L’espérance de vie des Palestiniens a chuté de 11,5 ans au cours des trois premiers mois du génocide

Le génocide soutenu par les États-Unis à Gaza a entraîné une perte précipitée de l’espérance de vie de la population. Même si le cessez-le-feu permet à l’aide d’entrer à Gaza, il faudra des générations pour inverser cette profonde perte démographique.

Vijay Prashad, 30 janvier 2025. Chers amis, Salutations du bureau de l’Institut Tricontinental de recherche sociale.

La notion de cessez-le-feu est aussi vieille que celle de guerre. Les archives historiques font état de pauses dans les tirs pour permettre aux hommes de manger ou de dormir. Les règles de combat ont été élaborées en tenant compte du fait que les deux camps devaient se reposer ou se restaurer. Parfois, cette compréhension incluait la vie des animaux. Pendant l’insurrection de Pâques 1916, par exemple, les rebelles irlandais et les troupes britanniques ont interrompu leurs tirs autour de St. Stephen’s Green à Dublin pour que James Kearney, le gardien du parc, puisse entrer et nourrir les canards. C’est cette cæsura, ou pause, des tirs qui a popularisé le terme « cessez-le-feu » (ceasefire).

Abdel Hadi el-Gazzar (Égypte), Chœur populaire, 1949.

Pour les Palestiniens de Gaza, tout cessez-le-feu qui promet d’arrêter les bombardements et de permettre l’arrivée de l’aide humanitaire (en particulier de la nourriture, de l’eau, des médicaments et des couvertures) est un soulagement. Depuis le 19 janvier, date à laquelle un cessez-le-feu temporaire est entré en vigueur, une aide massive a pu parvenir aux habitants de Gaza, comme l’a confirmé Jens Laerke, porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies. Le premier jour du cessez-le-feu, 630 camions sont entrés dans Gaza, bien plus que les 50 à 100 camions par jour qui peinaient à entrer pendant les bombardements israéliens. Ces camions permettent « d’acheminer de la nourriture, d’ouvrir des boulangeries, de fournir des soins de santé, de réapprovisionner les hôpitaux, de réparer les réseaux d’eau, de réparer les abris, de réunir les familles » et d’effectuer d’autres tâches essentielles, a déclaré M. Laerke. Après près de 500 jours de violence génocidaire, cette aide est plus qu’un soulagement. C’est une bouée de sauvetage. Cet accord de cessez-le-feu avait été initialement négocié en mai 2024, lorsqu’il avait été approuvé par le gouvernement israélien, puis accepté par le Hamas pour finalement être rejeté par M. Netanyahou. Les armes auraient pu se taire à ce moment-là.

La Palestine a été profondément touchée par le génocide. S’appuyant sur les estimations fournies dans le rapport World Population Prospects 2024 établi par les Nations unies, l’Institut Tricontinental de recherche sociale et Global South Insights ont analysé la baisse de l’espérance de vie des Palestiniens causée par les bombardements israéliens à Gaza et ont constaté que l’espérance de vie des Palestiniens à la naissance a chuté de 11,5 entre 2022 et 2023, passant d’un respectable 76,7 ans en 2022 à tout juste 65,2 ans en 2023. Ce sont les trois premiers mois des bombardements israéliens soutenus par les États-Unis – d’octobre à décembre 2023 – qui ont entraîné ce terrible déclin de l’espérance de vie totale. Nous n’avons pas connaissance d’un déclin aussi rapide de l’espérance de vie à aucune autre période de l’histoire moderne de l’humanité. Un Palestinien vit aujourd’hui plus de dix-sept ans de moins qu’un Israélien. Cet écart est plus important que celui  entre les Noirs et les Blancs dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, qui était de quinze ans en 1980.

Onze années et demie perdues par Palestinien. Cela représente près de 60 millions d’années perdues pour les 5,2 millions de Palestiniens restés en Palestine et qui ont survécu au génocide. Cette perte est difficilement rattrapable. Il faudra des années d’un travail immense pour reconstruire la société palestinienne et retrouver une espérance de vie proche de celle d’avant le génocide. Les systèmes de santé devront être reconstruits : non seulement les hôpitaux et les cliniques, qui ont été presque tous détruits à Gaza, mais de nouveaux médecins et infirmières devront être formés pour remplacer ceux qui ont été tués. Les systèmes alimentaires devront être rétablis : non seulement les boulangeries, mais les champs devront être désintoxiqués et les bateaux de pêche réparés. Les logements devront être reconstruits pour remplacer les 92 % des habitations de Gaza qui ont été détruites ou endommagées (ce que les Nations unies ont appelé un « domicide »). Les écoles devront être reconstruites. Le traumatisme psychologique qui affecte les enfants devra être soigné afin qu’ils sentent que ces structures ne sont pas des tombes mais bien des lieux de sécurité et d’apprentissage.

Ahmad Nawash (Palestine), L’éléphant, 1989.

Les données sont confuses. Des dizaines de milliers de Palestiniens ont été tués dans ce carnage, dont au moins 14 500 enfants. Selon le rapport produit par le Conseil danois pour les réfugiés, l’Association pour le développement agricole et le Centre des affaires féminines, entre octobre 2023 et octobre 2024, « plus de 90 % de la population de Gaza a été déplacée, avec des individus déplacés en moyenne six fois, et certains jusqu’à 19 fois ». En outre, ce rapport indique que les Palestiniens ont été confrontés à des ordres de déplacement forcé formulés par un « avertissement inadéquat » et ont lutté pour survivre car les « zones désignées comme sûres » ont été « soumises à des bombardements et manquent de ressources de base ». Les survivants font face à des problèmes neurologiques extrêmes. Nebal Farsakh, du Croissant-Rouge palestinien, a déclaré que « la santé mentale de tous les habitants de Gaza est une préoccupation constante, en particulier celle des enfants qui sont profondément traumatisés », soulignant qu’« il y a au moins 17 000 enfants non accompagnés ou séparés de leurs parents ». Comme nous l’avons mentionné dans la première lettre d’information de cette année, un rapport de décembre 2024 réalisé par le Centre de formation communautaire pour la gestion des crises à Gaza a révélé que « 96 % des enfants de Gaza avaient le sentiment d’une mort imminente ».

Selon une évaluation préliminaire, la reconstruction de Gaza coûtera 80 milliards de dollars. Le programme de développement des Nations unies a signé un accord avec l’Université Iuav de Venise pour concevoir une nouvelle Gaza, prévoyant d’abord de construire un « noyau » de ville pour 50 000 personnes au milieu des décombres, puis de poursuivre la construction vers l’extérieur. Gaza compte au moins 50 millions de tonnes de gravats résultant de la destruction de plus des deux tiers des infrastructures de la région (dont 92 % des logements), dont le déblaiement prendra des années. Dans les ruines, à côté des corps des Palestiniens disparus, il y a des munitions non explosées et des matériaux toxiques : il ne suffit pas d’aligner une rangée de bulldozers pour déblayer d’un bout à l’autre la bande de Gaza.

Fadi al-Hamwi (Syrie), Jubilation, 2013.

Les institutions palestiniennes n’ont tout simplement pas les moyens de reconstruire Gaza. Les États arabes du Golfe, qui ont l’argent, essaieront certainement d’arracher des concessions politiques inacceptables aux factions politiques palestiniennes en échange de toute aide. Les pays qui veulent faire payer à Israël la dévastation qu’il a causée n’ont pas le poids politique nécessaire pour le faire, et ils ne peuvent pas non plus espérer pousser les pays qui ont armé Israël (comme les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne) à payer pour les dommages causés par leurs munitions.

Les auteurs du génocide veulent transformer Gaza en leur parc immobilier. Le président américain Donald Trump dit que Gaza est un « endroit phénoménal » qui ressemble actuellement à un « site de démolition massive », faisant écho à Jared Kushner, son gendre et conseiller sur la stratégie au Moyen-Orient, qui évaluait en février 2024 qu’« une propriété au bord de l’eau à Gaza pourrait avoir une très grande valeur ». L’année dernière, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a annoncé que la partie nord de Gaza, y compris la ville de Gaza, resterait en ruine et serait annexée, tandis qu’Israël contrôlerait le reste de Gaza et construirait des colonies sur son pourtour. Le mouvement des colons, qui est déterminé à procéder à un nettoyage ethnique des Palestiniens, et qui fait partie de la base de Netanyahu, est prêt à s’emparer des bords de mer et à y construire ses propres colonies. La pression exercée sur les Palestiniens pour qu’ils quittent Gaza restera intense, malgré ce cessez-le-feu momentané.

Dima Hajjar (Liban), Réseau Olympia, c. 2002-2004.

Les Palestiniens, qui ont perdu au moins 11,5 années de leur vie à cause de cette horreur, accepteront ce qu’ils pourront obtenir maintenant, même ce cessez-le-feu de pacotille. Mais ils méritent bien plus, et ils poursuivront leur lutte pour l’obtenir.

C’est pour cela que le 27 janvier, des centaines de milliers de Palestiniens déplacés à Gaza ont commencé à marcher vers le nord pour rentrer chez eux. Ils ne vivront pas une autre Nakba (Catastrophe). Ils reconstruiront avec leurs doigts enfoncés dans la poussière s’il le faut.

Chaleureusement,

Vijay

P.S. Le graphique ci-dessus fait partie d’une nouvelle série de l’Institut Tricontinental de recherche sociale et Global South Insights (GSI) intitulée « Facts ». Chaque mois, nous publierons un nouveau visuel dans cette série, basé sur les recherches produites par le système de big data de GSI.

Cinquième lettre d’information (2025) de l’Institut Tricontinental de recherche sociale / Traduction Chris & Dine