Partager la publication "La solidarité à l’épreuve : rester ferme quand la victoire semble lointaine"
Samah Jabr, 27 mars 2025.- L’arrivée au pouvoir de Donald Trump a marqué un tournant pour la Palestine, non pas parce qu’il a été le premier président américain à se ranger du côté de l’agression israélienne, mais parce qu’il l’a fait sans détour.

Manifestation à Bordeaux, le 11 janvier 2025, à l’appel du Comité Action Palestine.
Son administration a abandonné les façades diplomatiques, encourageant Israël à agir avec encore plus d’impunité tout en signalant au monde que la souffrance des Palestiniens ne justifiait même plus une préoccupation rhétorique.
Avec Trump, le masque a été arraché, révélant la réalité crue et sans honte de la complicité des États-Unis dans les crimes d’Israël.
Aujourd’hui, nous assistons à une répression sans précédent du militantisme pro-palestinien en Occident, en particulier dans les universités américaines, où les étudiants qui osent dénoncer les atrocités israéliennes sont victimes de harcèlement, de dénonciation en ligne et de menaces juridiques.
La solidarité elle-même est criminalisée, tandis que les partisans d’Israël promeuvent sans vergogne la « Riviera de Gaza » comme un fantasme dystopique : une bande de terre colonisée et dépeuplée, nettoyée de ses habitants, en attente d’investisseurs étrangers.
Il ne s’agit pas de développements isolés ; ce sont les symptômes d’un projet plus vaste et plus dangereux d’effacement de l’histoire, encouragé par la complicité mondiale et le silence assourdissant de ceux qui prétendent défendre les droits de l’homme.
Ce changement a désillusionné de nombreuses personnes qui avaient autrefois placé leur confiance dans le droit international et les institutions des droits de l’homme. Pourtant, il a également mis en lumière une vérité essentielle : la lutte pour la Palestine n’a jamais dépendu de la bonne volonté des gouvernements, mais a toujours reposé sur la persévérance des gens ordinaires qui refusent de détourner le regard.
L’histoire nous enseigne que lorsque les voies officielles échouent, les mouvements populaires deviennent la dernière ligne de défense contre la tyrannie.
Si les oppresseurs redoublent d’efforts, nous devons faire de même. S’ils tentent de nous intimider, nous devons élever la voix. S’ils essaient de rendre la solidarité coûteuse, nous devons la rendre inarrêtable. S’ils croient pouvoir réécrire l’histoire en réduisant au silence ceux qui disent la vérité, alors notre tâche est de l’ancrer encore plus profondément dans la conscience publique.
Une solidarité plus que jamais nécessaire dans les moments de faiblesse
Il y a un désir compréhensible de victoires, de quelque chose de tangible pour prouver que nos efforts comptent. Il est facile de soutenir une cause lorsqu’elle est gagnante.
Lorsque les boycotts gagnent du terrain, lorsque les politiciens changent de discours, lorsque les manifestations de masse semblent inverser la tendance, c’est à ces moments-là que les gens se précipitent pour être du bon côté de l’histoire.
Mais le véritable test de la solidarité ne se produit pas dans les moments de triomphe, mais dans les moments d’épuisement, lorsque le désespoir menace, lorsque la lutte semble vaine.
Aujourd’hui, alors que le monde est témoin d’un génocide en temps réel, que les gouvernements répriment ceux qui refusent de se taire et que les grands médias poursuivent leur campagne de culpabilisation, de déformation et de déshumanisation, c’est précisément le moment où la fermeté est la plus importante.
La véritable solidarité consiste à se montrer lorsque les caméras sont éteintes, lorsque les victoires sont rares, lorsque la voie à suivre n’est pas claire. L’oppression ne s’arrête pas lorsque le monde s’en désintéresse, pas plus que notre résistance.
L’absence de succès immédiat ne signifie pas l’échec. Cela signifie que la lutte est à son stade le plus crucial, exigeant un engagement plus grand, des stratégies plus acérées et une conviction inébranlable que la justice n’est pas une question de hasard mais de volonté collective.
Le coût émotionnel de la solidarité
Être solidaire de la Palestine, c’est être témoin, jour après jour, d’un cycle incessant de brutalité. C’est absorber les images de maisons bombardées, de corps mutilés, de familles anéanties en un instant. C’est supporter le poids de l’hypocrisie, en voyant les dirigeants occidentaux parler des droits de l’homme d’une seule voix tout en armant l’apartheid de l’autre.
Ce n’est pas facile. Les militants et les défenseurs de la Palestine sont confrontés à de réels risques d’épuisement, de fatigue émotionnelle et de désespoir. L’énormité de l’injustice – les trahisons, les hypocrisies, l’ampleur des souffrances – peut être paralysante, surtout pour les nouveaux venus dans le mouvement.
C’est pourquoi la solidarité ne peut pas être alimentée uniquement par l’indignation réactive. Elle doit être soutenue par la connaissance, la communauté, la pensée critique et une vision à long terme.
Ceux qui sont engagés dans ce combat depuis des années doivent soutenir les nouveaux venus, non seulement en leur fournissant des informations, mais aussi en les guidant pour qu’ils puissent supporter le poids psychologique de cette lutte.
Les groupes de solidarité doivent cultiver plus que la simple résistance ; ils doivent favoriser les espaces de dialogue, d’empathie révolutionnaire et de guérison. Sans cela, les mouvements se fracturent et l’épuisement s’installe.
Comprendre la Palestine au-delà des récits simplistes
La solidarité ne doit pas être fondée sur des mythes romancés. Elle ne peut pas reposer sur une image idéalisée des Palestiniens comme un front uni de résistance héroïque.
La réalité est plus douloureuse : la colonisation fracture les sociétés. Elle sème la division, impose des choix impossibles et dresse les gens les uns contre les autres dans une lutte désespérée pour la survie.
Le fratricide – conséquence tragique des divisions internes palestiniennes – n’est pas une trahison de la lutte ; c’est un produit intentionnel de la colonisation elle-même.
Chaque projet colonial de l’histoire s’est appuyé sur la fragmentation pour affaiblir la résistance. Reconnaître cela ne devrait pas affaiblir la solidarité internationale, mais au contraire l’approfondir.
La véritable solidarité n’exige pas la perfection de la part des opprimés ; elle exige une compréhension des pressions incessantes qu’ils subissent. Le chemin de la libération n’est ni propre ni linéaire ; il est semé d’embûches, de trahisons et de réalités douloureuses.
Soutenir la Palestine, c’est soutenir son peuple dans toute sa complexité, non pas malgré, mais à cause de celle-ci.
La durée de la lutte dépasse celle d’une génération
Les luttes de libération ne se mesurent pas en cycles d’informations ou en mandats électoraux. Le combat pour la Palestine n’est pas nouveau et ne s’achèvera pas demain. Mais l’histoire a déjà répondu à la question de savoir si de tels combats peuvent être gagnés.
L’Algérie s’est battue pendant plus d’un siècle avant de se libérer de la domination française. L’apartheid en Afrique du Sud a semblé éternel, jusqu’à ce qu’il s’effondre. Aux États-Unis, les militants des droits civiques ont été battus, emprisonnés et assassinés, mais ils ont changé l’histoire.
Le monde regorge d’exemples de systèmes d’oppression autrefois dominants qui semblaient invincibles, jusqu’à ce qu’ils ne le soient plus. Et dans tous les cas, les oppresseurs n’ont pas cédé par révélation morale ; ils ont été contraints de battre en retraite par la persistance de ceux qu’ils cherchaient à briser.
Les Palestiniens mènent ce combat depuis des générations. Il n’appartient pas aux mouvements de solidarité de leur offrir de l’espoir, mais de veiller à ce qu’ils ne soient jamais seuls dans leur résistance.
Même lorsque les victoires semblent lointaines, l’histoire montre que la persévérance refaçonne la réalité. La Palestine ne fait pas exception.
Le travail accompli aujourd’hui ne donne peut-être pas de résultats immédiats, mais il n’est jamais vain. Chaque voix qui refuse d’être réduite au silence, chaque défi lancé à la propagande, chaque acte de défiance contribue à une force imparable qui, un jour, fera pencher la balance.
Ce n’est pas un combat pour une gratification instantanée ; c’est une épreuve d’endurance. Et ceux qui s’y engagent doivent le faire en sachant que leurs efforts, aussi discrets soient-ils, ne sont jamais vains.
Le choix qui s’offre à nous
Nous traversons une période difficile, mais c’est aussi un moment de lucidité. Personne ne peut plus prétendre ignorer les horreurs qui se déroulent à Gaza, la famine forcée, les massacres, la destruction délibérée d’un peuple tout entier.
La question qui se pose à nous est simple : allons-nous laisser la peur, l’épuisement ou le désespoir nous paralyser ? Ou allons-nous nous ressaisir, nous serrer les coudes et nous renforcer mutuellement, sachant que la justice ne se donne pas, et qu’elle se prend par ceux qui sont prêts à se battre pour elle ?
Nous ne savons pas quand la Palestine sera libre, mais nous connaissons le chemin qui mène à sa liberté. L’histoire nous assure qu’aucun empire, aucun système d’oppression, aucun projet colonial n’a jamais été permanent.
La question n’est pas de savoir si la justice triomphera, mais plutôt quand elle le fera, et si nous serons alors courageusement du bon côté de l’histoire.
La solidarité n’est pas un numéro de cirque. Ce n’est pas un accessoire que l’on porte quand cela nous arrange. C’est un engagement à vie envers la vérité, la justice et la conviction inébranlable que, peu importe le temps que cela prendra, les opprimés se soulèveront un jour et les oppresseurs tomberont.
Source : Chronique de Palestine