Témoignages de Gazaouis : La survie qui s’organise au jour le jour dans l’enfer de Gaza – partie 271 / 7 janvier – Deuxième hiver sous des abris de fortune, dans la faim et la souffrance. Le témoignage de Madleen, seule femme pêcheure dans la Bande de Gaza

Sarah, 8 janvier 2025Je souhaite partager ces nouvelles de Madleen, première – et seule à ce jour – femme pêcheure dans la bande de Gaza, jeune maman de quatre enfants, déplacée de camp en camp, actuellement dans un camp inondable à Nusseirat. Elle que je connais comme un exemple de détermination, de courage, dont le sourire illumine le documentaire « Aimer la mer à Gaza », sent par moment ses forces l’abandonner à l’entrée dans ce nouvel hiver de massacre. Elle s’exprime ainsi, lorsque nous échangeons par WhatsApp, le 7 janvier 2025 :

« … Merci, mon amie. J’ai honte de te parler parce que je ne veux pas être un fardeau. J’ai déménagé il y a plusieurs mois à Nuseirat après que l’armée israélienne a menacé la zone où nous étions enfin installés à Deir al Balah. Je me sens désolée, je ne peux presque rien faire pour les familles de pêcheurs autour de moi.

J’essaie d’aider les familles déplacées dans mon camp avec un don canadien, mais c’est une chose si petite par rapport aux besoins. Il m’est envoyé à titre personnel, c’est donc très peu d’argent pour un soutien collectif, étant donné les prix élevés que nous connaissons, mais j’essaie de l’économiser et de faire quelque chose pour certains des enfants du camp.

Mon amie, j’aide ceux que je vois de mes propres yeux. Ils sont ici dans le besoin. De nombreux enfants sont morts de froid et de faim.

Il y a un problème avec certaines aides, elles ne se propagent pas dans les camps. En ne connaissant pas les personnes spécifiques et chaque zone, on aboutit à ce qu’une famille donnée en profite plus d’une fois. Alors pour cette famille là, cela devient un surplus, donc elle vend l’aide sur le marché à des prix très élevés. Mais les autres familles ? Elles sont obligées de priver leurs enfants de vêtements.

Il y a beaucoup d’aides vendues sur les marchés, et nous, nous les achetons quand nous pouvons pour pouvoir nourrir nos enfants. Pour toucher ceux qui en ont besoin, l’aide doit être équitable.

Mon amie, personne ne sait ce que nous vivons, ce que nous souffrons, et personne ne comprend.

Nous nous sommes endormis le ventre vide. Saviez-vous que j’ai commencé à donner à mes enfants une demi-miche de pain pour le dîner, et quand l’un d’entre eux en redemande, je le gronde jusqu’à ce qu’il pleure et s’endorme, et puis je pleure parce que je suis incapable de les satisfaire ?

Connaissent-ils le monde dans lequel nous vivons, ceux qui acceptent la situation qui nous est faite ? Savent-ils que ma petite fille, âgée d’un an et trois mois, ne peut pas encore marcher à cause d’un manque de calcium et de vitamines ? Est-ce que quelqu’un sait qu’elle souffre ? Connaissez- vous la malnutrition ? Est-ce que quelqu’un sait que mon fils Jamal est maintenant malade et souffre de graves infections et de congestion des amygdales, en raison du manque d’eau potable, et en raison d’une mauvaise alimentation due à la consommation de beaucoup de pain ?

Malheureusement, mon amie, je regarde des mères pleurer et craindre que leurs enfants meurent et il n’y a rien qui vienne à elles. Je vois combien de souffrance c’est d’avoir un kilo de farine pour nourrir les enfants, je regarde comment nous sommes noyés dans l’eau qui envahit les tentes où sont nos enfants, et comment mes enfants et les autres enfants gèlent à cause du froid. Par moment, je pense que personne ne se sent mon amie, personne, alors je veux que mes enfants et moi mourions et ne vivions pas. Je ne peux pas changer de nourriture et de vêtements chauds pour eux. Je ne peux pas vivre une vie décente. Regarde ma fille, elle est maigre et faible, pourquoi devons-nous vivre comme ça, mon amie ?

Merci, mais je suis désolée de t’avoir dérangée. Je suis stressée, je me noie… J’ai peur de perdre un de mes enfants sous mes yeux à cause de la faim, du froid ou de la maladie. Pendant que je parle, mon enfant est maintenant très malade à cause de la nourriture et de l’eau malsaine. Il n’y a pas d’endroit où aller pour obtenir des conseils médicaux et il n’y a pas de médicaments. Je me sens impuissante, alors je te parle, mon amie. On pourrait dire que c’est une sorte de libération psychologique. Merci de m’avoir écoutée. »

Combien de temps encore l’horreur va-t-elle durer ?

Madleen a joint deux petites vidéos prises lors d’une des violentes pluies de cet hiver :