Un ancien fonctionnaire de l’ONU déclare au Canary que cette institution a été “totalement incapable” de traiter avec Israël

Charlie Jaay, 20 juillet 2025.- Sur la scène internationale, la promesse de l’Organisation des Nations Unies (ONU) – d’unir toutes les nations, grandes et petites, fortes et faibles, au service de la paix et de la justice – n’a jamais été aussi menacée.

La dévastation de la bande de Gaza, la destruction massive des infrastructures civiles et des conditions de vie de la population, ainsi que l’inaction persistante des institutions internationales chargées de prévenir de telles catastrophes, ont non seulement chassé des millions de Palestiniens de leurs foyers, mais ont aussi rompu l’ordre juridique d’après-guerre.

 

Au milieu d’un torrent de preuves et témoignages oculaires, alors que les décombres des hôpitaux bombardés et des quartiers affamés s’accumulent, la crise dépasse largement une catastrophe humanitaire. Elle est devenue le test ultime pour le droit international et l’intégrité des institutions mondiales.

Pour Craig Mokhiber, l’ancien haut responsable des droits humains à l’ONU (photo ci-dessus), qui a démissionné en signe de protestation de son poste de directeur du Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies (HCDH), en 2023, après avoir servi l’ONU pendant plus de trois décennies, c’est un effondrement du système destiné à limiter les puissants et maintenir une décence minimale entre les nations.

Les deux faces de l’ONU

C. Mokhiber déclare à propos de l’ONU :

« Ce que nous avons vu, non pas pour la première fois, mais très clairement au cours des deux dernières années en Palestine, c’est qu’elle a été totalement incapable de répondre efficacement à un génocide. »

Selon lui, la bande de Gaza est non seulement devenue le théâtre d’un génocide, mais a aussi révélé à quel point les règles conçues pour protéger les populations contre de telles horreurs ne sont plus appliquées. Les États ayant le plus de responsabilités pour faire respecter ces règles sont au contraire complices de leur violation. Il fait valoir que cette paralysie n’est pas accidentelle, mais qu’elle résulte précisément de la structure même du système.

« Quand un membre permanent du Conseil de Sécurité dispose d’un droit de veto, le système ne peut pas fonctionner. Dans le cas présent, ce sont les États-Unis, qui non seulement soutiennent le génocide, mais en sont aussi coauteurs, participant activement en fournissant des armes, du renseignement, une protection diplomatique, en utilisant leur droit de veto, etc. Et ceci n’est pas une erreur, mais bien un dysfonctionnement délibéré. Les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité ont accepté la Charte des Nations Unies, à condition de bénéficier, dans les faits, d’une impunité pour eux-mêmes et pour tous ceux à qui ils veulent accorder cette impunité. Ainsi, l’échec de cette partie du système est dû à sa conception mais c’est le renoncement qui explique l’échec du reste du système. »

Une impasse due à la démesure d’Etats dotés de l’arme nucléaire

L’ONU compte 193 États membres. Cependant, seuls les cinq membres permanents – connus comme les pays du « P5 » – ont le droit de veto pour s’opposer à toute décision prise par les États membres du Conseil de Sécurité. Ces pays sont le Royaume-Uni, les États-Unis, la France, la Russie et la Chine, les cinq États dotés d’armes nucléaires reconnus par le Traité de non-prolifération nucléaire.

Mokhiber affirme qu’il y a une profonde division au sein du système. L’effusion de sang à Gaza se poursuit mois après mois, car chaque tentative au Conseil de Sécurité visant à adopter des résolutions contraignantes en matière d’accès humanitaire, de cessez-le-feu, ou de responsabilisation, s’est heurtée à une obstruction déterminée.

À maintes reprises, les résolutions appelant à la cessation des violences, à la protection des installations médicales, ou à la préservation des infrastructures essentielles ont été rejetées, non pas par manque de voix, mais parce que les États-Unis ou d’autres du P5 ont exercé leur droit de veto.

Alors que le Conseil de Sécurité reste enlisé dans une impasse et que les hautes instances sont paralysées par la peur, Mokhiber fait l’éloge des mécanismes indépendants de l’ONU pour les Droits Humains, affirmant que certaines parties du système, comme les Rapporteurs Spéciaux de l’ONU et les organisations humanitaires comme l’UNRWA , ont « agi de façon irréprochable tout au long du génocide, respectant leurs principes et parfois de manière héroïque ».

Tout cela alors que nombre de leurs employés ont été assassinés tandis qu’ils tentaient de porter secours à la population assiégée. Ces valeurs sur lesquelles Mokhiber insiste sont celles que l’organisation était censée représenter.

Le manque de courage conduit à l’échec de l’ONU

Selon Mokhiber, le dysfonctionnement du Conseil de Sécurité est aggravé, par un manque de leadership au plus haut niveau de l’ONU. Ces hauts responsables politiques qui ont le pouvoir de s’exprimer avec une autorité morale, d’encourager les États membres, et d’activer des mécanismes alternatifs comme l’Assemblée Générale, sont largement inactifs.

Il affirme que cette inaction découle de la peur ou de l’influence indue, en particulier de la part d’États puissants et de riches donateurs, les conduisant à se dérober à leurs responsabilités :

« Le Secrétaire Général et les bureaux politiques de l’organisation ont échoué, non pas à cause d’un défaut de conception, mais à cause de leur renoncement. Ils ont manqué de courage et de principes pour défendre les normes et les standards de l’organisation, parce qu’ils ont peur ou sont sous l’emprise de pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Union Européenne, et d’autres… Ils se sont abstenus d’agir non faute de pouvoir en faire plus, mais parce qu’ils n’ont pas la volonté d’en faire plus lorsque les auteurs de crimes, ou leurs soutiens, sont des puissances occidentales»

En conséquence, soutient Mokhiber, les normes internationales elles-mêmes sont compromises et vidées de leur sens, du fait de la réticence à les appliquer face à l’opposition occidentale.

L’Union pour le maintien de la Paix, l’outil oublié de l’Assemblée générale

Alors que le Conseil de Sécurité reste bloqué par les veto – et donc par les intérêts des puissants – l’Assemblée Générale reste l’institution démocratique à l’échelle mondiale.

Mokhiber déclare que :

« Depuis 1950, l’Assemblée Générale est spécifiquement habilitée, en vertu de la résolution « Union pour le maintien de la Paix », à contourner le veto du Conseil de Sécurité en matière de paix et de sécurité, lorsque le conseil est incapable ou refuse d’agir en raison du veto de l’un de ses membres permanents. Il existe des précédents remarquables où la résolution « Union pour le maintien de la Paix » a été utilisée à l’Assemblée Générale pour prendre des mesures concrètes. Dans le cas présent, elle n’y a pas encore eu recours. Et c’est, à mon avis, un véritable échec. »

La résolution « Union pour le maintien de la Paix » a été utilisée pour la première fois à l’encontre de deux membres de l’OTAN, la France et le Royaume-Uni, lors de la Crise de Suez en 1956. La résolution a été invoquée, car le Conseil de Sécurité avait été incapable de s’entendre sur la marche à suivre en raison des veto de la France et du Royaume-Uni. En conséquence, la première force de maintien de la paix des Nations Unies a été créée, connue sous le nom de Force d’Urgence des Nations Unies (FUNU), et a été envoyée dans le Sinaï.

Elle a réussi à obtenir et superviser la cessation des hostilités. Mokhiber souligne que ces pouvoirs inutilisés – qui permettent à l’Assemblée de recommander des mesures d’urgence, y compris des forces de protection, des sanctions et des mesures de responsabilisation – restent le meilleur espoir :

«Nous essayons donc de faire pression sur l’Assemblée Générale pour qu’elle fasse ce qu’elle peut faire, en s’appuyant sur le précédent de 1956, quand l’initiative « Union pour le maintien de la Paix » a permis d’établir la Force d’Urgence des Nations Unies qui a été déployée dans le Sinaï, malgré les objections des Israéliens, des Français et des Britanniques. Cela a pu se faire parce que l’Assemblée Générale a agi en vertu de la résolution « Union pour le maintien de la Paix » pour mandater une force d’urgence armée. Elle pourrait faire de même aujourd’hui, et c’est même plus facile, de nos jours. »

Lorsque l’Assemblée Générale mandate une force, comme elle ne dispose pas du pouvoir coercitif du Conseil de Sécurité, elle doit obtenir le consentement de celui sur le territoire duquel elle va déployer cette force.

Aujourd’hui, les arguments juridiques sont encore plus solides, car la Cour Internationale de Justice (CIJ) a établi qu’Israël n’a pas de souveraineté sur Gaza ni sur aucune autre partie des territoires occupés. Il n’a pas le droit d’être là et n’a aucune autorité ni aucun pouvoir de décision sur ce qui s’y passe. Cela est désormais clairement établi en droit international.

La CIJ a également déclaré que le peuple palestinien a le droit à l’autodétermination. Cela signifie que le seul consentement nécessaire à une force de protection mandatée par l’Assemblée Générale serait celui des Palestiniens. Et pour l’ONU, cela signifie l’État de Palestine, les représentants palestiniens. Israël n’a ni le droit de dire oui ni le droit de dire non.

Le génocide au-delà des bombes et des balles

Pour lutter contre le génocide en cours en Palestine, qui s’accélère et qui, selon Mokhiber, ne sera stoppé par aucun cessez-le-feu, il faut dépasser les images simplistes du conflit. Il affirme que la stratégie d’Israël ne se limite pas à des attaques militaires, mais inclut aussi la destruction des infrastructures civiles nécessaires à la vie :

« Les bombes et les balles ne sont qu’un des moyens utilisés par Israël pour commettre le génocide. La famine, le refus de fournir de la nourriture, de l’eau et des abris, les maladies provoquées, la destruction des hôpitaux, le manque de soins médicaux, tous ces éléments feront plus de victimes que les bombardements et les tirs intentionnels sur les civils Palestiniens qui ont cours depuis plus de 20 mois.

La seule façon d’arrêter le génocide est donc d’envoyer une force sur place. Cette force doit être chargée avant tout de protéger les civils contre toute forme de menace, d’assurer et soutenir la distribution de l’aide humanitaire dans toute la bande de Gaza, y compris la nourriture, l’eau, les médicaments, les abris et tout ce qui est nécessaire à la survie et au rétablissement des victimes du génocide en Palestine. Elle doit enfin préserver les preuves des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du génocide commis par Israël, afin que les responsables rendent des comptes, comme l’Assemblée Générale l’a déclaré, à savoir qu’il doit y avoir un processus de responsabilisation pour les crimes commis par Israël.

Ces preuves sont en train d’être détruites en ce moment même – une force multinationale pourrait aider à les protéger. Toutes ces mesures pourraient être prises sous l’autorité de l’Assemblée Générale, où nous savons que plus des deux tiers des États membres s’opposent aux actions d’Israël et soutiennent les Palestiniens. »

Selon Mokhiber, des points de vue juridique, politique, logique et pratique, cela « pourrait tout à fait se faire », mais la question est de savoir si Israël tirerait sur une force internationale mandatée par l’ONU entrant dans la bande de Gaza pour apporter de l’aide humanitaire ? Mokhiber ne le pense pas, surtout s’il s’agissait d’une force multinationale comprenant des éléments provenant d’États qu’Israël ne veut pas agresser.

Si l’un des pays du P5 utilise son droit de veto, et que le Conseil de Sécurité se trouve dans une impasse, une session extraordinaire d’urgence de l’Assemblée Générale peut être convoquée dans les 24 heures, en vertu de la résolution « Union pour le maintien de la Paix ». Dans le cas de la Palestine, cette 10ème Session extraordinaire d’urgence se concentre sur les actions illégales d’Israël à Jérusalem-Est occupée et dans le reste du Territoire Palestinien Occupé.

Cette réunion a été convoquée pour la première fois en 1997, et a été réunie de nombreuses fois, y compris pendant ce génocide, afin d’aborder la question de la poursuite de l’occupation israélienne et son impact sur la région. Mais, selon Mokhiber, les résolutions adoptées « n’avaient pas le poids nécessaire ».

Bien que temporairement ajournée, tout État membre peut demander sa réouverture, permettant ainsi à l’Assemblée Générale de lutter immédiatement contre le génocide et l’impunité par des moyens autres que de simples déclarations.

Un plan d’action concret

Mokhiber et d’autres réclament des mesures qui aillent au-delà du symbolique.

Ils appellent à l’adoption d’une résolution qui mandate le déploiement d’une force capable d’assurer une protection réelle, d’abord dans la bande de Gaza, puis en Cisjordanie, incluant idéalement Jérusalem occupée. Il s’agirait d’une résolution retirant à Israël son statut à l’ONU, comme cela a été fait avec l’Afrique du Sud durant l’apartheid – et qui mettrait en place un mécanisme de responsabilisation, tel qu’un tribunal international, afin de demander des comptes aux Israéliens et à leurs complices. Elle traiterait des « milliers et milliers de crimes de guerre ».

Des sanctions et embargos militaires sont aussi nécessaires, tout comme le rétablissement des mécanismes de lutte contre le racisme et l’apartheid qui existaient durant l’apartheid en Afrique du Sud, tels que l’isolement diplomatique, les sanctions économiques, les interdictions de voyager et des mouvements vigoureux de la société civile, le tout soutenu par l’autorité juridique et morale que peut apporter l’ONU.

« Autrement dit, nous avons besoin de mesures réelles et concrètes, capables de changer la réalité sur le terrain, de modifier les mécanismes incitatifs qui existent actuellement, car le principal défi pour les droits humains, la paix et la sécurité au Moyen-Orient est l’impunité israélienne. Les États-Unis,le Royaume-Uni, l’Allemagne et quelques autres sont fermement déterminés à maintenir l’impunité absolue du régime israélien et, sous le couvert de cette impunité, nous l’avons vu au cours des derniers mois, un génocide est en cours. Nous avons été témoins d’agressions répétées contre d’autres pays de la région, perpétrées par Israël. Nous avons été témoins d’une attaque transnationale au Liban à l’aide de pagers piégés, nous avons été témoins d’exécutions sommaires dans toute la région. Voilà à quoi ressemble l’impunité d’Israël. »

« Ce n’est pas seulement le procès d’Israël. C’est le procès de l’ensemble du système juridique international »

De nombreux gouvernements et institutions préfèrent éviter de nommer la réalité telle qu’elle est. Au lieu de cela, des phrases toutes faites et des appels à la « retenue » ont remplacé ce qu’exigent le droit international, la justice et la responsabilisation. Mokhiber suggère qu’il y a un manque de courage politique, ce qui transparaît dans les déclarations qui sont faites :

« Ce sont toujours les mêmes arguments qui reviennent, sans aucun impact sur la vie et les moyens de subsistance du peuple palestinien. « Israël, s’il vous plaît, laissez entrer davantage d’aide humanitaire. Parlons d’une solution à deux états. Libérons les otages ». Ce dont ils ne parlent jamais c’est la responsabilisation des auteurs, requise par le droit international. Ils ne traitent jamais des causes profondes de l’ethno-nationalisme, de la suprématie ethnique, de l’apartheid, de l’occupation, du refus du droit de retour des Palestiniens – aucune des causes profondes réelles de ce qui est défini comme un conflit. Il s’agit d’oppresseurs et d’opprimés, d’occupants et d’occupés, de génocidaires et de génocide.

Il ne s’agit pas ici des deux camps d’une guerre, une terminologie qu’ils utilisent volontiers, car cela leur évite de contrarier les Américains, les Britanniques, les Allemands, le lobby israélien ou d’autres. Ils n’ont pas le courage de dire la vérité aux puissants et affirmer qu’ « il s’agit d’un génocide, avec des bourreaux et des victimes, et notre devoir est de soutenir les victimes et de veiller à ce que les bourreaux soient contraints de cesser leurs agissements ».

On n’a pas à négocier ses droits avec un régime qui pratique l’apartheid et le génocide. Ces droits sont garantis par le droit international ! Le rôle de tous les États et institutions internationales est de faire respecter ce droit, et non d’implorer la clémence du régime criminel. Mais ils ne le font pas. Malheureusement, c’est là l’échec du système international. »

Mokhiber poursuit :

«Ce n’est pas seulement Israël qui est jugé, mais tout le système international, l’idée même du droit international, des droits civils internationaux, tout cela est en cause car si Israël peut s’en tirer après avoir commis le premier génocide diffusé en direct de l’histoire, avec le soutien de la plupart des pays occidentaux et l’inaction des institutions internationales, cela signifiera la fin de ce système – et l’ONU, pièce maîtresse de ce système, ne survivra probablement pas.

Mais, au lieu de se battre pour défendre ses principes, l’ONU s’incline de plus en plus devant les États-Unis, qui utilisent toutes sortes de tactiques, notamment la réduction de son financement, pour faire peser une menace existentielle, pour attiser sa peur, afin qu’elle soit indulgente avec Israël. C’est une mauvaise stratégie de la part de l’ONU. Si elle ne se rebelle pas, elle disparaîtra à moyen terme. »

Le Royaume-Uni : « l’un des trois États les plus complices du génocide »

La Grande-Bretagne n’est pas en marge mais bien au cœur du génocide du peuple palestinien, et nous devons tout faire pour refuser que nos gouvernements – nos gouvernements criminels – participent à cela en notre nom. Nous devons les tenir responsables. Mais, comme l’explique Mokhiber, les entreprises et la presse sont aussi complices du génocide, et elles doivent aussi faire l’objet d’enquêtes et de poursuites, s’il est prouvé qu’elles ont contribué à la commission de crimes de guerre ou à l’entrave à la justice.

« Le Royaume-Uni est l’un des trois États les plus complices du génocide, avec les États-Unis et l’Allemagne. Il ne fait aucun doute que le gouvernement du Royaume-Uni et certaines entreprises britanniques sont coupables de complicité et de génocide. Beaucoup sont coupables d’avoir facilité ce génocide, par la fourniture d’armes et d’autres moyens similaires. Les médias britanniques, comme la BBC, ont diffusé sans critique la propagande génocidaire israélienne, en cachant les réalités du génocide et en franchissant parfois la ligne rouge d’incitation au génocide. »

Intensification de la répression et signification de la résistance

À mesure que les manifestations de masse et les campagnes de solidarité se généralisent à travers l’Occident, la répression s’intensifie aussi, les universités, les lieux de travail et les espaces civiques se transformant en lieux d’intimidation et de sanctions. Mokhiber considère cette escalade comme inédite, même par rapport aux campagnes anti-apartheid d’il y a plusieurs décennies, où il y eu des arrestations et des insultes, mais rien de comparable au niveau de répression auquel nous sommes confrontés aujourd’hui. Cependant, selon lui, les gens sont pris pour cible, non pas parce qu’ils ont tort, mais précisément parce que ceux qui détiennent le pouvoir savent qu’ils sont en train de perdre le débat moral.

«Les gouvernements occidentaux se sont alignés sur le projet de répression en Palestine au point de punir et persécuter leurs propres citoyens au nom d’un régime étranger oppressif, Israël. Si vous êtes un étudiant qui s’exprime, si vous vous exprimez sur votre lieu de travail, si vous participez à des boycotts et à des désinvestissements, si vous participez à des actions directes, vous serez criminalisé. Vous risquez d’être expulsé de l’école, licencié de votre travail, battu par la police, arrêté, expulsé. C’est ce qui a changé aujourd’hui, et s’ils agissent ainsi c’est parce qu’ils comprennent que tout ce qui leur reste, c’est la peur. Ils ne peuvent pas gagner le débat juridique. Ils ne peuvent pas gagner le débat moral. Ils ne peuvent pas gagner le débat politique.

Tout ce qu’ils ont, c’est la peur et la répression. Ils misent donc tout – y compris leur propre constitution et leurs propres lois, la protection de leurs propres citoyens et leurs propres budgets – sur l’idée qu’ils peuvent nous effrayer suffisamment pour que nous nous taisions et les laissions faire. Mais jusqu’à présent, cela ne fonctionne pas. Nous sommes de plus en plus nombreux. »

Aujourd’hui, il existe un nouvel écosystème dédié à l’action politique et à l’information. Les réseaux numériques, les reportages indépendants et les témoignages directs rendent la dissimulation bien plus difficile. Mokhiber insiste sur le fait que les véritables changements ont toujours été le fruit de mouvements tenaces, et non d’un consensus entre les élites. Renverser l’équilibre des forces — en le déplaçant des puissants lobbys et États donateurs vers le respect du droit — requiert une mobilisation de masse durable, une pression mondiale constante et un recours actif au droit. C’est désormais le principal espoir pour mettre un terme à l’impunité :

« Nous ne sommes plus en 1950, où l’on devait se fier aux chaînes de télévision et aux journaux grand public pour savoir ce qui se passait. Nous sommes à l’ère des médias indépendants, des réseaux sociaux, de la production directe de contenu, où les victimes et les témoins sont sur le terrain. Les oppresseurs ne peuvent plus dissimuler leurs actes. C’est leur ultime effort pour nous réduire au silence et nous punir. Si nous cédons, nous perdons, mais si nous ripostons, nous grandirons et deviendrons plus forts. Ce défi est politique, c’est pourquoi le mouvement doit continuer à grandir, à être visible et fort dans sa revendication de justice. »

Nous nous dirigeons vers le chaos grâce à l’ONU

Mokhiber pose un choix difficile à la communauté internationale : soit les institutions agissent, soit le génocide – et l’effondrement de l’ordre juridique international – se poursuivra sans entrave, avec des conséquences dévastatrices :

« Si le système parvient à se renforcer, à faire face à cette situation, et à prendre les mesures qui s’imposent, à l’instar de celles que nous préconisons, alors le droit international et les institutions internationales pourraient, à terme, être victorieux comme ce fut le cas avec le régime d’apartheid en Afrique du Sud. C’est le scénario numéro un.

Le deuxième scénario est que le système continue sur sa lancée, en permettant à Israël de bénéficier d’une impunité totale. Ce sera la fin du droit international et du système international, y compris de l’ONU, qui ne s’en remettront pas.

Pourquoi un État membre des Nations Unies devrait-il respecter l’état de droit, les droits humains, les Conventions de Genève, l’interdiction du génocide, si le monde est désormais défini, comme avant l’existence de l’ONU, par le seul recours à la force ? Cela signifie que chaque État investira toutes ses ressources pour renforcer le plus possible sa puissance sur le plan militaire, considérant que « la force fait le droit », qu’il faut disposer d’une arme nucléaire, idéalement, pour être compétitif dans ce domaine. Et nous voilà de retour à la loi de la jungle.

Malheureusement, c’est cette dernière voie que nous empruntons actuellement, et une mesure significative pour arrêter et changer de cap serait cette résolution « Union pour le maintien de la Paix » de l’Assemblée Générale. Celle-ci aurait un réel pouvoir contraignant, ce ne serait pas une nouvelle déclaration de principe tiède, mais des sanctions, une protection par embargo, l’usage de la force, le retrait des accréditations dans le cadre des mécanismes de responsabilisation de l’ONU : l’Assemblée Générale a le pouvoir de faire tout cela. Il lui suffit maintenant de trouver la volonté de le faire. »

Article original en anglais sur The Canary / Traduction Chris & Dine
Le Canary est un media radical de la classe ouvrière, basé en Angleterre.