L’avenir incertain du Liban face au projet de désarmement du Hezbollah

Mohammadreza Moradi, 23 août 2025. Le Liban, pays à la structure sociale et politique complexe, est une fois de plus soumis à des pressions extérieures et diplomatiques. La question du désarmement du Hezbollah est plus que jamais devenue une préoccupation internationale et fait l’objet de vifs débats dans les cercles politiques nationaux et internationaux. Ce projet, mené avec le soutien des États-Unis et de certains de leurs alliés régionaux et occidentaux, intervient alors que certaines parties du territoire libanais demeurent sous occupation israélienne et que l’armée libanaise, en raison de ses faiblesses financières et logistiques, ne dispose pas des capacités nécessaires pour combler le vide défensif potentiel résultant du désarmement du Hezbollah. Cette situation a conduit de nombreux analystes à se demander : le désarmement du Hezbollah renforcera-t-il la stabilité du Liban ou, au contraire, placera-t-il le pays sur la voie de l’instabilité et de menaces accrues ?

Les camps palestiniens au Liban commencent à remettre des armes à l’armée, ici dans le camp de réfugiés de Burj al-Barajneh à Beyrouth, au Liban, le 21 août 2025 (Houssam Shbaro – Anadolu Agency) (source China Xinhua News)

Ces derniers mois, Beyrouth a été le théâtre de nombreuses allées et venues diplomatiques. Des rencontres avec des responsables iraniens aux visites de délégations américaines, tout témoigne de l’intensification des rivalités régionales au Liban. Les États-Unis ont demandé à plusieurs reprises aux responsables libanais de prendre des mesures concrètes pour désarmer le Hezbollah, tandis qu’Israël continue de violer les cessez-le-feu et de commettre des agressions aux frontières. Ces exigences témoignent clairement d’un unilatéralisme : le Liban est censé abandonner sa principale force de dissuasion sans qu’Israël ne prenne d’engagement réciproque de mettre fin à son occupation et à ses agressions. Dans ce contexte, certains dirigeants libanais, comme Nabih Berri, ont souligné que toute discussion sur le désarmement est indissociable de l’obligation d’Israël de se retirer du territoire libanais.

Face à ces pressions, la position du Hezbollah a été explicite et ferme. Ses dirigeants ont déclaré à plusieurs reprises qu’en aucun cas le mouvement ne déposerait les armes, car ces armes constituent le seul moyen de dissuasion contre les agressions israéliennes. Les récentes déclarations du cheikh Naïm Qassem, secrétaire général du Hezbollah, évoquant une « bataille décisive », ont une fois de plus transmis le message selon lequel le désarmement de la résistance menace non seulement la sécurité du Liban, mais ouvre également la voie à une nouvelle occupation israélienne. Ces positions ont suscité des réactions négatives de la part de certaines factions libanaises qui espéraient une plus grande flexibilité du Hezbollah face aux pressions extérieures. Or, la faiblesse de l’armée libanaise, souffrant de pénuries budgétaires, d’un manque d’équipement et d’une forte dépendance à l’aide étrangère, signifie que se débarrasser du Hezbollah sans créer d’alternative défensive crédible laisserait le Liban totalement sans défense.

L’ampleur de ce problème ne se limite pas au Liban. Le projet de désarmement du Hezbollah s’inscrit dans une stratégie plus large menée par les États-Unis et Israël dans la région. Ces dernières années, Israël, par des attaques ciblées contre les infrastructures du Hezbollah au Liban et en Syrie, a cherché à affaiblir ce mouvement. Parallèlement, certains groupes alliés aux États-Unis en Syrie et en Irak ont ​​ciblé les axes logistiques de la résistance. Ces actions montrent clairement que le désarmement du Hezbollah n’est pas seulement une question intérieure, mais qu’il s’inscrit dans un plan régional visant à limiter les capacités des forces de résistance et à remodeler l’équilibre des pouvoirs au Moyen-Orient.

Les conséquences potentielles d’un tel plan sont considérables.

Premièrement, la dissuasion nationale du Liban serait gravement affaiblie. Au cours des deux dernières décennies, le Hezbollah a joué un rôle clé dans la défense de l’intégrité territoriale du Liban, depuis la libération du Sud-Liban en 2000 jusqu’à la résistance à l’armée israélienne lors de la guerre de 2006, et a joué un rôle majeur dans la lutte contre des groupes terroristes comme Daech et Jabhat al-Nusra. Éliminer une telle force alors que l’armée libanaise ne peut combler ce vide pourrait gravement mettre en danger la sécurité du pays.

Deuxièmement, le risque d’un grave conflit interne est élevé. La structure confessionnelle du Liban et la présence d’un nombre important de forces proches du Hezbollah au sein de l’armée pourraient transformer toute tentative de désarmement forcé en le début d’une nouvelle guerre civile, dont les conséquences engloutiraient non seulement le Liban, mais toute la région.

Troisièmement, la dépendance du Liban à l’égard de l’Occident s’accentuerait inévitablement. En l’absence du Hezbollah, l’armée libanaise deviendrait plus dépendante que jamais de l’aide financière et militaire occidentale, mettant en péril la souveraineté et l’indépendance nationales.

Mais l’importance de cette question ne se limite pas au Liban, ni même au Moyen-Orient. L’effort de désarmement du Hezbollah doit être envisagé dans un cadre plus large, lié aux relations entre le Nord et le Sud. Comme on le voit en Palestine, au Yémen et dans d’autres régions du Sud, les puissances occidentales s’efforcent d’éliminer ou de contenir toute force de résistance opérant en dehors de l’ordre international qu’elles défendent. Il ne s’agit pas seulement d’affaiblir un groupe politico-militaire au Liban, mais de restreindre la capacité du Sud à résister à l’hégémonie occidentale. De ce point de vue, le désarmement du Hezbollah est un exemple de politique mondiale où la « souveraineté nationale » et le « monopole des armes » ne sont invoqués que lorsqu’ils correspondent aux intérêts des puissances dominantes. C’est pourquoi l’avenir du Liban, dans le cadre du projet de désarmement du Hezbollah, est extrêmement incertain et semé d’embûches. Ce projet, bien que promu ouvertement par des slogans tels que le renforcement du gouvernement central et de la souveraineté nationale, pourrait en pratique rendre le pays plus vulnérable aux agressions extérieures et en faire le théâtre de stratégies régionales et internationales plus vastes. L’expérience historique du Hezbollah, qu’il ait libéré le Sud-Liban, résisté pendant la guerre de 2006 ou combattu le terrorisme en Syrie, démontre que ce mouvement est plus qu’une simple force politico-militaire ; il fait partie intégrante de l’équation de dissuasion régionale, dont l’élimination pourrait avoir des conséquences au-delà du Liban. Si ce projet se concrétise, non seulement la sécurité et la stabilité du Liban seront menacées, mais il enverra également un message aux autres forces de résistance du Sud : toute force qui remet en cause l’ordre établi sera, tôt ou tard, ciblée et éliminée.

Aujourd’hui, le Liban n’est pas seulement confronté à une crise interne ; il est pris dans une lutte dont les racines trouvent leur origine dans les structures inégales du système international. La pression pour désarmer le Hezbollah ne vise pas seulement à modifier l’équilibre des pouvoirs au Liban ; ce schéma s’est répété dans diverses régions du monde. De la nationalisation de l’industrie pétrolière dans l’Iran de Mossadegh aux résistances actuelles en Palestine et au Liban, les puissances dominantes ont transmis un message unique : toute alternative opérant en dehors du cadre du capitalisme mondial et de l’hégémonie occidentale doit être contenue ou éliminée.

Dans ce contexte, le projet de désarmement du Hezbollah constitue non seulement une menace pour la sécurité nationale du Liban, mais aussi le symbole d’une politique mondiale qui ne peut tolérer l’indépendance et la résistance du Sud. Le capitalisme et l’impérialisme ont historiquement démontré qu’ils ne reculeront devant rien, des sanctions aux coups d’État, en passant par la guerre et le blocus, pour protéger leurs intérêts. Aujourd’hui, la même logique se répète : éliminer la résistance au Liban, ouvrir la voie à une domination accrue dans la région et envoyer un message dissuasif à tous les mouvements similaires dans le monde. De ce point de vue, l’avenir du Liban n’est pas seulement celui d’un petit pays de la Méditerranée orientale, mais le reflet d’une lutte plus vaste entre l’hégémonie occidentale et les efforts du Sud pour l’indépendance et la justice. La capacité du Liban à résister à ces pressions est une question dont la réponse déterminera non seulement son destin, mais pourrait aussi indiquer si l’ordre mondial évolue véritablement vers une multipolarité authentique ou s’il restera sous la domination de l’unilatéralisme capitaliste.

Article original en anglais sur Middle East Monitor / Traduction MR