sera racontée, elle ne se concentrera pas sur ceux qui ont coopéré à l’oppression ou qui ont exhorté à la reddition. Tout comme le nom de Mandela perdure tandis que les chefs des bantoustans sont oubliés, et tout comme Omar al-Mukhtar est commémoré tandis que ses détracteurs sont effacés, de même le souvenir de la ténacité survivra au bruit de la division.

Même au milieu de la dévastation de Gaza, marquée par les massacres, la famine et le siège, ce qui perdure n’est pas la désunion, mais la résilience. L’exigence d’une unité mythique détourne l’attention d’une vérité plus urgente : un peuple sous occupation continue de résister, malgré tout.

Article original en anglais sur Middle East Monitor / Traduction MR