Front libanais : Pourquoi la guerre israélo-américaine n’est pas terminée

L’escalade militaire de Tel-Aviv pour forcer le désarmement du Hezbollah risque de se retourner contre lui. Les grands perdants seront le gouvernement et l’armée libanais, soutenus par les États-Unis, suivis par la résurgence d’une résistance libanaise plus radicale.

The Cradle, 7 avril 2025.- La guerre israélienne contre le Liban est loin d’être terminée. Le Sud-Liban, la vallée de la Bekaa et la banlieue sud de Beyrouth restent des zones d’ombre pour les opérations d’assassinat de Tel-Aviv visant les cadres du Hezbollah. Il ne se passe guère de jour sans qu’un drone israélien ne procède à un assassinat ciblé ou à une détonation.

Les drones israéliens quittent rarement le ciel du sud ou de la Bekaa, qu’ils soient engagés dans la collecte de renseignements ou qu’ils effectuent des vols en vue d’une élimination. Parallèlement, les diplomates occidentaux avertissent le gouvernement libanais qu’Israël se prépare à une nouvelle vague de violence pour contraindre le Hezbollah à désarmer, à moins qu’un calendrier précis ne soit fixé pour la remise de ses armes aux Forces armées libanaises (FAL).

Désarmement par drone

En tant que principal soutien de Tel-Aviv sur la scène internationale, Washington estime que la reprise de la guerre forcera la base du Hezbollah à se retourner contre lui, poussant au désarmement une fois que ses armes seront jugées inefficaces pour dissuader l’agression israélienne.

Ce discours est relayé par les médias et les influenceurs des réseaux sociaux qui cherchent à normaliser cette issue. Même certains responsables politiques libanais ont commencé à reprendre ces arguments lors d’interviews.

En revanche, une interprétation contraire parmi les responsables de la sécurité suggère que l’État d’occupation n’a guère plus à gagner que ce qu’il a déjà dans la guerre. Il peut assassiner des membres du Hezbollah à volonté, sans déclencher de représailles contre les colonies, compte tenu de l’engagement déclaré du Hezbollah envers le cessez-le-feu et de son alignement sur l’État libanais.

Pourquoi, alors, Israël prendrait-il le risque de violer la trêve et de mettre en danger sa propre population, surtout lorsque son objectif déclaré de désarmement du Hezbollah est loin d’être garanti et que son coût reste inconnu ?

Une stratégie sans mordant

Deux scénarios sont envisagés pour la remise des armes. Le premier prévoit que le Hezbollah renonce volontairement à ses armes – une éventualité que les responsables du parti jugent impossible. En réalité, la base du Hezbollah s’est encore renforcée dans son soutien aux armes de la résistance, notamment après les massacres commis dans les villages côtiers alaouites de Syrie.

Dans ces régions, des factions extrémistes liées à Hayat Tahrir al-Cham (HTS) et aux nouvelles forces de renseignement syriennes ont massacré des milliers de civils uniquement en raison de leur appartenance confessionnelle. Nombreux sont ceux qui perçoivent désormais des menaces existentielles émanant à la fois d’Israël et du gouvernement islamiste extrémiste syrien.

Le deuxième scénario repose sur l’adoption d’une stratégie de défense nationale sous la direction de l’armée libanaise. C’est un concept souvent évoqué par le président libanais Joseph Aoun, qui évoque le transfert par le Hezbollah de son arsenal à l’armée et l’intégration de ses combattants au sein de l’institution militaire pour former une force de défense nationale unifiée.

Mais ici, on omet un fait crucial : l’armée libanaise détruit systématiquement tous les missiles qu’elle saisit sur les positions du Hezbollah au sud du fleuve Litani – en particulier les systèmes Almas et Kornet. Des sources parlant à The Cradle révèlent que des observateurs internationaux assistent et filment parfois ces processus de destruction.

Un cessez-le-feu de façade

Selon certaines sources, l’armée suit les directives américaines explicites en détruisant ces moyens. L’objectif est clair : maintenir l’armée libanaise faible et incapable de constituer une véritable force de dissuasion face à son voisin du sud agressif.

Washington n’a aucune intention d’autoriser le transfert des moyens militaires du Hezbollah à l’armée nationale. Le respect par le Liban de ce plan signifie la fin de toute véritable stratégie de défense – et le nouveau président du pays, soutenu par les États-Unis et fraîchement nommé commandant des forces armées libanaises, le sait bien.

Les diktats américains vont au-delà de la simple destruction d’armes. Beyrouth refuse également de condamner les violations répétées du cessez-le-feu par Israël. Depuis la signature de la trêve le 27 novembre 2024, Israël a commis plus d’un millier de violations et tué plus de 100 civils et soldats libanais.

La diplomatie n’a pas réussi à mettre un terme à ces agressions ni à contraindre Tel-Aviv à se retirer de cinq sites occupés sur le territoire libanais. Israël n’a pas non plus accédé à la demande du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, de cesser l’utilisation d’avions de combat et de drones au-dessus du Liban.

En réponse à ces plus d’un millier de violations, seuls trois incidents de tirs de roquettes ou de missiles ont été enregistrés depuis le territoire libanais vers Israël – et pourtant, les représailles de Tel-Aviv ont été féroces.

À la suite des derniers tirs de roquettes, Israël a bombardé la banlieue sud de Beyrouth. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou tient à imposer une nouvelle équation militaire claire à son voisin du nord : toute roquette lancée vers Israël aura un coût exorbitant pour le Liban. Tel-Aviv recourt à une violence disproportionnée pour dissuader de nouvelles attaques.

Les États-Unis, quant à eux, ont imputé au Liban la responsabilité d’empêcher les tirs de roquettes depuis son territoire. En réponse, les services de sécurité libanais ont procédé à une série d’arrestations. Dix suspects ont été arrêtés au total : sept par les services de renseignement de l’armée (trois Libanais, deux Syriens et deux Palestiniens) et trois par la Sûreté générale (deux Libanais et un Syrien).

Cependant, aucun des dix suspects n’a de lien avéré avec les tirs de roquettes ; ils ont été arrêtés uniquement parce qu’ils se trouvaient à proximité des sites de lancement, selon des preuves techniques. En d’autres termes, les détenus sont tous probablement innocents du prétendu « crime » de tirs de roquettes.

Un prétexte fabriqué de toutes pièces ?

Les agences libanaises étant incapables d’appréhender les véritables auteurs, deux scénarios demeurent. Le premier est qu’Israël, par l’intermédiaire de ses collaborateurs locaux, organise ces attaques de roquettes pour créer un prétexte à une escalade militaire – notamment compte tenu de son contrôle aérien quasi-total sur le sud, ce qui rend les tirs non détectés pratiquement impossibles.

Les partisans de cette théorie affirment que Tel-Aviv voit une opportunité – peut-être la dernière – d’éliminer définitivement le Hezbollah, encouragé par l’indifférence du climat international face aux violences de masse, comme on l’a vu à Gaza. La rupture des lignes d’approvisionnement du Hezbollah après la chute du gouvernement de l’ancien président Bachar el-Assad en Syrie ne fait que renforcer cette croyance.

Le deuxième scénario est que le Hezbollah ou une faction palestinienne est bel et bien derrière ces tirs. Certains évoquent même des éléments voyous agissant sans l’approbation de l’organisation. Compte tenu des zones de lancement connues, seuls trois acteurs sont considérés comme possibles : Israël, le Hezbollah ou un troisième groupe opérant en connaissance du Hezbollah.

Une guerre sans fin

Si l’on écarte la complicité d’Israël, il est peu probable que le front sud se calme, quelle que soit la violence dissuasive déployée par Tel-Aviv. Toute guerre future, aussi destructrice soit-elle pour l’arsenal du Hezbollah, n’empêchera pas le Sud-Liban de devenir une arène ouverte à toutes les factions, organisations et acteurs isolés.

Après tout, malgré la destruction quasi totale de Gaza suite à l’opération Déluge d’Al-Aqsa du 7 octobre 2023, Israël n’a pas réussi à stopper les tirs de roquettes des Palestiniens qui continuent de résister au carnage. Cette dynamique même menace le front nord, rendant les colons israéliens vulnérables et exerçant une pression considérable sur le gouvernement israélien, qui en est maintenant à sa troisième année de guerre, sans victoire tangible en vue.

Tel-Aviv n’a ni éliminé la menace ni sécurisé ses colons près des zones frontalières, et sait qu’il ne peut pas arrêter les roquettes. Pendant ce temps, la patience du Hezbollah face aux violations israéliennes s’épuise. La résistance reconstruit progressivement ses capacités militaires.

Lorsqu’il sera prêt – une fois la diplomatie éteinte et la légitimité de la résistance libanaise restaurée par la poursuite de l’occupation israélienne et ses atrocités quotidiennes – le Hezbollah n’hésitera pas à riposter. Cela se produira lorsque le gouvernement et l’armée libanais, soutenus par les États-Unis, démontreront leur incapacité à contrer l’agression – un résultat paradoxalement entièrement imputable aux attaques israéliennes contre le Liban, soutenues par les États-Unis.

Article original en anglais sur The Cradle / Traduction MR