Partager la publication "Alors que les Palestiniens sont massacrés parce qu’ils restent, les Israéliens cherchent désespérément à fuir"
Joseph Massad, 27 juin 2025. Même après 20 mois de siège, de déplacements et de massacres, les Palestiniens de Gaza continuent d’affirmer leur volonté de rester, tandis qu’Israël intensifie sa campagne génocidaire en attaquant les sites de distribution d’aide et en massacrant les civils affamés qui refusent de partir.
Parallèlement, les représailles iraniennes contre la récente agression israélienne ont déclenché un nouvel exode de juifs israéliens de la colonie.
Citoyens israéliens, binationaux et touristes cherchent désespérément à fuir le pays à bord de « flottilles d’évasion » et de « vols de sauvetage », car les conditions sont devenues encore plus invivables ces deux dernières années qu’elles ne l’étaient avant le 7 octobre 2023.
Face à un « grand nombre de citoyens israéliens » cherchant désespérément à fuir, le gouvernement israélien a pris une décision leur interdisant de facto de partir.
Malgré le retour de ceux qui étaient bloqués à l’étranger pendant la dernière guerre, la fuite actuelle des juifs israéliens s’inscrit dans une tendance plus large observée ces dernières années.
En décembre 2022 déjà, le journal israélien Maariv faisait état d’un nouveau mouvement visant à faciliter l’émigration des juifs israéliens vers les États-Unis à la suite des dernières élections israéliennes, dont les participants craignaient qu’elles n’aient modifié le rapport de l’État sioniste à la religion.
Le groupe, baptisé « Quitter le pays – Ensemble », a évoqué la relocalisation de 10.000 juifs israéliens dans la première étape de son plan. Parmi ses dirigeants figurent le militant anti-Netanyahou Yaniv Gorelik et l’homme d’affaires israélo-américain Mordechai Kahana.
Kahana a déclaré lors d’une interview : « J’ai vu des gens dans un groupe WhatsApp parler de l’immigration d’Israéliens en Roumanie ou en Grèce, mais je pense personnellement qu’il leur sera beaucoup plus facile d’immigrer aux États-Unis ».
« J’ai une immense ferme dans le New Jersey et j’ai proposé aux Israéliens de me rejoindre pour transformer ma ferme en kibboutz… Avec un tel gouvernement en Israël, le gouvernement américain devrait permettre à tout Israélien possédant une entreprise ou exerçant une profession recherchée aux États-Unis, comme médecin ou pilote, d’immigrer aux États-Unis. »
Ce phénomène n’est pas nouveau.
Depuis des années, un nombre croissant de juifs israéliens cherchent à abandonner la colonie de peuplement, poussés par la désillusion politique, la crainte de perdre le pouvoir à majorité juive et la non-viabilité à long terme du projet sioniste.
Départs antérieurs
Comme je l’ai relaté dans un article pour cette publication il y a plus de deux ans, fin 2003, le gouvernement israélien estimait que plus de 750.000 Israéliens vivaient en permanence hors du pays, la majorité aux États-Unis et au Canada.
Sur les 600.000 à 750.000 Israéliens vivant aux États-Unis, 230.000 étaient des juifs nés en Israël (c’est-à-dire des enfants de colons juifs en Israël).
Selon les chiffres du gouvernement israélien, entre 1948 et 2015, 720.000 Israéliens ont quitté le pays et ne sont jamais revenus.
En 2016, environ 30 % des Juifs français ayant émigré en Israël ont fini par rentrer en France, malgré les efforts intenses déployés par Israël et les groupes sionistes pour les attirer et les retenir dans le pays. En 2011, le ministère israélien de l’Intégration a lancé une campagne publicitaire visant à culpabiliser les émigrants israéliens et à les inciter à rentrer.
Comme le magazine Moment l’a décrit dans l’une des publicités :
« Un petit garçon, qui a fini de colorier, se tourne vers son père. Mais son père dort dans un fauteuil, un Economist drapé sur sa poitrine. « Papa ?» appelle le garçon, en vain. Un silence. Il essaie à nouveau, cette fois dans un murmure : « Abba ?» Les yeux de son père s’ouvrent aussitôt. Il admire l’œuvre, ébouriffe les cheveux de son fils avec affection. La scène s’estompe et un narrateur dit en hébreu : « Ils resteront toujours Israéliens. Leurs enfants ne le resteront pas. Aidez-les à retourner dans leur pays. »
La publicité a suscité une réaction immédiate, suggérant que « l’Amérique n’est pas un endroit pour un vrai juif, et qu’un juif préoccupé par l’avenir juif devrait vivre en Israël » – une opinion que l’ancien gardien de prison israélien et désormais journaliste basé aux États-Unis, Jeffrey Goldberg, a qualifiée d’« archaïque ». La publicité a été retirée et le ministère a présenté ses excuses.
Crise démographique
En 2017, le gouvernement israélien était tellement préoccupé par l’émigration croissante des Israéliens vers les États-Unis qu’il a commencé à offrir davantage d’avantages et de services à ceux qui souhaitaient rentrer, et à encourager les autres à revenir.
La même année, le ministre israélien des Sciences et de la Technologie, Ofir Akunis, a tenté d’attirer les expatriés de la Silicon Valley vers Israël en leur offrant des bourses pour terminer leur doctorat. Il a échoué.
De fait, les démographes israéliens, dont Sergio Della Pergola, le plus grand expert démographique du pays, prédisent depuis des années un exode massif d’Israël.
Cette émigration active a précédé les guerres dans lesquelles Israël a plongé la région depuis le début de sa campagne génocidaire contre le peuple palestinien le 8 octobre 2023. Depuis lors, les données officielles israéliennes montrent que 82.000 Juifs israéliens ont fui le pays, des estimations officieuses évaluant ce nombre à près d’un demi-million.
Compte tenu de cet exode juif israélien important, les autorités israéliennes ont raison de craindre que les juifs abandonnent l’État. Il s’agit d’une question grave, d’autant plus que les Palestiniens constituent une majorité entre le Fleuve et la Mer depuis 2010, menaçant la survie à long terme de l’État suprémaciste juif. Comme je l’ai récemment soutenu, c’est la principale raison du génocide continu du peuple palestinien par Israël.
Interdiction officielle
Afin d’endiguer l’émigration juive, le cabinet israélien a publié la semaine dernière une résolution « conditionnant le départ des citoyens israéliens du pays par avion à l’approbation d’un comité d’exceptions dirigé par le gouvernement ».
La résolution stipule que « le gouvernement a également décidé que, lorsque les vols commerciaux seront possibles… un comité directeur gouvernemental établira des critères de traitement des demandes de sortie d’Israël.»
Si certains des 40.000 citoyens étrangers bloqués dans le pays ont pu partir, les compagnies aériennes commerciales, agissant sur instruction du gouvernement israélien, ont informé les citoyens israéliens souhaitant acheter des billets pour sortir du pays qu’il leur était interdit de les leur vendre.
Pourtant, des dizaines de milliers de personnes tentent de fuir.
Selon les estimations, plus de 700.000 Américains et un demi-million de citoyens européens ont la double nationalité en Israël. La porte-parole du département d’État, Tammy Bruce, a déclaré à des journalistes le 20 juin – avant le bombardement de l’Iran par les États-Unis – que plus de 25.000 Américains avaient demandé des informations sur la manière de quitter Israël, la Cisjordanie et l’Iran.
Bien que Bruce ait refusé de « donner une explication détaillée de l’origine des demandes et de commenter les évacuations d’ambassades », il est clair que la majorité provenait d’Israël et des Territoires occupés.
En effet, une note interne du Département d’État a recensé près de 10.000 demandes de sortie d’Israël déposées en une seule journée la semaine dernière. Ces chiffres ont probablement considérablement augmenté depuis.
Évacuations étrangères
Au début de la semaine, Global Affairs Canada a déclaré que 6.000 Canadiens s’étaient inscrits en Israël grâce à sa base de données, tandis que quelque 400 autres s’étaient inscrits en Cisjordanie pour fuir le pays.
Le Canada a réagi en organisant des vols et en fournissant un transport par autobus aux Canadiens fuyant Israël vers l’Égypte et la Jordanie voisines, quelques jours après que la France et l’Australie eurent offert des services similaires à leurs propres citoyens.
À ce moment-là, de nombreux Américains avaient déjà fui ce pays belliciste via l’Égypte, tout comme de nombreux ressortissants allemands, partis par la Jordanie.
De nombreux autres Juifs israéliens ont quitté le pays par la mer, se rendant à Chypre sur des yachts et des bateaux, dans ce que le principal journal israélien Haaretz a qualifié de « flottilles d’évasion ».
L’interdiction de sortie du territoire imposée par le gouvernement israélien, appliquée par la ministre des Transports Miri Regev, a été vivement critiquée. Comme l’a déclaré Haaretz : « Les Israéliens sont invités à rentrer chez eux en cas de danger, mais il leur est interdit d’y échapper. » Selon certaines informations, des milliers de Britanniques, y compris des citoyens israéliens ayant la double nationalité, cherchent désespérément à rentrer au Royaume-Uni.
« Laisse mon peuple partir »
Pendant ce temps, à Gaza, alors qu’Israël continue d’utiliser la famine comme arme de génocide et de nettoyage ethnique, un article de Haaretz paru au début du mois a montré que la plupart des Palestiniens persistaient dans leur désir de rentrer chez eux, défiant les suppositions israéliennes selon lesquelles ils préféreraient partir.
En revanche, le même rapport observait que trois fois plus de jeunes Israéliens souhaitent désormais quitter le pays qu’au début de la guerre. Comme l’a déclaré l’un d’eux : « La guerre est une plaie à double tranchant. Les Israéliens ne souffrent pas comme les Gazaouis, mais ils sont de plus en plus nombreux à ne pas aimer vivre ici non plus.»
Pourtant, alors que le gouvernement israélien continue d’interdire à ses citoyens de quitter ce pays déchiré par la guerre, le Mouvement israélien pour un gouvernement de qualité a exprimé ses inquiétudes quant aux critères opaques utilisés par le « comité des exceptions » du cabinet pour accorder les permis de sortie.
Le groupe a adressé une lettre au procureur général d’Israël, se plaignant que l’interdiction de quitter le pays viole la Loi fondamentale d’Israël.
Ironiquement, lorsque les États-Unis et Israël ont lancé une campagne de propagande dans les années 1970 pour attirer l’immigration juive soviétique en Israël, ils ont exigé des permis d’émigration spéciaux pour les juifs soviétiques, refusés aux autres citoyens soviétiques.
L’appel sensationnel d’Israël à l’URSS était « Laissez partir mon peuple », faisant écho à l’appel biblique adressé à Pharaon.
Aujourd’hui, il semble que des milliers de juifs israéliens implorent : « Netanyahou, laissez partir mon peuple. »
Article original en anglais sur Middle East Eye / Traduction MR